Je suis apiculteur en Haute-Garonne depuis 1979 et membre de la Fédération française des apiculteurs professionnels, qui regroupe des éleveurs d'abeilles vivant exclusivement des produits de la ruche et souhaitant continuer à exercer leur activité sur l'ensemble du territoire, comme M. Le Foll le leur a promis.
Il n'y a plus aujourd'hui de zones du territoire qui échappent à la problématique apicole. En 1995-1996 pour l'ouest et le centre, puis en 1997-1998 pour le sud-ouest, ont été dressés les premiers constats de dysfonctionnements des ruches : comportements anormaux des abeilles et des colonies, affaiblissements rapides et dépopulations. Ces phénomènes, auxquels nous n'avions pas été confrontés jusqu'alors, ont eu pour conséquence immédiate une baisse très importante des récoltes, puis une forte augmentation du taux de mortalité en automne et en hiver, les colonies survivantes étant très faibles en sortie d'hivernage.
Ces dysfonctionnements ont été observés à grande échelle, dans des exploitations aux pratiques très diverses. Nous avons mené des investigations en étudiant différents paramètres, notamment les conditions météorologiques et climatiques, ainsi que les végétaux cultivés. Le premier point commun qui en est ressorti est qu'il s'agissait toujours de zones de grandes cultures, essentiellement le tournesol et le maïs.
Dans ce contexte, nous avons également cherché du côté des traitements phytosanitaires. Le seul changement significatif dans les zones concernées résidait dans l'introduction et le développement de l'utilisation d'un nouveau traitement insecticide en enrobage de semence, le célèbre Gaucho, principalement sur le maïs et le tournesol. À l'époque, le traitement de semences affichait une image positive : une faible dose de matière active, appliquée exclusivement sur la graine en remplacement de l'épandage en plein, ou des microgranulés dans le rang de semis, se voulait moins nocive et était donc plus acceptable socialement.
Très rapidement, les apiculteurs ont fait part de leurs observations et de leurs soupçons aux administrations concernées, qui sont d'abord restées dubitatives et n'ont rien fait. Au bout d'un certain temps, la recherche s'est, elle, saisie du sujet. Deux caractéristiques de l'enrobage de semences ont été mises en évidence : d'une part, la systémie, c'est-à-dire la migration du produit dans toutes les parties de la plante – notamment le pollen et le nectar, ce qui nous concernait – d'autre part la rémanence, c'est-à-dire la persistance dans le sol – ce qui fait qu'une plante cultivée sur un sol où s'étaient trouvées des semences enrobées les années précédentes pouvait se trouver entièrement contaminée, y compris si elle n'avait pas été traitée elle-même.
Ces éléments ont conduit au retrait du Gaucho pour le tournesol en 1999 et pour le maïs en 2004. En 2013, un moratoire a été mis en oeuvre, interdisant l'utilisation en traitement de semences de trois néonicotinoïdes – l'imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxam – pour le tournesol, le maïs et le colza. Cependant, depuis l'introduction du Gaucho en 1994, l'utilisation des néonicotinoïdes s'est très largement répandue, s'étendant aux cultures à paille – notamment les blés et les orges – ainsi qu'au maraîchage, à la viticulture, la sylviculture, l'arboriculture, et même au traitement des bâtiments d'élevage et des charpentes.
Si l'on peut penser que les procédures étaient inadaptées, il y a vingt ans, pour évaluer la toxicité de telles molécules, on doit s'étonner de voir que certaines préparations obtiennent encore une homologation de nos jours : je pense notamment à un produit associant le Gaucho à un fongicide, homologué la semaine dernière.
Aujourd'hui, la situation de l'apiculture est dramatique. Premièrement, les négociants ont constaté un effondrement de la production de miel : nous avons perdu 70 % de notre capacité de production, passée de 40 000 tonnes avant 1995 à 12 000 tonnes – hypothèse optimiste – en 2014.
Deuxièmement, s'il y a toujours eu un certain taux de mortalité chez les abeilles, on assiste désormais à une surmortalité – apparue en même temps que les néonicotinoïdes – au sein de toutes les exploitations. Ainsi, les pertes hivernales, qui étaient comprises entre 5 % et 8 %, sont-elles passées à 25 % à 30 %, voire à 50 % dans certaines régions ; on constate par ailleurs un nombre important de ruches de non-valeur, c'est-à-dire improductives, tout au long de la saison, ce qui donne un surcroît de travail considérable aux apiculteurs – notamment en termes de nourrissage ou de remplacement des reines, pour remettre la colonie en état – sans rémunération en compensation.
Au fil des années, les apiculteurs ont épuisé toutes les solutions techniques pour compenser l'effondrement des colonies d'abeilles qui ne peuvent plus survivre sans eux, et considèrent se trouver désormais dans l'impasse : il leur paraît impossible de maintenir un cheptel en état de production.
La problématique s'est mondialisée : il est clair qu'il ne s'agit pas, comme on nous l'a dit en 1994 lorsque nous étions les premiers à le constater, d'un problème franco-français. Nous avons fait notre travail de lanceurs d'alerte très tôt et la science a démontré que nous avions vu juste, au travers d'études confirmant semaine après semaine nos observations et nos hypothèses.
Nous ne comprenons pas pourquoi les autorités ont continué à autoriser de tels produits en sachant que les procédures d'homologation étaient inadaptées, ni pourquoi elles permettent des pratiques, notamment celle du traitement préventif, en totale contradiction avec les principes de l'agro-écologie pourtant promus par le ministère de l'agriculture. Il y a eu une petite avancée avec le moratoire partiel de 2013, mais il vous revient désormais, mesdames et messieurs les députés, de prendre les décisions qui s'imposent. De notre point de vue, il faudrait beaucoup d'imagination pour plaider en faveur du maintien des néonicotinoïdes.