Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à la protection de l’enfant. Assurer une protection à tous les enfants, garantir leurs droits et leur permettre de se construire un avenir : tel est l’enjeu fondamental de la protection de l’enfance.
L’aide sociale à l’enfance des départements prend en charge 284 000 mineurs et 21 500 majeurs en France. Dans la grande majorité des cas, les décisions de protection sont prises par le juge des enfants. Elles permettent le plus souvent de protéger les enfants quand ils subissent des violences ou quand ils sont exposés à des situations de carence ou de négligence.
Mais la protection de l’enfance concerne aussi la mise en place d’actions de prévention pour préparer l’arrivée d’un nouveau-né, garantir une présence éducative auprès des jeunes en difficulté, soutenir la parentalité, répondre aux parents qui viennent demander de l’aide aux services de l’aide sociale à l’enfance. Chaque année, 7 milliards d’euros, soit 20 % des dépenses départementales d’action sociale y sont consacrés.
L’enjeu de la réforme dont nous débattons est donc majeur. Pourtant, des destins tragiques d’enfants révèlent l’existence de dysfonctionnements en matière de protection de l’enfance. Le mois dernier, une petite fille de trente mois est morte à l’hôpital de Toulouse à la suite de mauvais traitements infligés par sa famille. Cette enfant avait été prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, puis était retournée vivre avec ses parents. L’affaire Marina, morte en 2009, à l’âge de huit ans, au terme d’une vie de maltraitance a soulevé des interrogations sur l’efficacité voire la responsabilité des services publics chargés de la protection de l’enfance, qui, malgré de nombreux signaux d’alerte émis par des personnes ayant côtoyé Marina, n’ont pas pu empêcher la mort de la petite fille.
Au-delà de ces cas médiatisés, les chiffres, dans ce domaine, sont dramatiques : selon les associations spécialisées dans la protection de l’enfance, deux enfants meurent encore chaque semaine dans notre pays de mauvais traitements infligés au sein de leur famille. Cent mille enfants seraient en danger, et parmi eux, 20 000 seraient proprement maltraités.
Ces dysfonctionnements nous mènent à nous interroger sur notre politique publique de protection de l’enfance. Si cette politique a déjà beaucoup évolué ces dernières années, elle doit encore être améliorée.
En effet, la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance lui a permis de gagner en lisibilité, mais aussi en efficacité. Elle poursuivait trois objectifs : renforcer la prévention, en essayant de détecter le plus précocement possible les situations à risque par des bilans réguliers « aux moments essentiels du développement de l’enfant » ; réorganiser les procédures de signalement par la création dans chaque département d’une cellule spécialisée permettant aux professionnels, liés par le secret professionnel et intervenant pour la protection de l’enfance, de mettre en commun leurs informations et d’harmoniser leurs pratiques ; diversifier les modes de prise en charge des enfants en prévoyant la possibilité d’accueils ponctuels ou épisodiques hors de la famille, sans pour autant qu’il s’agisse d’un placement en établissement ou en famille d’accueil.
Cependant, la mise en oeuvre de cette loi se heurte à de nombreux obstacles : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, insuffisance de formation des professionnels dans leur diversité, coopération parfois difficile entre les secteurs d’intervention, retard dans le développement de la prévention, prévalence du maintien du lien familial biologique dans les pratiques professionnelles. Le parcours des enfants protégés est souvent trop instable, alors que la stabilité du parcours est un élément d’équilibre nécessaire au développement de l’enfant.
La proposition de loi que nous examinons a été déposée au Sénat par Mme Michelle Meunier, membre du groupe socialiste, et Mme Muguette Dini, membre du groupe UDI-UC, en septembre 2014. Elle fait suite à de nombreux travaux et réflexions sur ce sujet, notamment le rapport d’information sur l’application de la loi de 2007 présenté par les mêmes sénatrices, ou encore le rapport relatif à la gouvernance de la protection de l’enfance de Mme Adeline Gouttenoire.
Cette proposition de loi a également fait l’objet d’une large concertation puisqu’un groupe de travail réunissant quatorze départements, l’Observatoire national de l’enfance en danger et l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée a été mis en place. Par ailleurs, en tant que rapporteure, j’ai rencontré de nombreux acteurs de terrains.
Le texte qui nous est soumis poursuit trois objectifs principaux : l’amélioration de la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, la sécurisation du parcours de l’enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et la garantie d’une plus grande stabilité de l’enfant, en particulier en adaptant son statut lorsqu’il fait l’objet d’un placement de longue durée. Chacun de ces objectifs correspond à un titre de la proposition.
Ce texte a été adopté à l’unanimité au Sénat. Cette unanimité ne doit pas nous faire oublier cependant que le texte initial a subi d’importantes modifications lors de son examen en séance, puisque dix articles ont été supprimés.
La commission des affaires sociales a examiné le texte mardi dernier. Nous avons adopté de nombreux amendements rétablissant des articles importants, notamment l’article 1er, visant à créer un conseil national de la protection de l’enfance, ainsi que l’article 12, qui prévoit de sécuriser l’adoption simple.
Diverses dispositions, destinées à favoriser les synergies et les relations de travail entre les acteurs chargés de la politique de protection de l’enfance, ont été adoptées par la commission des affaires sociales. Nous avons également adopté une disposition visant à faciliter les échanges d’informations entre les départements, d’une part, et entre le département et la caisse primaire d’assurance maladie et la caisse d’allocations familiales d’autre part.
Nous avons enrichi les missions du service de l’aide sociale à l’enfance, en y ajoutant celle de veiller au maintien des liens d’attachement noués par l’enfant avec ses frères et soeurs. Le contenu du projet pour l’enfant a aussi été précisé, de manière à en faire un document essentiel accompagnant l’enfant tout au long de son parcours. Afin d’améliorer la prise en charge des enfants abandonnés par leurs parents, la déclaration judiciaire d’abandon, actuellement définie à l’article 350 du code civil, a été réformée et centrée sur l’intérêt de l’enfant : elle se fonde sur le délaissement parental constaté.
S’agissant du volet pénal, la commission des affaires sociales s’est rassemblée autour de l’article inscrivant l’inceste dans le code pénal, article supprimé en séance publique par le Sénat. Des centaines de milliers de victimes attendent cette reconnaissance symbolique mais ô combien essentielle pour se reconstruire. La réflexion menée depuis plusieurs mois, en collaboration avec la chancellerie, par le groupe de travail trans-partisan créé au sein de l’Assemblée nationale et comprenant notamment MM. Bernard Roman et Sébastien Denaja, a permis d’aboutir à une rédaction rigoureuse et mesurée.
S’agissant du volet relatif aux mineurs isolés étrangers, la proposition de loi prévoit de limiter le recours aux tests radiologiques de maturité osseuse pour déterminer leur âge et de donner une base légale aux critères permettant de les répartir entre les différents services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, à la suite de l’annulation partielle, par le Conseil d’État, de la circulaire du ministère de la justice du 31 mai 2013, signée par Mme Taubira, au motif qu’une telle disposition relevait de la compétence du législateur et non du pouvoir réglementaire.
La commission des affaires sociales a donc considérablement enrichi ce texte qui comptait seize articles et qui en comprend désormais trente-sept. Nous avons redonné tout son sens à cette proposition de loi des sénatrices Meunier et Dini, qui ont réalisé un excellent travail et que je souhaite saluer aujourd’hui.
Toutes ces mesures ont un point commun : assurer une protection à tous les enfants et leur permettre de se construire un avenir. Je vous laisserai, madame la secrétaire d’État, mettre l’accent sur celles qui sont destinées aux jeunes majeurs : ce sont de très bonnes mesures, attendues par les intéressés, et que nous soutiendrons.
Chers collègues, compte tenu des avancées importantes que contient cette proposition et des enrichissements intervenus en commission des affaires sociales, dans un esprit constructif et de rassemblement autour d’un seul objectif, celui d’améliorer l’aide sociale à l’enfance, je vous invite a adopter cette proposition de loi qui donnera à l’enfant les meilleures chances d’épanouissement. Et je souhaite que nos débats dans l’hémicycle soient de même nature qu’en commission des affaires sociales.