Le constat que vous avez dressé peut être complété par deux documents. Le premier est le rapport annuel que l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) m'a remis il y a deux semaines, qui fait état d'une progression de 6 points du taux de chômage dans les quartiers dits populaires ou en difficulté depuis 2008, contre 2,3 points en moyenne nationale. La crise frappe donc plus durement dans ces quartiers qu'ailleurs. Le deuxième document auquel nous pouvons nous référer est le rapport que la Cour des comptes a rendu public en juillet dernier. Il porte sur la politique de la ville un regard plutôt sévère, puisqu'il montre qu'en dépit des efforts consentis en matière de rénovation urbaine, la situation sociale dans les quartiers concernés n'a pas évolué. J'observe néanmoins qu'il est difficile d'avoir un suivi précis des populations concernées, puisque les familles dont la situation s'améliore ont tendance à quitter ces quartiers pour être remplacées par des familles encore moins favorisées. Ces territoires concentrent donc toujours les difficultés, mais celles-ci sont le fait d'une population qui se renouvelle.
Suite à ce rapport, j'ai souhaité que soit dressé un « état des lieux » de la politique de la ville. Ce qui caractérise cette politique, c'est en effet la superposition des actions et des dispositifs, à tel point qu'elle est devenue illisible.
Permettez-moi, monsieur le président, de compléter les chiffres que vous avez donnés. Aux 751 ZUS, aux 416 zones de redynamisation et aux 100 zones franches urbaines que vous avez mentionnées, il convient d'ajouter 595 quartiers en rénovation urbaine et 2 492 en contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) ; ces mêmes CUCS concernent 497 villes : 263 ont été signés par une commune seule, 204 par un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et 30 par plusieurs communes sans leur EPCI de rattachement. J'ajoute qu'un CUCS sur cinq est cosigné par le conseil régional, et un sur trois par le conseil général. La caisse d'allocations familiales (CAF) ne signe les CUCS que dans 42 % des cas, et les bailleurs sociaux dans 26 % des cas.
Dépourvue d'unité, la politique de la ville n'est pas pour autant adaptée aux situations locales, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Elle est le fruit de l'histoire, et c'est à juste titre que l'on peut parler de « millefeuille ». De l'avis général des acteurs du secteur, il faut donc la revoir dans son ensemble.
La première priorité dans cette entreprise sera de mobiliser les ressources du droit commun. La Cour des comptes constate en effet que les ministères et les opérateurs agissant au nom de l'État en font globalement moins dans les quartiers populaires que dans les autres quartiers. La raison en est simple : la plupart du temps, nos politiques sectorielles ne sont pas territorialisées et ne reconnaissent donc pas les fractures territoriales. Remédier à ce défaut est aujourd'hui un enjeu majeur. C'est ce que nous avons fait pour les emplois d'avenir, et c'est ce que je me fixe comme objectif au travers de deux outils.
Le premier est la signature, d'ici à la fin janvier, de conventions entre le ministère de la ville et les principaux ministères concernés par la politique de la ville – logement bien sûr, intérieur, emploi, santé, éducation, justice, culture, droits des femmes, vie associative et sports... Vendredi dernier, le Premier ministre a adressé à tous une circulaire pour engager le travail. Ces conventions comporteront à la fois des objectifs opérationnels et des engagements précis quant aux crédits et aux effectifs affectés aux politiques de droit commun dans les quartiers. Les objectifs s'inscriront dans un cadre triennal et seront évaluables chaque année.
Le deuxième outil est le futur contrat de ville – la dénomination n'est pas encore définitive. Ce contrat sera signé plutôt au niveau intercommunal ; ses deux opérateurs seront le préfet et le maire de la commune concernée. Je souhaite qu'il soit obligatoirement signé par un certain nombre de directions départementales ou régionales dépendant d'autres ministères, ainsi que par des opérateurs comme la CAF, Pôle Emploi ou les agences régionales de santé (ARS). Je discute actuellement avec l'Association des régions de France (ARF) et avec l'Assemblée des départements de France (ADF), afin d'obtenir que les régions et les départements soient également tous signataires. Ces contrats porteront à la fois sur des opérations de rénovation urbaine, sur des actions de mobilisation du droit commun et sur des actions spécifiques à la politique de la ville. Je souhaite qu'ils soient mis en oeuvre au sortir des élections municipales et sur la durée du nouveau mandat, afin que les élus puissent en définir leur propre vision.
La mise en oeuvre de ces contrats de ville devra se fonder sur une réforme de la géographie prioritaire. Nous devons raisonner davantage en termes de territoires qu'en termes de zones ou de morceaux de quartiers. Il faudra bien sûr comparer la situation de ces zones avec celle qui était la leur en 1996, date à laquelle ont été définies les zones urbaines sensibles (ZUS). C'est l'objet des travaux de la commission sur les critères que pilote – notamment – M. Claude Dilain, dans le cadre de la concertation que j'ai lancée le 11 octobre à Roubaix. La technique que nous employons est celle du carroyage, qui consiste à partager chaque zone en carreaux de 200 mètres de côté, à l'intérieur desquels nous observons une série de critères sociaux – pourcentage de population dont les revenus sont inférieurs au revenu médian, taux de chômage… Cela nous permettra d'arrêter la liste des quartiers éligibles en fonction de leur situation sociale. Je sais que ces cartes suscitent des inquiétudes, et je tiens donc à vous rassurer : les communes où subsistent des poches de pauvreté importantes resteront dans le périmètre de la politique de la ville. Mais d'autres ont vu leur situation changer. Certains quartiers disparaîtront donc du périmètre de la politique de la ville à l'issue de la concertation, mais d'autres y feront leur entrée – ce sera sans doute le cas de certaines villes moyennes, ainsi que de centres-villes où des poches de paupérisation sont apparues.
Ce travail en vue de réformer la géographie prioritaire suit son cours. Près de 2 500 quartiers sont aujourd'hui concernés par un CUCS : il est possible que nous ayons 2 500 contrats de ville à l'arrivée. C'est dans ce cadre qu'interviendront le droit commun et le droit commun renforcé. Les crédits de la politique de la ville interviendront en revanche sur les quartiers les plus prioritaires que la concertation aura permis de définir. L'effet de levier des crédits spécifiques à cette politique sera ainsi plus important, et les moyens consacrés aux quartiers prioritaires pourront être accrus.
La concertation devrait s'achever fin janvier. Elle débouchera sur des décisions au cours d'un comité interministériel que le Premier ministre présidera début février et, si nécessaire, sur des mesures législatives dans le courant du premier semestre 2013.
La péréquation est un élément important de la politique de la ville. Le Gouvernement a d'ailleurs proposé au vote du Parlement, dans la loi de finances, une augmentation historique de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de développement urbain (DDU). Nous aurons l'occasion d'en reparler : je proposerai que les 25 millions dont vous avez accru la DDU soient plus spécialement affectés aux 50 communes les plus pauvres. Une circulaire sera par ailleurs adressée aux préfets afin d'assouplir l'attribution de cette dotation et de la déplafonner. Sur certains projets, il est en effet difficile de distinguer ce qui relève de l'investissement et ce qui relève du fonctionnement.
L'exécution du premier programme national de rénovation urbaine (PNRU) se poursuit. Son financement est assuré pour les trois prochaines années, grâce à la lettre d'engagement mutuel qu'ont signée la ministre de l'égalité des territoires et du logement et Action Logement, qui s'engage à hauteur de 800 millions d'euros. J'ai pour ma part l'assurance de disposer chaque année, si besoin est, des 250 à 300 millions de l'État nécessaires pour mener des opérations à bonne fin.
Les élus attendent maintenant une nouvelle génération d'opérations de renouvellement urbain. C'est un travail qu'il nous faudra entamer en 2013. Un certain nombre de ZUS n'ont en effet pas été touchées par ces opérations, et certains quartiers doivent être terminés. Nous devrons trouver le dispositif et les financements pour parachever la réussite que constituent ces recompositions et restructurations de quartiers dans de nombreuses villes de France.
Je vous précise pour finir que j'ai confié à M. François Pupponi mission de me faire des propositions en vue d'améliorer les outils de la péréquation, dans le cadre de la concertation. J'ai également confié à l'ONZUS, présidé par Mme Bernadette Malgorn, une mission d'évaluation de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Il s'agit de collecter les évaluations parcellaires qui ont déjà été faites afin de pouvoir vous présenter un bilan global.