C'est avec un grand plaisir que je reviens m'exprimer devant la Délégation aux droits des femmes. Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir rappelé mon engagement personnel sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, que je souhaite également voir adoptée le plus rapidement possible.
Conformément aux engagements du Président de la République, le Gouvernement auquel j'appartiens est très engagé en faveur des droits des femmes. Ce sujet revêt une très grande importance au regard de la lutte contre l'exclusion puisque 4,7 millions de femmes en France sont en situation de pauvreté monétaire, soit 15 % de femmes, contre 14 % en moyenne chez les hommes, en particulier chez les moins de vingt-cinq ans avec quatre points d'écart entre les hommes et les femmes. La pauvreté monétaire correspond à un niveau de revenu inférieur à 60 % du revenu médian : pour une femme seule, ce revenu est inférieur ou égal à 987 euros ; pour une femme avec un enfant de plus de quatorze ans, il est inférieur ou égal à 1 480 euros par mois.
Certes, la situation s'est améliorée puisque l'écart entre le taux de chômage des femmes et celui des hommes a été divisé par quatre en vingt ans. Néanmoins, les inégalités salariales perdurent et les femmes se retrouvent souvent seules pour élever leur(s) enfant(s). Vous l'avez dit, madame la présidente : un ménage monoparental sur trois se trouve en situation de pauvreté ; or dans neuf cas sur dix, ce sont des femmes qui sont à la tête de ces foyers.
Faire rempart contre la pauvreté nécessite de créer des droits, mais aussi de faciliter l'accès aux droits, car s'il en existe un grand nombre dans notre pays, les potentiels bénéficiaires n'y ont pas toujours recours. Il faut donc rendre les droits effectifs, et c'est le sens de la mise en place par les caisses d'allocations familiales (CAF) des « rendez-vous des droits », une des mesures inscrites dans le plan pauvreté. Il s'agit de rendez-vous qui durent plus longtemps que des rendez-vous ordinaires et au cours desquels les personnes bénéficient d'une analyse complète de leur situation pour identifier les prestations sociales auxquelles elles ont droit. Ces rendez-vous peuvent être proposés en cas de situation complexe, lorsque la personne a droit à plusieurs prestations, mais aussi en cas de parcours spécifique – naissance, décès ou rupture familiale. Les ruptures familiales touchent particulièrement les femmes, puisqu'elles peuvent tomber dans la pauvreté après une séparation, a fortiori si elles se retrouvent seules avec leur(s) enfant(s). Le bilan 2013-2014 du plan pauvreté montre que, sur 100 000 « rendez-vous des droits » annuels prévus, 130 000 ont été réalisés à fin 2014 ; l'objectif a donc été rempli. Néanmoins, j'ignore s'ils ont permis un meilleur accès aux droits pour les personnes reçues, car ces données ne m'ont pas encore été transmises par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
Pour protéger contre la pauvreté, il faut aussi plus de simplicité. C'est pourquoi la feuille de route 2015-2017 du plan pauvreté prévoit la création d'un « coffre-fort numérique » qui conservera les pièces d'une institution à l'autre, afin que les personnes n'aient pas à refournir l'ensemble des pièces à chaque demande de prestation. Le dossier unique, envisagé initialement, n'a pas été retenu car ce ne sont pas les mêmes ressources qui sont utilisées pour l'attribution de chaque prestation sociale, et il aurait donc fallu changer les bases ressources.
Au-delà de cette simplification et de la facilitation d'accès aux droits, nous avons revalorisé un certain nombre de prestations sociales destinées aux personnes les plus fragiles.
Le RSA a été revalorisé de 2 % par an, et il est prévu que cette augmentation atteigne 10 % à la fin du quinquennat. Le RSA socle pour une personne seule s'élève actuellement à 500 euros par mois.
L'allocation de soutien familial (ASF), destinée aux familles monoparentales, a été augmentée de 5 % en 2014 et en 2015, ce qui représente un montant de 5 euros par mois et de 60 euros par an. Cela concerne 730 000 familles.
Le complément familial majoré destiné aux familles nombreuses – composées d'au moins trois enfants âgés de plus de trois ans – a été revalorisé de 10 % par an, soit 17 euros par mois et 200 euros par an. Cela a concerné 800 000 ménages en situation de précarité.
Sans ces prestations sociales, le taux de pauvreté des familles monoparentales, actuellement de 33 %, s'élèverait à plus de 50 %. C'est la preuve que ces prestations sociales tiennent leur rôle en limitant la précarité.
Protéger contre la pauvreté, c'est aussi permettre aux femmes sans domicile d'avoir un toit. Le plan avait prévu la création de 5 000 places d'hébergement, dont un tiers réservé aux femmes victimes de violences. L'objectif a été dépassé en termes de places d'hébergement, puisque 7 000 places ont été créées depuis 2013. En revanche, il n'est pas encore rempli s'agissant des places réservées aux femmes victimes de violences, soit 1 500 à 2 000 nouvelles places, en raison de deux freins majeurs. Le premier est que, parmi les nouvelles places, un grand nombre sont des places d'hôtel créées dans l'urgence pour accueillir les personnes sans domicile. Le second est que les structures d'accueil sont habituées à accueillir les personnes sans domicile, mais pas des publics spécifiques. D'où l'intérêt de ces places spécifiques, et même de structures spécifiques, l'accueil de personnes sans domicile et l'accueil de femmes victimes de violences étant deux métiers différents.
Les familles sont prioritaires pour être accueillies à l'hôtel. Évidemment, beaucoup de femmes avec leurs enfants y sont logées, dans les conditions que vous imaginez : une chambre, pas de quoi faire la cuisine avec les colis de l'aide alimentaire... C'est pourquoi un plan de réduction des nuitées hôtelières, coordonné par Sylvia Pinel, ministre du Logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité prévoit la création d'ici à 2017 de solutions alternatives qualitatives avec un accompagnement social systématique des familles. Car actuellement, les familles dans le besoin appellent le 115, dans le meilleur des cas elles sont logées à l'hôtel, mais sans aucun accompagnement social, si bien qu'elles ne peuvent pas résoudre leurs difficultés. Ainsi, transformer les nuitées hôtelières en nuitées dans des structures alternatives permettra de mettre en place cet accompagnement qui bénéficiera à un grand nombre de femmes.
Protéger encore, c'est évidemment permettre de se soigner. Ce sont des mesures que vous connaissez, puisque vous venez d'adopter en première lecture le projet de loi relatif à la santé, porté par Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Mais il m'est difficile de vous parler de précarité des femmes sans vanter les mérites du tiers payant généralisé, qui permettra à des millions de gens de se soigner sans avoir à avancer les frais médicaux, mesure essentielle qui concerne aussi bien les femmes que les femmes. De la même manière, la prise en charge à 100 % des actes avant et après l'interruption volontaire de grossesse (IVG) viendra renforcer le droit à l'IVG. Je sais que vous êtes en pointe sur ce sujet, en ayant notamment soutenu la suppression du délai de réflexion, qui a été votée.
En plus de protéger les femmes, il faut leur donner confiance et les sécuriser dans les parcours, car la précarité est souvent provoquée par les ruptures familiales, mais aussi les ruptures professionnelles, notamment à la suite de la naissance des enfants. On le sait : beaucoup de femmes arrêtent de travailler après une troisième naissance, ce qui peut engendrer un relatif isolement social, voire un isolement psychologique – il est parfois difficile de se réinsérer après être restée à la maison pendant plusieurs années. Quand je dis « donner confiance et sécuriser les femmes », loin de moi l'idée de penser qu'elles sont fragiles ou plus fragiles, notamment psychologiquement, que les hommes. Simplement, elles se retrouvent plus souvent dans des situations qui les fragilisent, puisque les familles monoparentales sont à 85 % des femmes avec enfants. L'objectif est donc de les aider à sortir d'une situation difficile et à se reconstruire, sachant que 60 % des mères célibataires se disent aujourd'hui fréquemment angoissées et que, de manière générale, les femmes sont deux fois plus souvent atteintes que les hommes de troubles dépressifs – encore que cette proportion doive être relativisée car la dépression se manifeste sous d'autres formes chez les hommes.
Dans cet objectif de sécurisation des familles monoparentales, la garantie contre les impayés de pension alimentaire a été votée dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, portée par Najat Vallaud-Belkacem, et je sais que vous y avez pris une part active. Ce dispositif est expérimenté dans vingt départements et devrait être généralisé rapidement. Le bilan en la matière montre que 1 000 pensions alimentaires minimales ont été versées à ce jour pour un montant moyen de 45 euros par enfant et par mois. Les choses démarrent, donc, et il faut renforcer le travail d'information car le nombre de femmes seules ne percevant pas de pension alimentaire est élevé.
J'en viens au temps partiel, sujet qui vous tient à coeur. On le sait : le temps partiel est le plus souvent subi par les femmes, et non souhaité ; elles sont donc nombreuses à vouloir travailler davantage. Un grand nombre de femmes à temps partiel travaillent dans le secteur de l'aide à domicile, auprès des personnes âgées et des personnes handicapées, et elles cumulent de faibles rémunérations, des temps de déplacement importants, des horaires décalés et des temps d'inactivité contraints. Certes, l'accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l'emploi a imposé 24 heures de travail minimum par semaine, sauf accord de branche, mais de nombreuses dérogations existent, si bien que la loi ne suffira pas à résoudre le problème du temps partiel.
C'est la raison pour laquelle la feuille de route 2015-2017 comporte une mesure, soutenue par François Rebsamen, ministre du travail, consistant à encourager un plan de développement des groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ). En effet, le groupement d'employeurs permettra aux femmes d'occuper plusieurs emplois à temps partiel sans cumuler les inconvénients de plusieurs employeurs, par exemple lorsqu'ils leur opposent un refus sur leurs dates de vacances.
Le temps partiel pose également un problème aux femmes lorsqu'elles veulent trouver un mode de garde pour leurs enfants. Comme vous le savez, le Gouvernement avait promis en 2013 la création de 275 000 solutions d'accueil d'ici à 2017. Certes, cet objectif est loin d'être atteint, mais les élections en 2014 ont retardé les projets des communes ou communautés de communes. Ma collègue Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la Famille, des personnes âgées et de l'autonomie a donc décidé de relancer le plan crèches, avec une aide supplémentaire de la CNAF de 2 000 euros par place de crèche dont la création est décidée en 2015.
En outre, les crèches étant plus souvent accessibles aux parents qui travaillent, et non à ceux en situation de précarité, le plan pluriannuel contre la pauvreté prévoit que 10 % des enfants de familles pauvres doivent être accueillis au sein des crèches, objectif qui a été inscrit dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) des caisses d'allocations familiales (CAF) et de la CNAF. L'administration se base sur les données fournies par les déclarations d'impôt pour déterminer si un enfant est issu d'une famille pauvre, et le logiciel « FILOUE » (fichier localisé des enfants usagers d'établissements d'accueil des jeunes enfants), mis en place dans dix départements, permet de suivre le nombre d'enfants accueillis dans chaque département. J'ajoute que le schéma départemental de l'accueil pour les familles, que doivent élaborer les préfets, décline le nombre de places en structure collective et le nombre de places chez les assistants maternels. Enfin, le versement en tiers payant, c'est-à-dire l'avance du complément de mode de garde pour les assistants maternels, expérimenté dans onze départements, permet aux familles qui ne peuvent avancer les frais de pouvoir malgré tout faire garder leurs enfants.
J'en viens maintenant à la prime d'activité, qui sera issue de la fusion entre la prime pour l'emploi (PPE) et le RSA activité dans le cadre du projet de loi relatif au dialogue social porté par François Rebsamen et qui sera présenté dans quelques jours en Conseil des ministres, avant d'être discuté au Parlement fin mai. Destinée à encourager la prise ou la reprise d'emploi pour les plus modestes, la prime d'activité devrait entrer en application dès le 1er janvier 2016.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi prend en compte la composition familiale. En effet, sans la prise en compte du nombre d'enfants à charge, qui permet de verser une prime plus importante, les perdants seraient les familles monoparentales. Néanmoins, une bonification individualisée sera liée uniquement à l'activité pour favoriser la bi-activité. Il s'agit de ne pas encourager les situations où le mari travaille et pas la femme, et je sais que votre délégation est particulièrement vigilante sur cette question, tout comme l'est Marisol Touraine en tant que ministre des Droits des femmes.
Le gain maximum sera compris entre 0,6 et 1,2 SMIC. Les personnes en dessous de 0,6 SMIC n'y perdront pas : elles gagneront un peu plus à chaque fois qu'elles travailleront un peu plus. Surtout, elles bénéficient de l'augmentation du RSA socle, en plus de celles intervenues pour les autres prestations – allocation de soutien familial, complément familial, allocation de rentrée scolaire.
L'objectif est d'encourager la reprise d'activité, et non de créer une allocation supplémentaire. Car il est souvent reproché à notre système de protection sociale, compte tenu des diverses allocations, de placer dans une situation comparable les personnes aux très petits revenus et celles qui ne travaillent pas ou très peu.
L'objectif est aussi d'introduire de la simplicité. En effet, alors que le taux de non-recours au RSA socle est de 30 %, celui du RSA activité se situe entre 60 % et 70 % en raison de la complexité du système : les personnes doivent déclarer leurs revenus tous les mois, elles peuvent aussi se voir réclamer des indus à la suite d'une simple erreur ou même d'un oubli sur la composition de leur foyer. Or certaines personnes se séparent et se remettent en couple tous les trois mois – vous avez certainement reçu dans vos permanences des bénéficiaires qui se voient réclamer des indus, alors qu'ils n'ont déjà pas grand-chose pour vivre. Pour remédier à ce problème, il est envisagé d'attribuer aux personnes des droits figés pour une durée de trois mois, c'est-à-dire quels que soient leurs changements de situation pendant de ce laps de temps, à charge pour elles de faire une nouvelle déclaration au bout de ces trois mois, formalité qui leur sera rappelée grâce à l'envoi d'un mail ou d'un SMS. Les courriers papiers ne sont, en effet, pas toujours lus ni compris par les destinataires, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques car il est très compliqué de faire rouvrir des droits. Cette simplification devrait aboutir à une diminution très nette du taux de non-recours, et nous espérons d'emblée un taux de recours de 50 %, ce qui nécessitera une information claire sur la nature du dispositif, à savoir une prime pour l'activité, et non une allocation, et un système beaucoup plus simple.
Vous vous êtes interrogée, madame la présidente, sur les moyens susceptibles de permettre aux femmes de retourner vers l'emploi. En la matière, la feuille de route 2015-2017 du plan pauvreté prévoit d'améliorer les dispositifs d'accompagnement vers l'emploi en renforçant la coopération entre Pôle emploi et les CAF. Concrètement, au vu des données de la CAF, qui connaît les dates de fin de congés parentaux et les allocations afférentes, Pôle emploi pourra, un an avant la fin de leur congé, conseiller les femmes sur une formation et leur proposer un bilan de compétences.
Pour terminer, je vais vous parler des enfants. Car lorsque les femmes sont en situation de pauvreté, leurs enfants en pâtissent, notamment à cause de toute une série de privations sur lesquelles l'UNICEF a publié un rapport édifiant qui montre qu'un nombre important d'enfants en France sont en situation de privation. Et lorsqu'elles n'ont pas suffisamment d'argent pour élever leurs enfants, les femmes seules culpabilisent. Par conséquent, aider les enfants, c'est aussi aider les femmes à ne pas culpabiliser, à ne pas sombrer dans des situations extrêmes quand elles n'ont pas les moyens d'acheter à manger à leurs enfants et encore moins de leur payer des loisirs et des vacances.
Ensuite, comme le montrent les chiffres, malgré un système de protection sociale très développé, malgré notre école républicaine, la pauvreté en France est toujours héréditaire. Il faut donc faire en sorte qu'elle ne le soit plus, et c'est une des priorités à laquelle je suis particulièrement attachée dans ma mission au Gouvernement. Dans cet objectif, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, a décidé de porter les fonds sociaux destinés aux enfants scolarisés dans le second degré à 45 millions d'euros, soit une augmentation de 8 millions d'euros, afin de mieux accompagner les élèves dont les parents sont pauvres.
Enfin, conformément à l'une des promesses de campagne de François Hollande, la lutte contre la pauvreté suppose de développer la scolarisation des enfants de moins de trois ans, ce que prévoit également la feuille de route 2015-2017. C'est la raison pour laquelle l'Éducation nationale embauche de nouveaux enseignants pour pouvoir ouvrir de nouvelles classes. Mais encore faut-il que les parents souhaitent mettre leurs enfants de moins de trois ans à l'école. C'est pourquoi un travail de discussions vient de démarrer entre les CAF et les services de la protection maternelle et infantile (PMI) afin de sensibiliser les familles sur l'intérêt de scolariser le plus tôt possible leurs enfants, car cela est un facteur de réussite scolaire. Certes, la scolarisation précoce concerne tous les enfants, mais il est avéré que l'échec scolaire a un lien avec la pauvreté.
Je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.