Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 5 mai 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Quant à l'appréciation globale du TTIP, je dirais qu'un accord mal négocié peut être en effet dangereux. Je m'efforce de vous présenter avec honnêteté l'état d'avancement des négociations, mais il est difficile de communiquer au sujet de ces négociations, alors qu'elles déboucheront sur des engagements qui sont encore devant nous. À ce stade, la France fait valoir ses souhaits et ses intérêts. Mais l'appréciation globale devra porter sur l'accord finalisé.

Pour le CETA, le Gouvernement estime qu'il s'agit d'un bon accord, qui contient des avancées importantes sur la protection des indications géographiques. Il en reconnaît 42, qui viennent s'ajouter à celles qui étaient déjà reconnues dans l'accord de 2004 sur les vins et spiritueux. Mais ne nous voilons pas la face : rien de tel n'est finalisé aujourd'hui pour le TTIP.

Oui, monsieur Laffineur, mon sentiment est que les Américains veulent que les négociations progressent. L'année 2014 était peu propice à l'avancement des négociations, du fait des échéances électorales américaines, mais aussi du renouvellement des institutions européennes. Aussi les négociations arrivent-elles à un moment important avec l'adoption du TPA. Elle est prévue ce mois-ci, mais ce n'est pas l'administration américaine qui fixe l'ordre du jour du Congrès.

Les lignes rouges de la France sont constamment réaffirmées. Nous refusons de faire entrer dans le champ de la négociation les services audiovisuels ou la protection des données personnelles, non plus que les préférences collectives, car elles relèvent de choix de société. Sur le plan alimentaire, nous ne voulons pas de boeuf aux hormones, de poulet chloré, d'OGM ou de viande portant la trace d'une décontamination chimique.

En exigeant de pouvoir conserver nos propres règles, nous laissons à l'inverse à la partie américaine la liberté d'appliquer les siennes. Nous ne devrons pas forer pour chercher du gaz de schiste si nous n'en voulons pas. Mais les Américains pourront continuer à le faire s'ils le souhaitent.

Quant à la défense des services publics, le chapitre 20 du mandat de négociation est clair à leur sujet. Les clauses de préférence locale ou le recours privilégié aux circuits courts ne seront pas touchés par le TTIP, dans la mesure où ces mesures s'appliquent de manière égale à toutes les entreprises des États parties à cet accord.

Je persiste à penser, monsieur Piron, que la « diplomatie des terroirs » est une bonne formule. Elle fait sentir comment les négociations commerciales retentissent sur la réalité quotidienne des Français, consommateurs comme producteurs. Cela rend d'autant plus aigüe la nécessité d'en rendre compte.

Je rejoins les analyses de certains d'entre vous sur l'opacité qui entoure les négociations. Elles prenaient en effet un mauvais départ si le mandat de négociation n'avait pas été publié. Il n'est pas possible d'annoncer un grand accord à grand renfort de trompette et de le négocier en vitesse et en cachette pour mettre l'opinion devant le fait accompli.

Notre comité de suivi stratégique permet de mener à bien le nécessaire travail de transparence. Je me suis déjà rendu devant la commission des affaires économiques, devant la commission des affaires étrangères, mais aussi devant le Sénat. Sur le site Internet du ministère des affaires étrangères, une page spécifique est consacrée aux travaux du comité de suivi.

La question de votre accès aux documents consolidés se pose aussi. Le Gouvernement exige que les parlementaires français puissent les consulter auprès d'administrations nationales et non dans les ambassades américaines, car ces lieux sont sous souveraineté américaine. Nous ne sommes parvenus à un résultat à ce stade.

Pour les études d'impact, je n'en reprendrai aucune à mon compte, car elles ne me semblent pas fiables. Des contributions supplémentaires doivent être apportées. Je rencontrerai prochainement des responsables d'organismes de recherche publics. Mais le parlement peut lui aussi conduire ses propres évaluations, en complément d'une expertise universitaire faisant la place à différentes écoles de pensée économiques. En tout état de cause, il faut cesser de croire qu'il est possible de chiffrer à l'euro près par famille les gains attendus du TTIP.

Les agriculteurs comprennent très bien les enjeux de ces négociations, et les suivent de très près, comme je m'en rends compte au cours de mes échanges avec eux dans le Lot-et-Garonne. Il faut impérativement mener le combat des indications géographiques protégées (IGP). Les IGP et les marques incarnent deux systèmes qui véhiculent deux conceptions différentes de l'agriculture et de l'alimentation. Ce n'est pas grandiloquent de dire qu'une offensive mondiale est lancée en ce domaine.

S'il faut se battre sur tous les sujets, il convient d'être conscient aussi de ce que les négociations commerciales internationales continueraient même en cas d'échec du TTIP, par exemple des négociations commerciales entre les États-Unis et l'Asie. L'Union européenne courrait alors le risque de se voir imposer des normes définies indépendamment d'elle. Je regrette que les négociations actuelles se déroulent entre deux grands blocs plutôt que dans un cadre multilatéral. Leur échec ne consacrerait pourtant certainement pas un succès des positions françaises.

Quant aux clauses environnementales et sociétales, je connais votre attachement, monsieur Potier, à ces sujets. Au niveau international, la réflexion doit être menée dans les enceintes adéquates, là où elle peut aboutir. Je mettrais donc en garde contre la tentation de greffer sur des négociations où ne pourraient être obtenues que des avancées peu satisfaisantes le sujet du respect des droits de l'homme par les entreprises. À la suite de la proposition de loi de l'Assemblée nationale à ce sujet, la Commission a déjà formulé des propositions dignes d'intérêt.

Pour ce qui est des préférences alimentaires, rien ne permet de dire à ce stade qu'elles pourraient être remises en cause. En matière d'environnement, le forum de négociation le plus pertinent me semble être la session du cycle de Doha consacrée aux biens environnementaux ainsi que la COP21, où peuvent être adoptés un relèvement des normes ainsi que des standards rigoureux qui seront opposables à tous.

J'ai organisé le premier forum des PME à l'international, au Quai d'Orsay, le 11 mars 2015. Il faut les soutenir dans leurs efforts pour exporter. Elles sont deux fois moins nombreuses à exporter en France qu'elles ne le sont en Italie, et trois fois moins qu'en Allemagne. Toutes les mesures visant à faciliter leur information, à simplifier les procédures et à les soulager des tracasseries administratives seront donc positives. Cela vaut tant pour les PME dans l'industrie que pour les petites exploitations agricoles. Il n'est pas normal qu'un petit producteur de pommes désireux d'exporter aux États-Unis doive soumettre sa production à deux contrôles phytosanitaires successifs, voire payer le déplacement des contrôleurs américains en Europe. Cela pénalise les petites entreprises plus encore que les grandes.

En matière d'énergie, les préférences de chacun sur le gaz de schiste ou les hydrocarbures seront respectées. Rien n'obligera la France à forer. Il en va de même pour la santé, la protection sociale, les services publics.

Quant à la nature juridique du TTIP, la Commission européenne n'a jamais dit qu'il s'agirait d'un accord mixte. La Cour de justice de l'Union européenne est consultée en ce moment sur la nature d'un accord similaire avec Singapour. Le service juridique du Conseil et les États membres sont cependant unanimes à constater qu'il s'agira d'un accord mixte. À ce titre, il sera soumis à votre approbation.

Sur le mécanisme de règlement des différends, un travail important a déjà eu lieu. À la réunion du Conseil, la France réitérera ses réserves de fond sur ce dispositif, car nous pensons qu'il n'est pas nécessaire dans cet accord. Nous ne sommes cependant pas seuls, de sorte qu'il faudra, le cas échéant, inventer de nouveaux mécanismes de règlement des différends, respectant des règles qui répondent aux différentes objections actuellement soulevées par votre assemblée et par le Sénat : des règles d'éthique visant à prévenir les conflits d'intérêt ; la possibilité d'appel devant une juridiction nationale ; l'établissement d'une cour permanente ; la clarification des concepts de nature à éviter que l'arbitrage ne puisse remettre en cause un choix souverain.

En ce domaine, le travail conjoint avec les autorités allemandes joue un rôle important. Si des progrès peuvent être réalisés, c'est par ce biais. La démarche franco-allemande reste au demeurant ouverte à d'autres États membres. Certains la rejoignent alors qu'ils s'étaient initialement prononcés en sens opposé à la fin de l'année 2014. La Commission européenne présentera demain mercredi, devant le Parlement européen, ses préconisations relatives à l'arbitrage, puis elle les présentera jeudi à la session du Conseil au sujet de laquelle nous nous réunissions. Je serai à votre disposition pour vous rendre compte de la teneur des discussions.

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