Intervention de Jean-éric Gicquel

Réunion du 29 novembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-éric Gicquel, professeur de droit public à l'université Rennes I :

Je me permettrais d'abord une remarque préalable : si la tendance actuelle se poursuit, le français lui-même – parlé aujourd'hui par seulement 3 % de la population mondiale – risque de se transformer, dans les années qui viennent, en langue régionale. « La langue de l'Europe, c'est la traduction », disait Umberto Eco. Entre les années 1990 et aujourd'hui, la part des textes provisoires préparatoires européens d'abord rédigés en anglais, puis traduits, est passée de 45 % à 86 %, alors que celle des textes d'abord rédigés en français est tombée de 35 % à seulement 3 %.

Sur le sujet de fond qui nous occupe – les implications constitutionnelles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires –, nous devons répondre à trois questions essentielles : Pourquoi réviser ? Que réviser ? Que faire après la révision de la Constitution ?

Pourquoi réviser la Constitution ? Le Conseil constitutionnel avait considéré, dans sa décision du 15 juin 1999, que certaines stipulations de la Charte n'étaient pas conformes à la Constitution et qu'en application de l'article 54 de cette dernière, la Charte ne pouvait être ratifiée en l'état. La révision constitutionnelle de 2008 n'a pas modifié la donne puisque l'article 75-1 n'a pas pour objet de permettre la ratification de la Charte. Les termes du débat juridique restant inchangés depuis 1999, si le pouvoir politique souhaite engager un processus de ratification, une révision constitutionnelle préalable est donc nécessaire.

Que réviser dans la Constitution ? C'est sans doute la question la plus complexe. Une première solution consisterait à modifier les articles 1er, 2 et 3 de la Constitution, mais on toucherait là à l'un des « réacteurs nucléaires », si je peux employer cette expression, de la cinquième République. Le plus délicat serait alors de remettre implicitement en cause les principes d'unicité du peuple français, d'indivisibilité de la République et d'égalité devant la loi des citoyens, contenus dans les articles 1er et 3. Modifier l'article 2 serait plus facile : on pourrait, par exemple, envisager une fusion des articles 2 et 75-1, et l'article 2 serait ainsi rédigé : « La langue de la République est le français. La République reconnaît les langues régionales. ».

L'alternative à cette proposition consisterait à insérer dans la Constitution un article 53-3 stipulant que « la République française peut engager le processus de ratification de la Charte signée le 7 mai 1999, complétée par sa déclaration interprétative ». On pourrait même envisager d'intégrer directement la substance même de cette déclaration dans la Constitution. Rappelons que la déclaration interprétative, qui désigne une déclaration unilatérale d'un État indiquant comment celui-ci interprète un engagement international, peut être à tout moment modifiée ou supprimée par l'État. Il s'agit d'un pur acte de gouvernement, au sens juridique du terme, à savoir un acte insusceptible d'être contesté devant le juge administratif.

Un contrôle a posteriori du Conseil constitutionnel serait toujours envisageable, les autorités habilitées à le saisir pouvant lui demander de vérifier si la Constitution révisée est désormais compatible avec la Charte. Une réponse négative constituerait alors un désaveu cinglant. En cas de réponse positive, une loi autorisant la ratification devrait être votée, en application de l'article 53 de la Constitution, et les autorités habilitées pourraient à nouveau saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander de contrôler la constitutionnalité de cette loi, lui offrant une nouvelle occasion de vérifier celle de la Charte. C'est donc un double obstacle constitutionnel qui guette le pouvoir constituant dérivé.

Enfin, à supposer que l'on arrive à réviser la Constitution, que faire après ? Pour les défenseurs des langues régionales, la ratification risque d'être une énorme déception puisque la France n'a pris, en 1999, que trente-neuf engagements – je rappelle que le minimum, c'est trente-cinq –, au demeurant modérés, que les collectivités pourraient déjà mettre en oeuvre sans difficulté si elles s'en donnaient les moyens. Il y aurait ainsi un décalage entre les efforts législatifs entrepris et le maintien d'une forme de statu quo.

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