Intervention de Ferdinand Mélin-Soucramanien

Réunion du 29 novembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l'université Montesquieu-Bordeaux IV :

Étant non seulement professeur de droit public et juriste, mais également locuteur quotidien d'une langue régionale – le créole réunionnais –, ma position sera légèrement différente. La Charte est aujourd'hui en vigueur dans vingt-cinq États membres du Conseil de l'Europe ; huit États, dont la France, l'ont signée mais non ratifiée ; quatorze n'ont fait ni l'un ni l'autre. Comme Robert Badinter l'avait souligné il y a déjà un certain temps, la France n'est donc pas isolée.

Faut-il aller plus loin ? Ce n'est pas à moi de prendre position sur cette question d'opportunité politique, même si à titre personnel, en tant que locuteur de langue régionale, j'estime qu'il faut aller plus loin. La question est de savoir comment. Comme les deux premiers orateurs l'ont clairement expliqué, si l'on veut ratifier la Charte, une nouvelle révision constitutionnelle est inévitable. Saisir à nouveau le Conseil constitutionnel, comme l'a astucieusement proposé Michel Verpeaux, pourrait certes constituer une précaution, mais on se doute de la réponse.

La décision du 15 juin 1999 du Conseil constitutionnel est en effet unique en son genre. Habituellement, lorsque celui-ci est saisi d'une question de compatibilité, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, il précise dans son considérant final que l'autorisation de ratifier un traité ou d'adopter une loi nécessite une révision préalable de la Constitution – c'est ce qui s'est passé pour la ratification du traité sur la Cour pénale internationale ou pour la parité entre les femmes et les hommes. La décision du 15 juin 1999 est la seule où le considérant final ne le dit pas, comme si le Conseil constitutionnel voulait éviter même d'envisager cette hypothèse, ce qui montre bien sa fermeté – ou sa fermeture – sur le sujet.

Cette fermeté est liée au fait que nous sommes ici au coeur du pacte républicain. La déclaration d'incompatibilité de 1999 reposait en effet sur le fondement d'une violation de l'article 1er de la Constitution – affirmant les principes d'indivisibilité, d'unicité et d'égalité –, véritable colonne vertébrale de la Nation française – et de celle, moins gênante, de l'article 2 stipulant que le français est la langue de la République. Cette décision du Conseil constitutionnel oblige à modifier les articles 1er et 2, ce qui est très délicat. Lorsque l'ancien Président de la République avait imaginé modifier le préambule de la Constitution, le comité présidé par Mme Veil avait ainsi sagement conclu qu'il valait mieux ne pas y toucher. Je pense que le Conseil constitutionnel a voulu signifier qu'une révision constitutionnelle est impossible sur ce point, ou alors avec une marge bien étroite.

Pour avancer sur cette question, une autre solution consisterait non à réviser la Constitution pour permettre de ratifier la Charte, mais à suivre l'exemple de certains États en donnant un véritable statut aux langues régionales de la France. C'est ce que préconise Véronique Bertile dans sa thèse de doctorat sur les langues régionales ou minoritaires et la Constitution, qui compare la situation de la France, de l'Espagne et de l'Italie. Il s'agirait, comme le proposait Robert Badinter, non seulement de mieux faire connaître les dispositions législatives et réglementaires existantes mais également de donner un plein effet aux stipulations de la partie III de la Charte, plus facilement compatible avec le droit français que les parties I et II, lesquelles comportent la notion de groupe. Il est notamment envisageable de donner toute leur mesure aux articles 8, 11, 12 et 13 de la partie III, qui concernent respectivement les secteurs de l'enseignement, des médias, de la culture et de la vie économique et sociale. Dans les domaines de la justice et des services publics, le caractère officiel de la langue française comme langue de la République me paraît en revanche représenter un obstacle difficilement surmontable.

La solution que je préconise serait donc de donner un statut plus solide aux langues régionales, d'abord en réalisant une codification des dispositions législatives et réglementaires correspondantes, et en mettant ensuite en oeuvre, de manière concrète, les stipulations prévues dans la partie III de la Charte. Cela permettrait de rendre le droit applicable plus accessible et plus intelligible. Il laisse des marges de manoeuvre très importantes, mais qui bien souvent ne sont pas exploitées. Si l'on tient aux symboles constitutionnels, on pourrait faire reposer ce code sur un socle un peu plus étoffé que l'article 75-1, qui ne dit pas grand-chose, par exemple en envisageant une légère modification de l'article 2 qui serait rédigé ainsi : « La langue de la République est le français, dans le respect des langues régionales de la France ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion