Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 5 mai 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Votre remarque espiègle renvoie à un réel essoufflement du multilatéralisme. Fidèle à sa tradition diplomatique, par-delà l'alternance des majorités, la France se montre toujours soucieuse que les négociations se déroulent dans un cadre multilatéral, qui garantit de bonnes négociations en excluant les surenchères. De manière paradoxale, ces dernières conduisent en effet souvent à retenir le moins disant. Tel est le risque quand la négociation se déroule en mode bilatéral ou entre blocs régionaux, outre le risque de fragmentation de l'espace commercial international, comme l'a souligné un récent rapport du Fonds monétaire international. Aussi la France appelle-t-elle, avec d'autres, à un retour des négociations commerciales dans le cadre multilatéral, estimant que le format actuel des négociations n'est pas satisfaisant.

La réunion ministérielle de décembre 2015 à Nairobi sera un moment important où il conviendra de défendra à la fois le multilatéralisme et nos intérêts. Il faut tendre vers un système de négociations internationales où les progrès s'enregistrent dans tous les domaines, sans fragmentation géographique ni sectorielle, en incluant donc à la fois les services, l'industrie et l'agriculture. Cette dernière s'avère la clef du succès dans la négociation globale. Nous devons mettre davantage en valeur les efforts de l'Union européenne, qui a su réformer la politique agricole commune (PAC), tout comme notre modèle agricole. Ils sont trop souvent banalisés.

Vous connaissez mon engagement sur les indications géographiques, qui établissent un lien entre la production, les terroirs et un savoir-faire. Dans une récente tribune avec le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll, j'ai défendu cette « diplomatie des terroirs », qui repose sur une certaine conception de l'agriculture et de l'alimentation. Le cycle de Doha pourrait ainsi s'achever sur l'adoption d'une liste mondiale des indications géographiques en vins et spiritueux. Ce serait un progrès extrêmement important. Voilà l'esprit dans lequel nous abordons ces négociations, où nous avons pour ambition de défendre le multilatéralisme, mais aussi de défendre les conceptions que je viens d'exposer.

Quant à la négociation sur les biens environnementaux, elle est fondamentale. Le commerce international n'a de sens que s'il n'est pas une fin en soi, comme je l'ai fait valoir lors de la dernière réunion du Conseil rassemblant les ministres en charge du commerce extérieur. Loin de toute routine, la politique commerciale doit s'inscrire dans une politique européenne d'ensemble au service de l'investissement, de l'innovation, de la croissance et du développement durable. Le commerce international n'est qu'un outil pour y parvenir. À l'heure où les négociations couvrent de nombreux domaines, personne n'établit paradoxalement de lien entre eux, comme par exemple entre le commerce et l'environnement. Aussi est-ce une première de négocier une baisse des droits de douane sur les biens qui contribuent à la préservation de l'environnement. Avant la COP21, il serait en effet paradoxal de les pénaliser. En font partie les outils de contrôle de la qualité de l'air, les appareils de traitement des sols et des eaux polluées, le matériel d'isolation phonique ou thermique, les appareils d'assainissement permettant de produire de l'eau potable, les composants d'installations d'énergie renouvelable... Trop souvent, ces produits sont aujourd'hui soumis à des distorsions tarifaires qui en compliquent le commerce.

Au niveau européen, la France soutient donc activement la démarche. Au niveau national, le Gouvernement a organisé des réunions pour définir quels biens peuvent entrer dans la liste européenne qu'il est prévu d'établir. Il s'agit en effet d'agir de manière cohérente avec les objectifs de la COP21, enceinte par excellence pour traiter de l'enjeu climatique. Si vous me pardonnez cette lapalissade, je dirais que nous posons une seule condition à la négociation sur les biens environnementaux : qu'elle débouche sur une initiative crédible sur le plan écologique. Car nous aspirons à des résultats ambitieux, cohérents, exigeants et concrets, à des avancées réelles au service de l'environnement.

Pour nourrir l'agenda de la COP21, nous voulons que soient identifiés avec précision et avec soin quels sont les biens environnementaux. En conclusion sur ce point, la France soutient un aboutissement des négociations à la fin de l'année 2015, tout en étant que consciente que ce calendrier est ambitieux.

J'en viens aux négociations sur le TTIP et au mécanisme de règlement des différends (ISDS). Je rejoins tout à fait les propos du président Brottes sur les peurs et les craintes que ces négociations ont fait naître. Oui, certaines d'entre elles sont justifiées, mais d'autres sont parfois infondées. J'ai conduit une refonte de notre comité stratégique de suivi des négociations, dont vous faites partie, madame la présidente, monsieur le président. Les groupes de travail sont en cours d'installation. Des députés, des sénateurs, des parlementaires européens y participent, aux côtés des représentants des syndicats, des organisations non gouvernementales, des fédérations professionnelles.

J'ai considéré que toute demande de création d'un groupe de travail devait y être satisfaite, pour éloigner le spectre d'un refus de communiquer des informations sur quelque sujet que ce soit. Je remercie d'ailleurs ceux d'entre vous qui s'impliquent dans ces travaux. Nous ne pouvons négocier en secret. Nos positions doivent être exposées et étayées, sans exclure d'évolution lorsque la nécessité s'en impose.

Nous serons débriefés ce jeudi par la Commission européenne sur le dernier round de négociations. D'après les informations dont nous disposons, il faut encore attendre l'adoption par le Congrès de l'acte d'habilitation (Trade Promotion Authority, TPA) qui investira officiellement les négociateurs américains et sans lequel il est difficile de faire des progrès substantiels.

À chaque stade des négociations, tous les domaines sont couverts. Il faut déplorer l'absence d'avancées américaines suffisantes au cours du dernier round. Pour la France, l'accord final sera un bon accord s'il résulte d'évolutions sur des points tels que l'ouverture des marchés publics américains. Malgré des prises de position libre-échangistes, ces marchés restent en effet très fermés. Ils doivent s'ouvrir, non seulement au niveau fédéral, mais au niveau subfédéral, à l'instar des solutions trouvées dans l'accord avec le Canada. Ce dernier impose à toutes les entités –provinces, administrations infra-fédérales…– le même standard élevé d'ouverture.

En matière d'indications géographiques, les États-Unis écartent pour l'instant les pistes de travail proposées par la Commission européenne, visant à renforcer leur reconnaissance. Il s'agit pour la France d'une ligne rouge, qu'elle défend avec constance dans les différentes enceintes internationales. En l'état actuel des négociations, les choses ne sont pas acceptables.

Les préoccupations montent dans l'opinion au sujet de la convergence réglementaire, objet de divergences marquées, notamment sur le volet institutionnel. En particulier, les États-Unis réclament de la partie européenne un dispositif de notification et d'information (notice and comment), sur toute évolution normative qui interviendrait dans l'Union européenne. Ce dispositif n'aurait pas d'équivalent du côté américain. Cela ne peut non plus rester en l'état.

Sur le plan sectoriel, peu d'avancées sont à enregistrer sur la dizaine de volets thématiques abordés. Les négociations achoppent sur l'implication des entités infra-fédérales dans l'ouverture des marchés publics. Il faut pourtant des engagements robustes sur ce point si les dispositions du futur traité doivent rester à l'abri d'un détricotage par les cours américaines et par la Cour suprême.

La France est très attentive au sort de l'agriculture. Il faut veiller à écarter tout risque de fragilisation des positions françaises sur ce sujet. Elle se focalise aussi sur les conditions de production qui puissent introduire des distorsions de concurrence, telles que le coût de l'énergie, les normes ou les standards environnementaux. Certains produits agricoles, dits produits sensibles, peuvent pâtir de cette différence des coûts de production dans le cadre d'une libéralisation accrue des échanges.

Enfin, j'en viens à l'arbitrage et au règlement des différends. Dans le cadre de notre comité de suivi stratégique des négociations, j'ai installé un groupe de travail sur l'ISDS. Cette question touche à la souveraineté, à la démocratie et à l'état de droit. La pratique de l'arbitrage a connu des dérives. D'abord conçu pour protéger les petites et grandes entreprises, y compris les nôtres, contre des décisions arbitraires, il a fait le lit de grands groupes qui attaquent devant les tribunaux des choix politiques souverains, à l'instar de Vattenfall qui a introduit contre la République fédérale d'Allemagne un recours pour sa décision de sortir du nucléaire, ou encore de Philip Morris, qui demande des milliards d'euros de dommages-intérêts à l'Australie.

La France est opposée à cette remise en cause de choix démocratiques. Elle n'a pas demandé l'introduction de telles dispositions dans le projet d'accord, car elle pourrait tout à fait s'en passer. En tout état de cause, il importe d'inventer des modalités de règlement des différends qui soient adaptées au commerce international du XXIème siècle, qui respectent le droit des États à légiférer et la capacité des juridictions nationales à dire le droit, et de trouver un juste équilibre entre les entreprises publiques et les investisseurs privés toujours susceptibles de déposer des plaintes abusives. Aussi faut-il clarifier les concepts trop flous qui peuvent rendre imprévisible la jurisprudence des tribunaux arbitraux.

Les procédures retenues doivent pouvoir être étendues à d'autres États. La France a déjà signé non moins de 107 accords prévoyant des clauses de règlement arbitral des différends. Ils sont 96 à être déjà en vigueur. Dans bien des cas, ces clauses ont certes permis de protéger nos entreprises. Mais c'est un sujet sur lequel nous restons engagés.

À terme, la négociation pourrait s'orienter vers une cour permanente de règlement des différends, qui garantisse une clarté des procédures, une professionnalisation des arbitres, une éthique, une transparence et la prévention des conflits d'intérêt. Pour faire avancer la cause européenne sur ce sujet, une démarche commune avec l'Allemagne est engagée depuis la publication du rapport de la Commission européenne sur le mécanisme ISDS. Je crois pouvoir dire que les lignes ont commencé de bouger.

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