Le Grand Paris mérite bien la passion avec laquelle le suivent les députés, le Premier ministre et le Gouvernement : la réussite de ce grand projet de transports, comme la France n'en a jamais connu, est en effet essentielle pour l'attractivité et le développement de la région capitale, et au-delà du pays tout entier.
Impressionnant sur le papier, le projet était au départ largement déconnecté des besoins réels de la région Île-de-France. Il s'agissait en réalité de deux projets quelque peu antinomiques : d'un côté, Arc Express, projet de desserte des habitants par le biais d'un système de transport de banlieue à banlieue, mettant en place une rocade raccordée aux lignes radiales – défendu par la région, le STIF et les départements ; de l'autre, un projet plus élitiste, à finalité davantage économique, d'un réseau de transport à très grande vitesse desservant des clusters d'excellence en Île-de-France, sans s'arrêter dans différentes localités – porté par M. Christian Blanc et appuyé par le gouvernement et le Président de la République de l'époque.
Toutefois, ce second projet – appelé « grand huit » –, qui a servi de fondement à la loi sur le Grand Paris, n'était pas connecté au réseau existant et ne tenait pas compte du plan de mobilisation pour les transports de la région. Il créait ex nihilo une Société du Grand Paris (SGP) qui échappait largement au contrôle des élus locaux, revenant ainsi sur la décentralisation des transports acquise en 2004 et mise en oeuvre en 2006 avec l'installation du STIF – établissement public entièrement géré par les élus et ayant autorité sur l'ensemble des transports en Île-de-France. Ce projet proposait ainsi des contrats de développement territorial (CDT) autour des gares, qui s'exonéraient des prescriptions du schéma directeur de la région d'Île-de-France (SDRIF). Les négociations sur tous ces sujets d'inquiétude sont devenues plus faciles lorsque M. Christian Blanc a quitté le gouvernement ; les ministres qui ont repris le dossier – M. Michel Mercier, puis M. Maurice Leroy – ont en effet été beaucoup plus ouverts aux besoins des habitants de la région, et désireux de coopérer avec les collectivités locales.
Au terme d'un débat public exemplaire où vingt à trente mille personnes se sont exprimées, nous avons abouti à une fusion heureuse entre les deux projets, à travers la réunion des tracés du « grand huit » et d'Arc Express, la répartition de la maîtrise d'ouvrage entre la SGP et le STIF, et la reconnaissance du plan de mobilisation de la région et des départements, avec ses priorités. Le contrat de plan État-région, signé par Mme Kosciusko-Morizet au nom du Gouvernement, prévoyait 2 milliards d'investissements supplémentaires, destinés notamment à l'amélioration des RER, en accord avec les conclusions du rapport de la commission Goldberg-Morange. L'accord final englobe le Grand Paris et le plan de mobilisation pour les transports, tout en réintégrant les CDT au SDRIF ; l'Assemblée nationale a d'ailleurs récemment inscrit la nécessaire compatibilité des CDT avec le SDRIF dans la loi.
Devenu dès lors consensuel – j'en veux pour preuve la coopération des deux co-rapporteurs pour information, M. Albarello et M. Bachelay –, le projet est désormais porté à la fois par les élus de la région et par le Gouvernement. Mme Duflot, ministre compétente sur ce dossier, a chargé M. Pascal Auzannet d'identifier les points qui n'ont pas été réglés par l'accord précédent et d'exercer une expertise d'écoute. Cette mission est bienvenue, mais je suis convaincu que, quel qu'en soit le résultat, le projet devra être conduit à son terme. Les élus locaux y sont très attachés ; lors de la réunion, la semaine dernière, du conseil d'administration de l'Établissement public d'aménagement Plaine de France que je préside, leur principale préoccupation était ainsi de s'assurer que le rapport Auzannet ne vienne pas bouleverser ou raboter l'équilibre trouvé.
Nous ne savons pas ce que ce rapport dit exactement, mais, au-delà des détails techniques, plusieurs points suscitent notre inquiétude. Pour commencer, nous savons tous depuis le début que la réalisation du projet sera plus coûteuse que prévu ; mais en citant un chiffre très important – de l'ordre de 30 milliards au lieu de 20 –, on risque de provoquer l'effet calamiteux « du milliard » qui incite au défaitisme, alors que le projet avance et devrait être mené à bien. J'ai donc suggéré à M. Auzannet d'éviter une présentation alarmiste des choses. Cet écart des coûts est d'ailleurs parfaitement explicable et n'a rien d'aberrant. Une grande partie des frais qui aboutissent à ce chiffre de 30 milliards concernent ainsi les détails d'exécution : interconnexions, nouvelles gares, allongement des quais. De plus, la SGP n'incluant dans les montants que sa propre participation aux travaux, les calculs avaient été artificiellement minorés. Sur la ligne orange, par exemple, seuls 2 milliards de financement par la SGP ont ainsi été prévus, alors que le coût total de l'opération est proche de 5 milliards.
Je crains également que M. Auzannet, peu favorable au projet Charles-de-Gaulle Express – qui est loin d'être abouti –, ne remette en cause le développement du Grand Roissy et du Triangle de Gonesse. Celui-ci est pourtant au coeur de plusieurs projets d'élus, validés par le SDRIF dans le cadre d'un accord qui a recueilli un assentiment très large ; même les Verts l'ont ainsi voté, alors qu'il suscitait au départ des appréhensions en matière environnementale.
La ligne orange – qui part de Noisy-Champs ou de Champigny pour remonter vers le nord – constitue un autre sujet de préoccupation. Plus chère que prévu, elle risque d'être remise en cause, alors qu'elle est essentielle pour les initiateurs du projet, qui s'appuyaient sur le projet Orbival – proche d'Arc Express –, et pour les élus de Seine-Saint-Denis et duVal-de-Marne. Ces derniers, qui se sont engagés dans l'ensemble du projet précisément parce qu'ils tenaient à cette ligne, sont aujourd'hui inquiets.
Enfin, la question de Saclay – un « désaccord dans l'accord » entre la région et l'État – n'est toujours pas réglée. Nous trouvions en effet qu'en l'état, ce projet menaçait les terres agricoles et l'équilibre environnemental du plateau. M. Auzannet n'ira sans doute pas jusqu'à dire que ce projet doit être abandonné – ce serait dommage pour l'avenir des universités, de la recherche et de la ville –, mais conseillera sans doute de le limiter à un « métro léger » allant jusqu'à Massy ou jusqu'au centre du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Tous les spécialistes considérant aujourd'hui que la partie qui va au-delà du CEA pour revenir sur Versailles n'a qu'un intérêt limité, le sujet ne constitue plus un point de désaccord majeur.
Afin que les élus restent impliqués, ce projet doit garantir un système de transport cohérent. Les lignes de banlieue ont pâti, depuis trente ans, d'un sous-investissement chronique ; la priorité était en effet donnée au TGV, alors même que 65 % des voyageurs français circulent en Île-de-France, et que la seule ligne B du RER transporte quotidiennement autant de voyageurs que quatre-vingts TGV. Le plan de mobilisation pour les transports répond ainsi à des urgences, parmi lesquelles la rénovation de tout le matériel roulant, dont l'âge moyen se situe aujourd'hui entre quarante et quarante-cinq ans. Les « petits-gris » seront définitivement supprimés, et, à partir de l'année prochaine, circuleront en Seine-et-Marne les mêmes trains que sur la ligne H : beaux, larges, sécurisés, climatisés, modernes et écologiques. Ensuite viendra le tour de Montparnasse et de Saint-Lazare, et, en 2016, aucun matériel ne devrait avoir plus de vingt ans.
Le deuxième grand objectif du plan de mobilisation est le désengorgement de la ligne 13. Ce projet, qui passe par la prolongation de la ligne 14 jusqu'à Saint-Ouen d'un côté, et jusqu'à Orly de l'autre, fait partie du Grand Paris, et les travaux seront réalisés par le STIF.
L'amélioration des RER est tout aussi essentielle. Celle du RER C n'interviendra véritablement que lorsqu'on aura doublé les tunnels, ce qui nécessite au moins 6 milliards d'euros et constitue un horizon de moyen ou de long terme. Celle du RER A passe par le remplacement de tout le matériel à deux étages, qui se déroule d'une façon satisfaisante, contrairement à l'article très mal informé paru récemment dans Le Monde. Quant au RER B, le « Nord + » sera opérationnel à partir de mars 2013, à la suite de travaux gigantesques dont le coût s'élève à 250 millions d'euros. Le schéma directeur du RER B Sud est également voté, et les travaux sont prêts à démarrer. Enfin, le RER D est aujourd'hui le grand malade du réseau ; comme sur le RER C, il s'agit de décider si l'on fait des arrêts supplémentaires dans le Val-de-Marne, au détriment du temps de transport dans l'Essonne. Il est difficile de mettre d'accord ces deux départements, parties prenantes du STIF, mais il faut sortir du moratoire dont cette question fait actuellement l'objet.
Les lignes de métro s'étendent. La ligne 4 ira bientôt jusqu'à Montrouge – où une station sera prochainement inaugurée –, puis jusqu'à Bagneux. La ligne 12 a également été prolongée : elle s'arrêtera bientôt à la station Front Populaire, puis à Mairie d'Aubervilliers. Enfin, la ligne 14 ira jusqu'à Saint-Ouen. Quant à la ligne 13, elle est déjà prolongée jusqu'aux Courtilles-Gennevilliers.
Sept lignes de tramway ont également été lancées, et les travaux se termineront d'ici à 2014, voire, pour la plupart, au cours de l'année 2013. Le tramway en Île-de-France représentera alors cent sept kilomètres et un million de voyageurs transportés par jour.
Sans s'opposer au plan de mobilisation pour les transports, le Grand Paris Express vise à mettre en place une voie circulaire permettant de rouler de banlieue à banlieue à assez grande vitesse. Pour que le réseau soit efficace, il est nécessaire de réaliser les interconnexions avec les lignes radiales et d'aménager des gares qui permettent aux voyageurs de passer d'une ligne à l'autre. Il faut également veiller à l'interopérabilité du système : on doit ainsi pouvoir prendre la ligne rouge à Issy-les-Moulineaux et aller, via la ligne orange, jusqu'à Rosny-Bois-Perrier et le nord de l'Île-de-France.
Plusieurs chantiers restent à mener. La SGP doit faire l'objet à la fois d'une banalisation et d'une démocratisation. De l'avis général – puisque M. Yves Albarello, Mme Annick Lepetit et désormais M. Alexis Bachelay portent cette question avec nous –, elle doit devenir un opérateur comme les autres, traitant contractuellement avec le STIF, à l'instar de la RATP et de la SNCF. La gouvernance de la SGP, aujourd'hui largement dominée par l'État, devrait laisser davantage de place aux collectivités locales. Le STIF, actuellement un établissement public à caractère administratif (ÉPA), pourrait de son côté évoluer en établissement public à caractère industriel et commercial (ÉPIC), afin d'être plus opérationnel. Enfin, il faut veiller à la cohérence des projets d'aménagement : le SDRIF doit être déterminant, et les CDT doivent s'y insérer sans le contredire.
Je remercie l'Assemblée nationale et tous ceux qui ont porté ce dossier – députés socialistes, mais également M. Gilles Carrez, M. Yves Albarello et tous ceux qui ont à coeur l'amélioration de notre système de transport – pour leur soutien. L'augmentation de 0,1 % du plafond du versement transport (VT) se traduira ainsi pour nous par 62 millions d'euros dès la promulgation de la loi, 128 millions l'année suivante et 175 millions dans les années qui suivent. C'est un élément important pour faire face à nos engagements, notamment en matière de RER.
Pour lever les emprunts nécessaires à la réalisation du plan de mobilisation et faire le lien avec le futur contrat avec l'État, il nous manque pourtant un milliard d'euros environ. Une solution consisterait à utiliser les sommes qui vont aujourd'hui à la SGP via le Fonds pour l'aménagement de la région Île-de-France (FARIF). Dotée de 769 millions d'euros de trésorerie, la SGP touchera encore 450 millions ; l'année prochaine devrait en outre voir la fin du préciput dévolu à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Les sommes à la disposition de la SGP seront ainsi considérables, et il ne serait pas aberrant que, pendant quatre ans, le FARIF – ressource régionale – revienne à la région pour financer l'amélioration de la partie la plus faible de notre réseau que sont les RER. Cette dérivation temporaire des ressources du FARIF au profit du plan de mobilisation pour les transports avait d'ailleurs été prévue par l'accord passé entre les élus locaux et M. Maurice Leroy. Le Premier ministre est sensible à cette idée ; il a confirmé il y a quelques jours qu'en cas de besoin, ce milliard serait inscrit au budget 2015.
Hormis ce problème financier – qui ne devrait pas paralyser l'avancée de ce projet majeur –, les choses avancent bien. L'enquête publique sur la ligne rouge – le coeur du système – est lancée ; entre huit et dix mille personnes ont assisté aux quelque quatre-vingts réunions de présentation avec les élus, qui se sont très bien passées. Bien sûr, les détails d'exécution soulèvent à chaque fois des questions spécifiques ; à Champigny, par exemple, creuser une tranchée de huit cents mètres en plein milieu de la ville exige de trouver de bonnes solutions techniques. Mais, dans l'ensemble, le chantier du Grand Paris est bien préparé. Les rapports entre la SGP et le STIF, quelque peu orageux au début, sont désormais apaisés : les conseils généraux et la région sont présents au conseil d'administration de la SGP, et toutes les mesures sont actuellement votées à l'unanimité.
Le début des travaux est fixé à 2016-2017 ; la ligne rouge, censée être opérationnelle en 2018, le sera peut-être un peu plus tard, mais, en 2020, beaucoup de choses auront été réalisées. Certes, les parties les plus problématiques – comme Saclay – ne devraient être achevées que vers 2025, mais un projet de 32 milliards d'euros, censé doubler le nombre de kilomètres de voies ferrées et de métro en Île-de-France, exige du temps, surtout à un moment où les finances de l'État et de la région sont dans une situation difficile.
J'en profite pour commenter les problèmes de fonctionnement du métro et du RER en Île-de-France, qui suscitent beaucoup de protestations. Les enquêtes de satisfaction menées par la SNCF et par la région montrent que l'essentiel des plaintes se concentre sur la ligne 13 et les RER. Or, si les problèmes de matériel du RER A devraient bientôt s'arranger, de même que les dysfonctionnements du RER B liés aux travaux, la situation des RER C et D reste difficile et demande d'importants investissements complémentaires. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de trouver de nouvelles ressources, si possible en utilisant les trop perçus immédiats de la SGP.
Avec le Grand Paris – dont nous commençons tout juste à voir les premiers résultats –, notre système de transport changera du tout au tout. Les problèmes rencontrés aujourd'hui concernent le phasage des travaux, mais ne remettent pas en cause le projet global, qui fait désormais consensus. Le retour en arrière n'est plus possible, et je suis confiant dans la réalisation de ce grand chantier.