Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, de m'avoir invité. Il est très important pour Arianespace de pouvoir s'exprimer devant la représentation nationale et d'avoir un dialogue constant avec elle, car les systèmes de lancement que l'entreprise exploite, en particulier Ariane, n'existeraient pas sans la volonté et les investissements publics. Cette fusée est donc aussi un peu la vôtre.
Nous vivons actuellement une période de changement très fort. Premièrement, la technologie des satellites évolue : une partie d'entre eux est désormais à propulsion non plus chimique, mais électrique. À l'avenir, certains satellites seront donc plus légers qu'ils ne le sont actuellement. Deuxièmement, après avoir affronté une concurrence russe dans les années 2000, Arianespace doit aujourd'hui faire face à une concurrence américaine, celle de la société privée SpaceX, dirigée par Elon Musk. Troisièmement, nous assistons à une nouvelle conquête de l'espace, qui est le fait non plus des grandes puissances, mais d'acteurs privés tels que SpaceX, qui sont prêts à investir des sommes considérables dans ce domaine. Néanmoins, ce qui est vrai aux États-Unis ne l'est pas en Europe, où les investissements restent avant tout publics ou industriels.
Le quatrième changement est spécifique à Arianespace. Celle-ci a longtemps été une société « monoproduit » : depuis le 24 décembre 1979, elle disposait d'une fusée unique, Ariane. Or, depuis 2012, elle exploite trois systèmes de lancement au Centre spatial guyanais : Ariane, Vega et Soyouz. Grâce à ces trois lanceurs, nous avons doublé nos cadences de lancement : nous faisons désormais dix à douze lancements par an, contre six à sept auparavant. Nous nous exposons ainsi à davantage de risques, le succès d'un lancement n'étant jamais acquis.
Dans ce monde en mutation, les Européens, Arianespace et l'ensemble des acteurs publics et privés de la filière sont déterminés à rester leader. Pour continuer à faire la course en tête, nous avons pris des décisions importantes : la mise au point d'un nouveau lanceur, Ariane 6, qui sera disponible à partir de 2020 ; une réforme de la gouvernance ; la nécessité de réaliser des économies à très court terme, avant même l'arrivée d'Ariane 6, car nous avons dû ajuster nos prix pour affronter la concurrence.
J'ai eu la chance d'arriver à la tête d'Arianespace dans ce contexte. Quand le changement s'impose à vous, vous n'avez pas le choix : vous devez non seulement l'épouser, mais aussi le précéder. Je suis déterminé à faire en sorte qu'Arianespace participe à cette refondation réussie de la filière.
Monsieur le président, vous avez demandé à juste titre « qui fait quoi ». Arianespace a trois missions fondamentales. Tout d'abord, nous achetons des lanceurs par lots aux industriels – à Airbus Safran Launchers s'agissant d'Ariane, aux sociétés italiennes Avio et European Launch Vehicle (ELV) s'agissant de Vega, à l'agence russe Roskosmos s'agissant de Soyouz – et nous les revendons ensuite sur le marché. Nous assumons donc le risque commercial. Les industries d'amont concentrant une grande part des salariés de la filière, Arianespace n'emploie qu'un effectif limité : environ 330 personnes.
Notre deuxième mission consiste à réaliser les opérations de lancement en Guyane, à savoir les dernières opérations qui mènent au lancement et le lancement lui-même. Nous sommes ainsi comptables du dernier mois de vie du lanceur. S'agissant de la fusée Ariane, nous en prenons la propriété formelle lors de son assemblage final, c'est-à-dire au moment où l'on opère la jonction entre le lanceur et le satellite. À cette fin, nous disposons d'un établissement en Guyane, qui emploie une soixantaine de personnes et fait travailler directement plus de 500 sous-traitants, que nous appelons les « industriels sol ».
Troisième mission : nous sommes aussi comptables de l'autorisation du lancement. Nous présidons, avec nos partenaires – le CNES et les industriels –, à toutes les revues qui nous permettent de conclure que nous pouvons procéder au lancement. En outre, nous préparons les analyses de mission, qui visent notamment à s'assurer que le lanceur est adapté au satellite qu'il devra mettre en orbite.
En résumé, Arianespace a une activité commerciale, une activité industrielle en Guyane et une activité d'expertise sur ses différents systèmes de lancement.
Les comptes d'Arianespace pour 2014 seront arrêtés par l'assemblée générale des actionnaires qui se tiendra dans quelques jours. Notre chiffre d'affaires a atteint environ 1,4 milliard d'euros. Notre résultat devrait être équilibré. Chaque année, nous recevons un soutien d'environ 100 millions d'euros de la part de l'Agence spatiale européenne (ESA), qui nous permet d'équilibrer l'exploitation d'Ariane 5. Outre notre siège à Évry et notre établissement en Guyane, nous disposons de trois bureaux à l'étranger : à Washington, à Tokyo et à Singapour.
Nos clients sont, pour les deux tiers de notre carnet de commandes, des opérateurs privés tels que le français Eutelsat ou le luxembourgeois SES et, pour le tiers restant, des gouvernements européens et la Commission européenne, laquelle est fortement montée en puissance ces dernières années, puisque nous assurons le lancement des satellites des constellations Galileo et Copernicus.
Nous sommes leader sur le marché ouvert à la concurrence, c'est-à-dire essentiellement celui du lancement des satellites de télécommunications. Sur les quelque vingt-cinq satellites de cette nature à lancer chaque année, nous en captons environ 50 %. Dans ce domaine, après avoir longtemps dû contrer la concurrence russe, nous sommes désormais exposés à celle de l'américain SpaceX.
L'année 2014 a été très importante pour Arianespace à plusieurs titres. Nous avons réalisé au cours de l'année onze lancements depuis le Centre spatial guyanais : six de fusées Ariane, quatre de Soyouz et un de Vega. C'est un record. Ces lancements ont tous été réussis, à l'exception de celui d'une fusée Soyouz le 22 août dernier, qui a placé deux satellites de la constellation Galileo sur une mauvaise orbite. Néanmoins, l'ESA est parvenue, avec l'aide du CNES, à les remettre sur une orbite où ils pourront rendre des services utiles à la constellation Galileo, ce qui est très satisfaisant.
En 2014, nous avons aussi rééquilibré notre carnet des commandes entre les gros et les petits satellites, ce qui est vital car, dans une fusée Ariane, nous plaçons un gros satellite en position haute et un petit en position basse. Compte tenu des déboires de notre concurrent Proton et des succès d'Ariane qui ont démontré sa fiabilité, nous avions engrangé d'importantes commandes sur le segment des gros satellites, mais nous avions du mal à trouver des petits satellites à lancer du fait de la concurrence de SpaceX. Nous avons dû « aller les chercher avec les dents », si je puis dire : nous avons remporté huit contrats de lancement de petits satellites en 2014.
En 2014 enfin, l'Europe spatiale, unie, a pris la décision très importante de mettre au point un nouveau lanceur, Ariane 6, qui sera disponible dès 2020. Cette convergence ne s'est pas faite sans difficulté, ce qui est bien normal : les choix de cette nature engagent pour vingt ou trente ans, et personne ne détient de vérité absolue en la matière, tout lanceur étant un pari.
De nombreuses discussions ont eu lieu au préalable entre les agences, les industriels et Arianespace. Dans ce cadre, notre compétence était non pas d'arrêter un choix technologique pour le lanceur – c'est davantage la responsabilité des agences et des industriels –, mais d'indiquer vers quoi le marché se dirigeait selon nous et d'en tirer les conséquences. Ainsi, tout au long de l'année 2014, nous avons dialogué très étroitement avec nos clients – qui sont regroupés au sein de l'Association européenne des opérateurs de satellites (ESOA), présidée par Michel de Rosen, président-directeur général d'Eutelsat – afin de comprendre leurs attentes et de les impliquer dans le choix du lanceur.
Au terme de ce dialogue, nous avons communiqué nos recommandations aux agences et aux industriels : le prochain lanceur devait être modulaire, et nous pouvions conserver le lancement double – marque de fabrique d'Arianespace –, car c'est un moyen de gagner en compétitivité, même si c'est parfois une contrainte, car il faut trouver deux satellites à lancer en même temps. De plus, il fallait que le lanceur soit adapté à l'évolution du marché que nous anticipions, à savoir une augmentation de la part des petits satellites compte tenu de l'arrivée de la propulsion électrique. Nous avons donc plaidé pour une Ariane 6 compétitive en lancement double, non pas avec un gros et un petit satellite comme aujourd'hui, mais avec deux petits satellites.
Les agences et les industriels ont tenu compte de ces recommandations. Au terme d'un travail commun, l'ESA et la coentreprise Airbus Safran Launchers ont proposé aux États membres de l'ESA un nouveau concept pour Ariane 6, avec une version institutionnelle dite « Ariane 62 » et une version commerciale dite « Ariane 64 ». Nous nous retrouvons pleinement dans ce choix et pensons qu'il n'y a pas de temps à perdre : nous avons besoin de ce nouveau lanceur moins cher le plus vite possible, car SpaceX qui nous concurrençait jusqu'à présent sur le segment des petits satellites commence aussi à le faire sur celui des gros.
Il est assez probable que SpaceX parvienne à maîtriser la technologie du lanceur réutilisable cette année, peut-être même dès le mois de juin prochain, mais cela ne remet nullement en cause le choix d'Ariane 6. Ainsi que le dit souvent Jean-Jacques Dordain, directeur général de l'ESA, Ariane 6 est le meilleur lanceur possible à l'horizon 2020. Notre stratégie doit donc consister à mettre en oeuvre résolument et rapidement ce programme, tout en continuant, voire en accélérant la maturation technologique qui nous permettrait, le moment venu, de mettre au point un lanceur réutilisable, si les Européens acquéraient la conviction que celui-ci présente un réel intérêt pour eux.
Nous avons validé à nouveau la pertinence du concept retenu pour Ariane 6 auprès de nos clients Eutelsat et SES. Ils nous ont répondu très clairement qu'il n'y avait aucune hésitation à avoir : Arianespace doit se doter de ce nouveau lanceur au plus vite, quelles que soient les technologies développées par la concurrence, car il représente un progrès évident par rapport à la situation actuelle.
Nos priorités pour 2015 sont presque identiques à celles de 2014. Nous nous préparons à réaliser à nouveau onze lancements. Néanmoins, cela dépendra de nombreux paramètres. En outre, nous devons engranger un maximum de commandes sur le marché commercial.
À cet égard, l'appréciation du dollar est une aubaine. J'y insiste : la baisse de l'euro est un facteur de compétitivité majeur pour nous. Un euro à 1,35 dollar nous pose des difficultés massives, alors qu'un euro à 1,10 dollar nous permet de combler une très grande partie de notre écart de compétitivité avec SpaceX. Ariane est un lanceur européen et notre premier client est la Commission européenne, avec les programmes Galileo et Copernicus. Nous avons aussi besoin d'une monnaie européenne qui nous aide à rester leader durablement. Nous saluons et encourageons la nouvelle politique monétaire menée par Mario Draghi, car elle se traduit par la préservation d'un certain nombre d'emplois en Europe.