Intervention de Michel Verpeaux

Réunion du 29 novembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Michel Verpeaux, professeur de droit public à l'université Paris I :

La décision du Conseil constitutionnel qui est l'objet de notre discussion me semble être une bonne décision. J'évoquerai quatre pistes de réflexion.

Si l'on décidait de changer la Constitution, la première solution – qui ne pose pas de difficultés techniques – consisterait à rédiger un nouvel article 2-1, disposant que « la République peut ratifier la Charte des langues régionales ou minoritaires », sur le modèle de ce qui a déjà été fait pour des traités largement aussi « conflictuels ».

On pourrait également ajouter un nouvel alinéa à l'article 2 – juste après celui reconnaissant le français comme langue de la République – mais il faudrait alors en peser chaque mot. Parlerait-on de « reconnaissance » des langues régionales, de « droit de parler » ces langues ?

Il serait enfin possible de se reporter à l'article 75-1, mais cette solution soulève des difficultés. Le Parlement a en effet inséré cette disposition sur les langues régionales dans le titre XII consacré aux collectivités territoriales, loin de l'article 2, dans une sorte d'exil juridique, comme si le voisinage des deux risquait de produire des effets électriques. Cet emplacement donne à la question des langues régionales ou minoritaires un caractère purement local qu'il sera difficile d'éviter, même en modifiant la formulation de l'article. Or, les langues régionales concernent moins des territoires que des groupes, j'oserais dire ethniques, ou des communautés qui n'ont pas forcément d'ancrage territorial. Quant à l'insertion d'un nouvel article 75-2, cela me paraîtrait superflu.

La deuxième piste consisterait, avant de songer à réviser la Constitution, à opérer une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel. Des précédents existent : en 1992, le Conseil constitutionnel avait exigé une révision constitutionnelle pour la ratification du traité sur l'Union européenne, et il a été saisi à nouveau par des opposants au traité, une fois la révision effectuée. Le procédé ne fut pas considéré comme contraire à l'autorité de la chose jugée : la Constitution ayant été modifiée, le changement de circonstances autorisait une nouvelle saisine sur le même texte.

Quel changement de circonstances constitutionnelles pourrait-on invoquer aujourd'hui ? D'une part, la révision de 2003 a consacré l'organisation décentralisée de la République, notamment par le biais de la modification de l'article 1er de la Constitution. Créer ainsi un lien avec la question des langues nous ferait néanmoins retomber dans le même travers d'une vision des langues régionales ou minoritaires uniquement centrée sur les collectivités territoriales. Par ailleurs, cette disposition ajoutée à l'article 1er n'a pas, pour l'instant, donné lieu à beaucoup de jurisprudence.

D'autre part, la révision de 2008 a introduit, outre l'article 75-1, l'article 72-3 qui reconnaît les populations d'outre-mer au sein du peuple français. Toutefois, on observera que l'outre-mer ne rassemble qu'une partie des langues régionales. Mais surtout, cet article reconnaît les « populations » – terme au demeurant délicat à définir –, mais ne leur confère aucun droit particulier. On pourrait considérer que puisqu'elles sont reconnues, ces populations pourraient avoir des droits particuliers, ce qui n'est pas le cas pour le moment. En tout cas, il serait peut-être possible d'arguer de toutes ces modifications pour soutenir que la Charte est, en quelque sorte, devenue constitutionnelle.

Troisième piste de réflexion : on peut se demander ce que la ratification de la Charte apporterait à notre pays – question évidemment autant politique que juridique. La France a émis tellement de réserves et de restrictions au moment de sa signature que sa ratification ne représentera aucune rupture notable par rapport au droit existant.

La dernière piste consiste à poser la question de l'utilité politique de la ratification. En mesure-t-on bien toutes les conséquences pratiques ? Si l'on devait appliquer la Charte telle qu'elle est, cela aurait des implications financières – par exemple en raison des traductions qu'il y aurait à réaliser ou du recrutement qu'il faudrait effectuer de personnels qualifiés – et nous serions confrontés à des risques de contentieux.

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