À la différence de très grandes sociétés telles qu'Airbus et Safran, qui ont des politiques de change plus complexes, nous nous couvrons pour l'essentiel contre le risque de change au moment où nous signons le contrat. Le taux de change appliqué lors de l'exécution du contrat est donc celui qui existait au moment de la signature. Actuellement, la plupart des contrats que nous signons tiennent compte de la nouvelle parité euro-dollar.
D'une manière générale, les variations du taux de change ont un effet quasi immédiat pour nous. Dans la mesure où nos coûts sont en euros et nos revenus en dollars, nous y sommes très sensibles. Même si nous n'ajustons pas en permanence nos prix, la baisse de l'euro nous a donné une certaine souplesse. Cela suscite d'ailleurs un dialogue avec nos clients, qui souhaitent récupérer l'intégralité de la marge. À l'inverse, lorsque l'euro monte, ils n'ont pas envie de payer davantage. Un lissage s'opère donc dans le temps, mais le niveau de l'euro reste un paramètre tout à fait déterminant.
J'en viens au marché. Certains de ses éléments sont stables, d'autres évolutifs. Ce qui est relativement stable, c'est le marché ouvert à la concurrence, celui du lancement des satellites de télécommunications. Le nombre d'acteurs réellement compétitifs sur ce marché est limité : deux à trois lanceurs se disputent les vingt-trois à vingt-cinq satellites à lancer chaque année. Au cours de la décennie précédente, c'étaient essentiellement Ariane et Proton. Désormais, c'est un duopole entre Ariane et le Falcon de SpaceX, même si d'autres acteurs peuvent jouer un rôle : les Japonais et, demain peut-être, les Indiens. Ainsi que je l'ai indiqué, Arianespace capte environ 50 % de ce marché.
En revanche, ce qui change, c'est la masse des satellites, avec l'arrivée de la propulsion électrique. Il y aura moins de gros satellites et davantage de satellites petits et moyens à lancer. Ainsi que je l'ai expliqué, nous avons adapté la conception d'Ariane 6 à cette évolution du marché.
Autre élément de changement : les projets de méga-constellations de satellites qui visent à apporter un accès universel à internet. Nous ignorons s'ils seront menés à leur terme, mais certains d'entre eux sont déjà très avancés. Ils pourraient donner lieu au lancement d'un très grand nombre de satellites légers et de petite taille. C'est une chance à saisir pour nos lanceurs. À ce stade, aucun contrat n'a été signé dans ce domaine. Il s'agit d'une priorité commerciale pour nous en 2015, et nous avons des contacts étroits avec les acteurs de l'internet aux États-Unis à ce sujet.
D'autre part, le marché du lancement des satellites d'observation de la Terre est assez dynamique. Avec Vega, Arianespace dispose d'un lanceur parfaitement adapté à ces satellites. Sur les dix Vega que nous avons commandés aux industriels en 2014, nous en avons déjà vendu neuf. Nous vendons généralement Vega à des gouvernements. Ainsi, nous allons lancer un satellite d'observation pour le Pérou et deux pour les Émirats arabes unis. Mais nous avons aussi obtenu un premier succès commercial pour Vega auprès d'un opérateur privé : la start-up américaine Skybox, qui a été rachetée par Google, nous a confié le lancement de quelques satellites l'année prochaine.
S'agissant des lancements institutionnels, la Commission européenne est un client massif, à travers l'ESA, avec les programmes Galileo et Copernicus. Ses commandes représentent 1 milliard d'euros sur un carnet total de 4,4 milliards. Pour la constellation Galileo, il nous reste six tirs à effectuer, trois de fusées Soyouz et trois de fusées Ariane, Soyouz emportant deux satellites et Ariane quatre.
En matière de gouvernance, des orientations ont été prises lors de la dernière conférence ministérielle de l'ESA à Luxembourg en décembre 2014 : il a été dit très clairement qu'à l'avenir, avec Ariane 6, les industriels assumeraient davantage de risques et de responsabilités. Ils ont ainsi vocation à récupérer, en amont, la compétence en matière de conception du lanceur, qui est actuellement exercée en grande partie par la direction des lanceurs du CNES. En aval, ils prendraient le contrôle de la commercialisation du lanceur, selon des modalités qui restent à préciser, ce qui aurait bien évidemment des conséquences sur Arianespace. Il a été précisé que cette réforme assez profonde de la gouvernance ne devait pas attendre Ariane 6 : dans la mesure du possible, elle doit être mise en oeuvre pour Ariane 5, car elle permettra de réaliser les économies nécessaires pour faire face à une concurrence accrue.
Quelles peuvent être les évolutions concernant Arianespace ? Il peut y avoir, tout d'abord, des évolutions dans son actionnariat. L'une d'entre elles est déjà entrée en vigueur : deux actionnaires industriels, Airbus et Safran, ont regroupé leurs forces dans une coentreprise, Airbus Safran Launchers, qui est devenue le premier actionnaire d'Arianespace, avec 39 % du capital. Actuellement, des discussions ont lieu entre cette coentreprise, le CNES et l'Agence des participations de l'État à propos d'une éventuelle cession des participations du CNES à la coentreprise. Le management d'Arianespace n'a pas à interférer dans ces discussions entre actionnaires. Nous en attendons donc le résultat.
Qui qu'il en soit, un certain nombre d'ajustements interviendront ensuite entre Arianespace et la coentreprise : nous devrons définir le meilleur champ des responsabilités pour chacun afin de rendre le système plus compétitif. À cet égard, Arianespace doit conserver un certain nombre de facteurs clés de succès pour continuer à contribuer au dynamisme de la filière européenne. Dans un marché très évolutif, elle doit d'abord garder sa souplesse, sa réactivité, sa capacité de décision forte et rapide, qui sont probablement liées à sa taille – celle d'une PME, même si son chiffre d'affaires n'est pas du tout celui d'une PME.
Deuxième facteur clé de succès, sur lequel tout le monde s'accorde : dans l'intérêt de nos affaires, nous devons maintenir une neutralité absolue vis-à-vis de tous les constructeurs de satellites, qu'il s'agisse d'Airbus Defence and Space, de Thales ou des sociétés américaines du secteur. Au terme de l'évolution actionnariale envisagée actuellement, Airbus Safran Launchers exercera probablement des responsabilités plus importantes dans Arianespace. Mais cela ne doit pas nous conduire à établir un lien privilégié avec Airbus Defence and Space, ni compliquer nos relations avec les autres constructeurs. Telle n'est d'ailleurs pas l'intention de la coentreprise, qui souhaite avant tout le succès de ses lanceurs sur le marché. Je suis donc convaincu que la neutralité sera préservée, quel que soit le futur schéma.
Troisième facteur clé de succès : la crédibilité vis-à-vis du client. Arianespace l'a acquise parce qu'elle connaît très bien les lanceurs qu'elle vend. Cela tient notamment au fait qu'elle est garante de leur fiabilité ultime, dans la mesure où elle procède elle-même aux opérations de lancement et préside à toutes les revues préalables. Dès lors qu'Arianespace reste l'interlocuteur unique du client, elle doit absolument garder cette crédibilité – ce qui ne signifie pas que nous nous interdisons de réfléchir à des aménagements de périmètre entre Arianespace et la coentreprise.
Pour contrer la concurrence de SpaceX, nous avons dû ajuster nos prix sur une partie de notre offre, ce qui implique désormais d'ajuster nos coûts. Avec l'ensemble des acteurs de la filière, notamment avec les agences et les industriels, nous devons trouver une gouvernance qui nous permette de réaliser des économies à hauteur de 5 % à 6 % de notre base de coûts. Cet objectif est à notre portée, d'autant plus que près de 4 milliards d'euros vont être investis dans la filière des lanceurs dans la perspective d'Ariane 6, et que nous avons beaucoup de lancements à faire. C'est donc le moment d'« aller chercher » ces gains de compétitivité, afin d'assurer un équilibre économique durable à Arianespace et de continuer à faire la course en tête.
En conclusion, j'y insiste, le dialogue avec la représentation nationale est essentiel, car nos systèmes de lancements, en particulier Ariane, ne peuvent pas vivre sans l'intérêt public et la volonté politique que vous représentez. Avec Ariane, la France et l'Europe sont plus grandes qu'elles-mêmes. Elles disposent d'une vitrine technologique majeure, notamment lorsqu'Arianespace lance des satellites pour d'autres pays. Un euro investi dans cette filière est un euro utile pour l'emploi et, plus largement, pour le rayonnement de la France et de l'Europe.