Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 29 novembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

La question des langues régionales à laquelle est consacrée cette table ronde n'est pas souvent abordée dans l'enceinte du Parlement. Notre dernier débat remonte à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et la réunion d'aujourd'hui entend le relancer. Si les langues régionales constituent pour nous un sujet de réflexion, et parfois de controverses, c'est qu'elles font partie de notre histoire collective. Inscrire dans la Constitution leur appartenance au patrimoine de la France nous avait semblé à même de lever les incertitudes de notre droit en cette matière. La décision du Conseil constitutionnel affirmant que cette disposition n'avait qu'une valeur déclarative a ainsi représenté pour nombre d'entre nous une grande déception.

Il fallait donc remettre le chantier à l'oeuvre. L'un des soixante engagements de campagne du Président François Hollande est de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires que la France a signée le 7 mai 1999. Or, dans une décision rendue le 15 juin 1999, après saisine du Président de la République, le Conseil constitutionnel a estimé que la ratification de la Charte exigeait une révision préalable de la loi fondamentale – décision qui a été très diversement accueillie, sur le plan tant politique que juridique.

En ce début de législature, la commission des Lois a estimé que le moment était venu de reprendre le débat afin d'identifier les contraintes juridiques qui constitueraient aujourd'hui un obstacle à la ratification par la France de cette Charte. Elle a également le souci d'examiner les moyens permettant, le cas échéant, de prendre en compte ces contraintes pour progresser sur la voie de la ratification. C'est pourquoi elle a souhaité entendre des constitutionnalistes spécialistes du sujet. Nous avons donc le plaisir d'accueillir : MM. Jean-Éric Gicquel, professeur de droit public à la faculté de droit et de science politique de Rennes I ; Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l'université Montesquieu-Bordeaux IV ; Michel Verpeaux, professeur de droit public à l'université Paris I et directeur de son Centre de recherche de droit constitutionnel, et Jean-Marie Woehrling, juriste expert auprès du Conseil de l'Europe.

Nos invités doivent nous éclairer sur plusieurs questions. Dans quelle mesure une révision constitutionnelle est-elle nécessaire et quelle forme doit-elle prendre ? Une seule révision de l'article 2 – qui affirme : « La langue de la République est le français » – est-elle envisageable ? Faut-il réécrire l'article 75-1 de notre Loi fondamentale ? Les principes d'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français, découlant des articles 1er et 3 de la Constitution, sont-ils susceptibles d'entraver une procédure de ratification ?

Si l'on ne révisait pas la Constitution, dans quelle mesure faudrait-il revenir sur les trente-neuf engagements pris par la France lors de la signature de la Charte ? Quelles modifications de nature simplement législative faudrait-il prévoir en vue d'une ratification ? La France devrait-elle revenir sur la déclaration interprétative de la Charte qu'elle avait présentée lors de la signature en 1999 ou, au contraire, pourrait-elle s'en tenir à cette interprétation du texte – par exemple, sur la question de la compatibilité de la Charte avec le préambule de la Constitution, qui assure l'égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple français ? À quelles langues régionales ou minoritaires en France la Charte serait-elle appliquée, eu égard à la définition de ces langues par la Charte ? Quels exemples étrangers pourraient éclairer la démarche française ? De quel pays la France est-elle la plus proche par sa Constitution, son histoire et les spécificités de son parcours juridique ?

Nous faisons aujourd'hui le premier pas sur un chemin qui nous conduira, durant le quinquennat, à concrétiser les engagements du Président de la République. Les majorités sont toujours lentes à construire à l'Assemblée nationale, mais nous souhaitons convaincre nos collègues encore réticents que les langues régionales constituent une richesse qui, loin de menacer l'unité de la République, fait vivre la réalité de ses territoires.

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