Intervention de Jean-François Chadelat

Réunion du 4 décembre 2012 à 16h30
Commission des affaires sociales

Jean-François Chadelat, président d'honneur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie :

Nous avons célébré, en septembre 2009, les dix ans de la loi du 27 juillet 1999 qui a créé la CMU. Il s'agit de l'une des lois les plus importantes des cinquante dernières années dans le domaine de la protection sociale, qui concerne des personnes se situant largement en dessous du seuil de pauvreté. L'enquête biennale sur la santé et la protection sociale (ESPS) a montré que si, en 1998, 30 % des personnes appartenant au premier décile des revenus de la population française renonçaient aux soins, ce taux était tombé à 15 % en 2002, grâce à la CMU.

La loi de 1999 n'a pas généralisé la sécurité sociale : sa généralisation résultait déjà des lois de 1975 et, dans une moindre mesure, de 1978. La principale innovation introduite en 1999 résidait dans la création d'une assurance complémentaire santé, la CMUc, au côté d'une assurance de base. Cette dernière constitue une sorte de « voiture balai », qui affilie à la sécurité sociale les personnes n'entrant pas dans les catégories relevant des différents régimes de base, n'étant ni salariées, ni retraitées, ni au chômage, ni ayants droit d'autres assurés. Ainsi, ils peuvent bénéficier de toutes les prestations de droit commun, dans les mêmes conditions que les autres assurés, acquittant donc le ticket modérateur, le forfait hospitalier et les différentes franchises.

La CMUc représente un tournant dans l'histoire de la protection sociale : pour la première fois, les pouvoirs publics ont reconnu qu'un bon accès aux soins était également dû aux personnes à très bas revenus grâce à une couverture complémentaire offrant, sous un régime de tiers payant, une gratuité totale.

Le Fonds CMU établit, tous les deux ans, un rapport d'évaluation de la loi alors que, pour la plupart des autres textes législatifs, on ne procède qu'à une seule évaluation, une fois pour toutes. Nous avons donc publié, en novembre 2011, le cinquième rapport de ce genre.

La création d'une complémentaire santé gratuite a d'abord soulevé quelques oppositions, en premier lieu de la part de certains professionnels de santé, comme les médecins conventionnés dans le secteur 2, les dentistes, les opticiens, les audioprothésistes, désormais contraints d'appliquer des tarifs fixés par arrêtés, et, en second lieu, de la part des organismes proposant des assurances complémentaires santé, qui ne voyaient pas d'un bon oeil les caisses de sécurité sociale intervenir sur leur terrain. Avec le temps, la situation a évolué dans le bon sens. La CMUc est aujourd'hui acceptée par à peu près tout le monde.

L'association Médecins sans frontières (MSF) a fait, à l'occasion du quatrième rapport d'évaluation, le plus beau compliment qui pouvait être fait à l'égard de la loi créant la CMU. Elle expliquait que, pendant plus de dix ans, elle avait soigné des personnes sans accès aux soins dans l'attente de l'ouverture de leurs droits : la mise en place de la CMU a résolu ces difficultés et MSF a pu aussi fermer certains de ses centres médicaux pour se tourner vers d'autres activités, les bénéficiaires de la CMU étant désormais pris en charge à l'intérieur du système de soins et non dans les salles d'attente humanitaires.

À l'époque de sa création et pendant quelque temps encore, la CMU a essuyé bien des reproches. Certains ont d'abord considéré qu'elle coûtait trop cher. Or, sur la base de données arrêtées au 30 septembre 2012, la CNAMTS a établi que son coût annuel par bénéficiaire s'élevait à 444,02 euros, alors que c'est elle qui accueille le plus grand nombre de « CMUistes » et les cas les plus lourds. Pour un très bon niveau de protection, puisque 40 % des autres assurances complémentaires proposées sur le marché offrent des prestations inférieures, ce n'est donc vraiment pas cher.

On lui a également reproché de déraper. Or le taux de progression des dépenses de la CMUc est inférieur à celui de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), sauf en 2006, du fait d'un rattrapage concernant le panier de soins dentaires.

On a également prétendu que les bénéficiaires de la CMU ne respectaient pas le parcours de soins, notamment en ne déclarant pas de médecin traitant. C'était vrai au début, en raison des difficultés propres à la population concernée, souvent mal informée. Mais, depuis environ deux ans, les « CMUistes » déclarent davantage de médecins traitants que les autres assurés sociaux.

On les a enfin accusés de frauder. Or, en 2011, la CNAMTS a relevé 563 cas de fraude pour 4,4 millions de bénéficiaires. Dans la quasi-totalité des cas, il s'agissait de falsifications relatives aux conditions de ressources. L'explication de ce très faible taux de fraude tient au fait que l'on fraude généralement pour obtenir des prestations en espèces, moins fréquemment pour bénéficier de prestations en nature.

Il y a quelques années, on parlait de bénéficiaires de la CMU qui garaient leur Porsche devant le cabinet du médecin qu'ils venaient consulter ! Vérifications faites, j'ai découvert que personne ne les avait vraiment vus, qu'il s'agissait purement et simplement d'une rumeur. Jusqu'au jour où j'ai eu connaissance d'un demandeur de la CMU qui se déplaçait en Rolls-Royce ! L'affaire a même suscité des interpellations au Parlement. Il s'agissait d'un châtelain britannique qui, en effet, vivait dans un manoir de soixante-dix-sept pièces sur 50 hectares de terre et ne disposait d'aucune ressource en France. Depuis lors, la loi a été modifiée afin de prendre en considération les revenus perçus à l'étranger.

Cependant, on peut encore améliorer la CMU sur certains points. Ainsi, nous avons procédé à plusieurs « testings » pour mesurer la nature et la portée des refus de soins. Le premier a été réalisé en 2006 dans le Val-de-Marne, où nous avons constaté un taux de refus de 25 %, toutes professions de santé confondues, mais provenant essentiellement des médecins spécialistes conventionnés dans le secteur 2 et des dentistes. Trois ans plus tard, une enquête réalisée à Paris a produit des résultats à peu près similaires. Puis, nous avons voulu connaître la situation hors des villes. Le dernier test, effectué il y a un an, dans l'Orne et dans la Nièvre, a montré que les refus de soins existaient aussi, mais qu'ils touchaient également les autres assurés dans des proportions voisines. En effet, ils s'expliquent largement par la désertification médicale des zones rurales et le surencombrement des cabinets médicaux qui en résulte.

Se pose également la question du panier de soins. En décembre 1999, des arrêtés ministériels sont intervenus pour fixer, au titre de la CMU, les honoraires des différentes professions de santé, dont les prothésistes dentaires. Les tarifs retenus en la matière étaient, il faut bien le reconnaître, très déconnectés de la réalité de l'époque et les syndicats professionnels ont d'ailleurs obtenu, en 2002, l'annulation par le Conseil d'État de cet arrêté. Un nouvel arrêté a un peu corrigé les choses, mais pas totalement. En 2006, lors de la négociation d'une nouvelle convention entre la CNAMTS et les dentistes, nous avons essayé de régler définitivement ce problème et un troisième arrêté a hissé les tarifs des prothèses dentaires à un niveau maintenant acceptable.

Mais, il faut garder à l'esprit qu'un panier de soins doit évoluer. Or, en matière d'optique et d'audioprothèse, les arrêtés de 1999 sont toujours en vigueur. La CNAMTS a étudié ce qui restait à la charge des allocataires de la CMU et constaté que la gratuité, théorique, ne se vérifiait pas en pratique.

Lors de sa création, la CMU a généré un terrible effet de seuil. Pour des ressources inférieures, aujourd'hui, à 681 euros mensuels, le système offre l'équivalent d'une excellente complémentaire santé et, au-delà de ce seuil, l'assuré social devrait prendre en charge la totalité de son assurance complémentaire. La loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie a donc mis en place un dispositif d'atténuation sous forme de crédit d'impôt, mécanisme mal adapté à des personnes non imposables, et donc remplacé par un chèque santé. Mais l'appellation était juridiquement protégée et il a fallu recourir à un troisième nom : l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS), sorte de bon d'achat remis aux personnes dont les ressources dépassent de peu le plafond de la CMU et leur permettant de cotiser à une assurance complémentaire santé.

Originellement fixé à 15 % au-dessus du plafond d'attribution de la CMUc, le plafond de l'ACS a été porté successivement à 20, 26, 30 et maintenant 35 %. Toutefois, alors que les bénéficiaires de l'ACS étaient, très souvent, des personnes à qui on avait refusé la CMUc, le relèvement du plafond a permis d'accroître le volume de la population aidée. Toutefois, si le taux de non-recours à la CMUc s'établit à environ 20 %, comparable à ce qu'on observe pour l'ensemble des minima sociaux, celui de l'ACS atteint plus de 60 %.

À l'origine, les pouvoirs publics, craignant que le coût de la CMU ne s'avère trop considérable, avaient fixé son plafond à un niveau plus bas que celui du seuil de pauvreté. Puis il fut revalorisé en fonction de l'évolution de l'indice général des prix hors tabac, tandis que les salaires progressaient en moyenne de 2 % de plus, ce qui, au bout de douze ans, produit un écart de 20 à 25 %.

L'ACS se heurte en outre à une autre difficulté : le « bon d'achat », bien qu'utilisé dans 82 % des cas, ce qui est remarquable pour une population se situant en dessous du seuil de pauvreté, laisse subsister un reste à charge pour l'achat de l'assurance complémentaire. De ce fait, les personnes concernées s'adressent à des complémentaires de bas de gamme : 47 % des allocataires souscrivent à des contrats de catégorie D, qui sont les moins favorables. Ce taux est à rapprocher de celui des contrats collectifs obligatoires de catégorie A, bénéficiant en outre d'aides fiscales et sociales rappelées par la Cour des comptes, et qui s'élève à 39 %.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion