Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 6 mai 2015 à 16h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Monsieur le président, c'est avec plaisir que je continuerai notre dialogue pour éclairer les différents aspects de l'activité récente de l'Autorité de la concurrence. Je suis accompagné par Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, qui dirige les services d'instruction.

Je consacrerai d'abord quelques développements aux dernières actualités, et avant tout aux ententes que nous avons sanctionnées dans le domaine des produits de grande consommation – les shampooings, gels douche et nettoyants, mais également les yaourts et aujourd'hui même, la volaille. J'insisterai sur l'approche au cas par cas que nous avons adoptée dans le traitement de ces dossiers, sur notre méthodologie de calcul des sanctions et sur la rationalité de ces dernières. J'aborderai également les problèmes de la grande distribution, notamment la concentration des centrales d'achat sur laquelle nous nous sommes prononcés récemment par un avis rendu à la fois au Gouvernement et à la commission des affaires économiques du Sénat. J'évoquerai enfin quelques thèmes sectoriels, notamment la consolidation dans le secteur des télécommunications, avec la fusion entre SFR et Numericable et le déploiement de la fibre, et les conséquences de la réservation en ligne sur le secteur de l'hôtellerie. Dans ce domaine – thème du rapport de M. Fasquelle –, nous avons rendu une décision très importante qui entérine des engagements significatifs pris par Booking.com, la principale plateforme de réservation en ligne, et redonne du pouvoir de négociation aux hôteliers ; je commenterai cette décision et ses conséquences probables. Je dirai enfin un mot sur l'énergie et plusieurs thèmes de la loi Macron : le commerce de détail, les professions juridiques et la simplification des procédures de l'Autorité de la concurrence.

L'Autorité possède tout d'abord une fonction consultative : elle rend des avis à la demande du Parlement, du Gouvernement ou de tiers intéressés, ou à sa propre initiative – possibilité qu'elle utilise de plus en plus souvent en choisissant les sujets sur lesquelles elle souhaite faire bouger les lignes. Ainsi, l'Autorité s'est autosaisie de la question de l'ouverture à la concurrence du transport par autocar pour faire des propositions aux décideurs politiques. Notre deuxième mission renvoie au contrôle des opérations de concentration : fusions et rachats. Enfin, notre activité la plus spectaculaire et la plus médiatique relève de la lutte contre les ententes et les abus de position dominante – coeur de métier de la régulation concurrentielle. Si chaque tâche appelle l'utilisation d'outils spécifiques, toutes visent à améliorer le fonctionnement des marchés au bénéfice des consommateurs comme des producteurs, dont il serait vain d'opposer les intérêts. Dans cette optique, la concurrence ne constitue pas une fin en soi, mais un levier ; son objectif n'est pas nécessairement le prix le plus bas, mais davantage de choix, la qualité et l'innovation qui sur le long terme profitent à tous.

Quelques chiffres illustrent l'activité récente de l'Autorité. En 2014, nous avons rendu 254 avis et décisions dans différents secteurs et prononcé sept décisions de sanctions, pour un total record de plus d'un milliard d'euros d'amendes antitrust – chiffre qui renvoie pour l'essentiel à la décision de décembre qui a sanctionné plusieurs grands fabricants mondiaux de produits d'hygiène pour le corps et d'entretien pour la maison. La moitié des décisions concerne des affaires d'entente, l'autre moitié des abus de position dominante ; en onze ans, l'Autorité de la concurrence a collecté 4,5 milliards d'euros d'amendes au titre de ces deux infractions, ce qui en fait l'autorité la plus active en Europe pour réprimer ces comportements illicites. Nous sommes aussi quasiment les seuls en Europe à avoir le pouvoir, en cas d'urgence, d'imposer des modifications de comportement. En 2014, nous avons ainsi ordonné deux mesures conservatoires : en matière de droits télévisuels du rugby, nous avons remis en jeu une compétition faussée par une procédure de gré à gré ; le Top 14 a fait l'objet d'une réattribution, selon une procédure d'appel d'offres cette fois irréprochable. La deuxième affaire concerne la concurrence entre GDF et les opérateurs alternatifs en matière de gaz vendu aux clients résidentiels ou aux petites et moyennes entreprises (PME). Nous avons également négocié quatre procédures d'engagements – préférables à une sanction ; l'affaire la plus récente dans ce domaine, concernant Booking.com, a permis de lever les contraintes qui pesaient sur les hôteliers en matière de réservation en ligne. En 2014, l'Autorité de la concurrence a examiné 200 opérations de fusion ou de rachat – soit à peu près le même nombre qu'en 2013 –, qu'elle a dans l'ensemble accompagnées. Sur l'ensemble des dossiers – qui portent sur des secteurs aussi variés que l'agroalimentaire, les transports ou la distribution –, 95 % ont fait l'objet d'un feu vert inconditionnel et souvent rapide ; dans plus de la moitié des cas, l'autorisation a été délivrée en quinze jours ou trois semaines. Les affaires où notre décision était subordonnée à des engagements souscrits par l'entreprise – dans le cas du rachat de Dia par Carrefour, nous avons ainsi demandé la cession de magasins dans certaines zones de chalandise où la part de marché du nouvel ensemble aurait été trop importante – ne représentent que 5 % du total, soit dix affaires seulement. Ce taux reste globalement constant d'une année sur l'autre. Enfin, nous avons rendu vingt et un avis en 2014 et six durant les trois premiers mois de 2015 ; nous nous apprêtons à rendre un avis important sur la normalisation et la certification, activités sur lesquelles nous souhaitons avancer des propositions.

L'activité est intense : d'abord, nous choisissons de plus en plus de nous mobiliser nous-mêmes, de fixer des priorités, de choisir des angles d'enquête et de faire des propositions aux pouvoirs publics ; mais notre succès renforce également notre visibilité et donc le nombre de plaintes ou de demandes d'avis qui nous sont adressées. Ainsi, entre 2013 et 2014, les plaintes à l'Autorité ont augmenté de 50 %, cette hausse spectaculaire posant la question des moyens dont l'institution dispose pour faire face à ces saisines contentieuses. Autre facteur : les opérations de concentration relèvent soit du contrôle bruxellois, soit français, mais nous pouvons nous renvoyer mutuellement l'examen des affaires ; or Bruxelles nous renvoie de plus en plus de dossiers. Entre 2004 et 2009, lorsque le ministre était compétent, seules trois affaires avaient été transférées de Bruxelles à Paris ; depuis la création de l'Autorité en 2009, cette procédure a concerné pas moins de dix-sept opérations. Il est positif que ces démarches, qui représentent souvent un intérêt stratégique – Carrefour et Dia en fournissent un exemple, mais d'autres affaires concernent des fusions dans le bricolage, le gaz ou les cliniques –, soient examinées à Paris. Mais ces dossiers renvoyés de Bruxelles – souvent lourds, complexes et exigeants en ressources humaines – s'ajoutent à la charge de travail de l'Autorité.

L'activité d'enquête a également été soutenue. En 2014, l'Autorité a réalisé huit opérations de visites et saisies auprès de quarante-sept entreprises et multiplié les auto-saisines contentieuses sans attendre les plaintes pour analyser le fonctionnement concurrentiel de différents secteurs. Nous sommes – et nous le revendiquons – l'autorité la plus active en Europe en matière de lutte antitrust, juste après la Commission européenne. Mais alors que la direction générale de la concurrence de la Commission, sans le service juridique, réunit 800 personnes, l'Autorité française – qui ouvre à peu près autant d'enquêtes et rend autant de décisions sur le fondement du droit européen – n'en compte que 180. Le déséquilibre est considérable, malgré un agenda quasiment aussi chargé. Nous sommes plus actifs que les autorités allemande, italienne ou hollandaise, qui se situent pourtant dans le peloton de tête des autorités les plus importantes.

Je voudrais aborder la question des moyens dévolus à l'institution pour lui permettre de faire face à ses missions, la loi Macron nous conférant une série de responsabilités nouvelles, notamment dans le secteur des professions juridiques et du commerce de détail.

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