Intervention de Isabelle Le Callennec

Séance en hémicycle du 12 mai 2015 à 15h00
Protection de l'enfant — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Le Callennec :

Des enfants meurent de mauvais traitements dans notre pays. Toujours trop d’enfants souffrent de carence affective. Les failles du système ne font que trop régulièrement la une des journaux. La protection de l’enfance concerne près de 300 000 mineurs ou jeunes majeurs.

La proposition de loi que nous examinons en séance reprend un certain nombre de recommandations d’un rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat, qui dresse un bilan de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance.

L’intention du législateur de l’époque était d’améliorer la prévention, le signalement et les interventions sociales et judiciaires. Huit ans après sa promulgation, cette loi reste une référence en matière de protection de l’enfant mais force est de constater que tous les objectifs n’ont pas été atteints.

Les principales limites ont été identifiées : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, manque de coopération entre les différents acteurs, insuffisance des formations dispensées, instabilité des parcours des enfants placés.

Alors, la question nous est posée : faut-il une nouvelle loi sur la protection de l’enfance ? Il nous est souvent reproché de trop légiférer et de ne pas suffisamment nous soucier des modalités d’application des textes votés par le Parlement. Ne convient-il pas déjà de veiller à ce que la loi de 2007 soit appliquée ? Les difficultés de mise en oeuvre relèvent-elles de la loi, du règlement ou des résistances au changement ?

S’agissant de la protection de l’enfance, partageons-nous collectivement le sens à donner à une politique qui, bien sûr, relève de l’État mais qui a été décentralisée à l’échelon départemental ? Nous sommes-nous suffisamment interrogés en commission des affaires sociales sur la façon d’améliorer la gouvernance ? Avons-nous fait le tour de la question des moyens à consacrer à cette politique, lesquels atteignent 7 milliards annuels ?

Le texte que nous voterons – ou pas – et les deux cents amendements examinés en commission permettront-ils vraiment d’améliorer le sort de milliers d’enfants aux histoires douloureuses, aux parcours perturbés et dont l’insertion socioprofessionnelle est donc plus difficile ? Opérera-t-il ce vrai changement de culture attendu par nombre des professionnels qui nous regardent ?

À l’UMP, nous aurions aimé en débattre davantage en commission, madame la présidente, prendre le temps de l’échange, après les auditions très riches, les témoignages de ceux et celles qui vivent les réalités de terrain. Malheureusement, le temps nous aura été compté, les délais de dépôt des amendements auront été raccourcis et les croisements de regards entre les commissions insuffisants.

Même le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, a dû déposer une quinzaine d’amendements en dernière minute, des amendements de fond comme celui sur l’accompagnement des jeunes sortant des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance ou l’accès à la nationalité des enfants accueillis en kafala.

Et nous apprenons ce matin même que nos débats en séance pourraient se poursuivre demain soir. Ce n’est assurément pas respectueux des députés, qui s’organisent pour travailler sérieusement sur des textes sérieux.

C’est pour toutes ces raisons que je défends cette motion de renvoi en commission.

Le texte, au Sénat, faisait consensus. Or, il est significativement réécrit alors que plusieurs articles nécessiteraient un travail plus approfondi de notre part. Permettez-moi d’en décliner quelques-uns.

Au début de l’article 1er, nous aurions dû veiller à peser chaque mot de la définition de la protection de l’enfance et modifier l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles. C’est l’objet de l’amendement de notre collègue Claude Greff. Voici le début de la définition qu’il propose : « La protection de l’enfance a pour but de protéger les enfants dont la sécurité ou le développement physique, intellectuel, affectif et social est compromis ou en risque de l’être. Elle comporte à cet effet un ensemble d’interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. »

L’article 1er crée le Conseil national de la protection de l’enfance. Nous devrions davantage détailler ses missions – vous connaissez notre aversion pour la création de nouvelles structures, la superposition des procédures ou la complexification des circuits de décisions. Si cette instance devait être finalement mise en place, nous attendons à tout le moins que l’Observatoire national de la protection de l’enfance dont il est question à l’article 3 lui soit rattaché et que le pilotage revienne bien au Conseil national.

L’article 2 confie aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance une mission relative à la formation continue des professionnels. Actuellement, cette formation fait cruellement défaut, il n’est qu’à échanger avec les travailleurs sociaux, les assistants familiaux, les professionnels qui interviennent dans les établissements spécialisés pour le savoir.

Des expériences réussies de co-formation existent à travers le croisement des savoirs et des pratiques, à l’instar du travail remarquable réalisé par ATD Quart Monde, pour ne citer que cet exemple. Le pilotage de la formation continue devrait logiquement revenir au conseil départemental mais la collectivité compétente en matière de formation professionnelle est la région. Alors qui pilotera, demain ? Qui financera ? Quel sera le contenu des formations ? Quelle sera la valorisation des parcours des professionnels qui se forment ? Nous sommes loin d’avoir épuisé le sujet.

L’article 4 concerne la désignation d’un médecin référent chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux et les professionnels de santé. Il s’agit là de décloisonner et de favoriser la coopération. Mais celle-ci se pratique déjà dans certains départements et le médecin de la PMI, a priori, apparaît comme le référent naturel. Il ne serait donc pas le seul ? En tout état de cause, la circulation de l’information entre l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance ne se décrète pas et impose de faire évoluer la notion de secret professionnel en secret professionnel partagé.

Ce qui vaut pour les médecins vaut également pour l’institution judiciaire ou l’éducation nationale. Une évolution des pratiques et des mentalités est absolument nécessaire.

L’article 5 A complète le rôle du service de l’ASE, qui avait deux missions essentielles : la protection des enfants et la restauration de l’autorité parentale défaillante. Désormais, l’ASE devra veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à maintenir des liens de fratrie. Pour ce faire, l’un des outils sera le projet pour l’enfant, évoqué à l’article 5.

Ce document existe déjà, puisqu’il a été créé par la loi de 2007, mais le moins que l’on puisse dire est que les départements se le sont très inégalement appropriés : un PPE ne serait rédigé que pour 15 % des enfants confiés à l’ASE. D’où l’idée de créer un référentiel commun de nature à harmoniser les pratiques. Pourquoi pas, lorsqu’il n’existe pas ? Mais certains départements en disposent déjà, alors veillons à laisser une marge de liberté aux équipes pluridisciplinaires.

À cet égard, nous sommes d’accord pour lister les actes usuels que la personne qui accueille l’enfant ne peut accomplir, mais il est inutile de lister ceux qu’elle peut accomplir : par défaut, ce sont tous les autres.

Les articles 12 à 16 concernent l’adoption. Quand ils ont fait l’objet d’un véritable débat, nous sommes parvenus à un consensus, par exemple en fusionnant les amendements de Denys Robillard, du groupe SRC, et de Bérengère Poletti, du groupe UMP.

Il en est de même après l’article 22 : l’article relatif à l’inceste, également porté par un député PS et des députés UMP, a fait l’objet d’un vote unanime en commission.

Mais, s’agissant de l’adoption, nous restons sur nos gardes et sommes très vigilants face à tout amendement qui pourrait être prétexte à relancer des débats clivants dont la société française se passerait bien.

L’article 18 substitue la notion de délaissement à la notion d’abandon, mais contre l’avis de la commission des lois. Pour nous, ces deux notions ne recouvrent pas, a priori, les mêmes réalités. Un enfant serait considéré comme délaissé dès lors que ses parents n’entretiendraient pas avec lui des relations nécessaires à son développement psychologique, social ou éducatif pendant un an. Est-ce à dire que la notion d’abandon est totalement supprimée de notre arsenal juridique ?

Enfin, et j’en terminerai par là, le sujet qui fâche : l’article 21 bis, relatif aux mineurs étrangers isolés, supprime les tests osseux pour déterminer leur âge. Si chacun admet que cette technique n’est pas certaine à 100 %, elle fait pourtant partie d’une liste d’examens médicaux qui figurent dans la circulaire de la ministre de la justice en date du 31 mai 2013, circulaire rédigée après concertation avec l’ensemble des institutions concernées par l’accueil des mineurs étrangers isolés. Le sujet est loin d’être épuisé et nous aurions dû profiter de cette proposition de loi pour apporter des réponses claires aux départements qui, avec raison, s’interrogent sur l’augmentation de la charge.

En conclusion, chers collègues, compte tenu de notre volonté commune de veiller à l’intérêt supérieur des enfants et des familles, constatant que trop d’enfants souffrent d’absence d’affection ou vivent des drames familiaux, nous souhaitons vivement affiner la proposition de loi qui nous est soumise.

C’est la raison pour laquelle, et j’espère que je vous aurai convaincue, madame la présidente de la commission, je réitère ma demande de renvoi en commission. Voter des lois, ce peut être utile, mais voter des lois utiles, ce devrait être notre première préoccupation de législateur.

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