Intervention de Jean-Marie Woehrling

Réunion du 29 novembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Marie Woehrling, juriste expert auprès du Conseil de l'Europe :

La Charte n'est pas une fin en soi : elle n'est qu'un moyen pour renforcer la situation des langues régionales en France et en assurer la pérennité. Aucune des dispositions qui y figurent ne donne d'ailleurs à notre pays des compétences qu'il n'aurait pas déjà. La Charte n'est au centre de cette discussion que parce que le Conseil constitutionnel en a fait une interprétation manifestement erronée, l'estimant contraire à la Constitution. Or, aucune de ses dispositions ne porte atteinte aux principes d'égalité des Français ou d'indivisibilité de la République. La Charte ne vise nullement à donner des droits collectifs à des groupes particuliers. Elle n'impose pas le recours aux langues régionales dans la vie publique et considère celles-ci – de même que l'article 75-1 de la Constitution – comme un patrimoine culturel que les États européens doivent entretenir, promouvoir et développer. La Charte prévoit précisément ce que vient de proposer M. Mélin-Soucramanien : donner un statut aux langues régionales, et non à leurs locuteurs. Le problème vient de l'interprétation du Conseil constitutionnel qui, en lisant la Charte, y a vu une convention-cadre pour les minorités nationales. La Charte et la Constitution étant d'ores et déjà compatibles, à quelle révision constitutionnelle devrait-on procéder ?

Face à cette situation, on pourrait choisir d'agir en dehors de la Charte si son interprétation par le Conseil constitutionnel n'avait pas créé une incertitude sur toute mesure en faveur des langues régionales. Comment être sûr, en effet, que telle ou telle disposition législative créant un statut pour les langues régionales ne sera pas demain déclarée anticonstitutionnelle ? Le cadre constitutionnel doit donc être clarifié.

Par ailleurs, le contexte politique actuel nous pousse à développer un statut des langues régionales dans le cadre de la Charte, conformément à la promesse de campagne du Président de la République. Il faudrait donc commencer par regarder ce qui, dans notre législation et notre organisation institutionnelle, doit être modifié en vue d'atteindre cet objectif. La ratification de la Charte serait, pour moi, le couronnement et, non le point de départ, du travail de la France pour donner un statut à ses langues régionales. Mais compte tenu de la position du Conseil constitutionnel, il faut réviser la Constitution, non pas tant pour en modifier les principes, mais simplement pour neutraliser la décision de 1999 et autoriser la ratification de la Charte, laquelle est parfaitement compatible.

Je proposerais personnellement que l'on complète l'article 75-1, qui reconnaît les langues régionales comme un élément du patrimoine de la France, par une formulation de ce type : « Pour assurer la protection de ce patrimoine, la France adhère aux objectifs et met en oeuvre les principes de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ». En revanche, je ne suis pas favorable à une référence à la déclaration interprétative ou aux trente-neuf paragraphes, qui me paraît de nature à bloquer la suite de l'activité législative destinée à mettre en oeuvre la Charte.

La décision du Conseil constitutionnel a été essentiellement motivée par son analyse de la partie II de la Charte. Celle-ci comporte le seul article 7 relatif aux objectifs et principes de protection des langues régionales ou minoritaires, article qui affirme que l'ensemble des stipulations doivent être appliquées par tous les États à toutes les langues régionales pratiquées sur leur territoire. L'article 21 précise à cet égard qu'un État ne peut formuler de réserves que sur les dispositions mentionnées aux paragraphes 2 à 5 de cet article 7, le reste étant intangible. La déclaration interprétative de la France avait à l'époque un objectif politique : rassurer sur l'application de la Charte, en montrant que la France y lisait des principes compatibles avec son ordre constitutionnel. Mais aujourd'hui que le Conseil constitutionnel a estimé que la lecture de la Charte faite dans la déclaration était erronée, celle-ci n'a plus d'intérêt. Cette déclaration a également une portée juridique très réduite puisqu'au plan international, la ratification doit se faire sans réserves autres que celles prévues par la Charte elle-même.

La partie III de la Charte n'est quant à elle applicable qu'aux langues régionales ou minoritaires désignées par l'État au moment de la ratification. Plus précisément, pour toute langue désignée, il faut choisir un minimum de trente-cinq paragraphes de cette partie III, l'objectif étant d'aménager, pour chacune, le statut le mieux adapté. Or, les trente-neuf paragraphes signés par la France ont été sélectionnés en fonction d'un tout autre principe : celui de minimiser les problèmes potentiels. Si nous ratifions la Charte, il faudra l'appliquer de manière sincère et complète.

Nous devrions ainsi commencer par une réflexion sur les besoins de chaque langue régionale par rapport aux propositions de la partie III de la Charte, afin de constituer pour chacune d'entre elles, dans le respect de nos principes, un cadre qui lui soit adapté. Les secteurs de soutien prioritaire sont ceux de l'enseignement et des médias. Quant à l'utilisation de ces langues dans le cadre des institutions publiques, comme la justice ou l'administration, ce n'est pas la revendication principale de leurs promoteurs. Par ailleurs, bien des mesures – comme l'organisation du bilinguisme ou la réalisation de traductions – peuvent d'ores et déjà être mises en oeuvre sans entrer en contradiction avec l'article 2 de la Constitution et sans nécessiter de modifications législatives.

En revanche, sans pour autant vouloir les placer à égalité avec le français, langue de la République, il serait symboliquement important de donner aux langues régionales et minoritaires un statut public. On pourrait par exemple ajouter à l'article 75-1 la phrase suivante : « Le statut public des langues régionales est défini par la loi. ».

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