Je n'ai pas parlé de la surprise stratégique, car je n'ai pas fait un exposé de stratégie, me contentant d'évoquer ce qui me paraît essentiel aujourd'hui : le financement de la défense. On se demande souvent à quoi sert l'armée. Autrefois, on savait que l'on se trouvait face à l'Allemagne, face au Pacte de Varsovie. Aujourd'hui, c'est plus compliqué. Constatant que l'histoire du monde est une succession de surprises stratégiques, il faut avoir l'humilité de considérer que des capacités militaires peuvent exister, même si l'on ne sait pas très exactement dans quel cadre elles vont être employées. Ce n'est pas parce que le Rafale ou le Leclerc ont été conçus au temps de la guerre froide, qu'ils ne peuvent pas trouver des cadres d'emploi dans les interventions militaires actuelles.
Vous avez fait allusion à la décision d'un gel de 30 % des avancements. Elle est tout à fait scandaleuse, en raison de la manière dont semble-t-il elle a été envisagée, au détour d'une réunion budgétaire entre les deux ministères. Je crois comprendre que le ministre et les parlementaires ont réagi et demandé que l'on revienne dessus.
Dans la fonction militaire, comme dans la fonction publique territoriale, le GVT est largement la conséquence mécanique de l'application des statuts, à la suite d'un changement d'échelon ou de grade. Toutefois, il est beaucoup demandé à ceux qui s'engagent dans le métier des armes. Ils doivent faire preuve d'une grande disponibilité, ils peuvent être atteints dans leur chair, ils risquent leur vie : nous déplorons 88 tués en Afghanistan, et plus de 600 blessés ces dernières années. Pourtant, même si ce point a été mieux pris en compte, les sujétions de l'état militaire sont assez mal indemnisées. Dans ce cadre, le tableau d'avancement est un élément fondamental du moral des armées. Le remettre en cause, c'est toucher à une quasi-liturgie. C'est ce que ceux qui ont laissé passer cette mesure n'avaient pas saisi. Il ne s'agit pas d'une simple mécanique administrative : cela touche beaucoup plus profondément l'institution militaire. C'est une forme de reconnaissance. L'apparition des « feuilles d'automne » – le tableau d'avancement et les listes d'aptitude – est un moment essentiel de la vie militaire. Y toucher, comme s'il s'agissait d'une simple mesure d'ajustement budgétaire, c'est méconnaître profondément les ressorts et le fonctionnement de l'institution militaire.
Sur votre second point, permettez-moi enfin de préciser ma pensée. Dans le système de la Ve République, celui qui est la clé de voûte de notre défense, c'est le Président de la République, chef des armées. Sous la IVe République, le Président était aussi chef des armées, mais c'était purement honorifique : René Coty a à peine été mis au courant de l'opération de Suez, qui fut mise au point entre Guy Mollet et Anthony Eden. Aujourd'hui, le Président de la République a été doté, par l'article 15 de la Constitution, de la présidence du Conseil de défense, qui définit l'outil militaire, et de celle du Conseil restreint, qui définit l'emploi des forces. C'est ce qui fait des armées un corps tout à fait spécial dans la nation, du ministre de la défense un ministre particulier dans le dispositif constitutionnel, et du chef d'état-major des armées un haut fonctionnaire singulier. Il est évident que tout cela doit recevoir la consécration du Parlement, mais la caractéristique majeure de la Ve République, c'est le fait majoritaire et les risques qu'un Parlement vote contre une décision prise en Conseil de défense sont extrêmement minces. Ne me faites donc pas un procès en antiparlementarisme !
Du reste, je veux vous dire que Bercy n'a pas à décréter la politique de la nation et doit se contenter, ce qui est déjà considérable, de mettre en oeuvre le volet budgétaire de la politique définie par le Gouvernement et le Président de la République.