Pour M. Woehrling, le Conseil constitutionnel a fait une lecture erronée de la Charte en 1999. La révision constitutionnelle aurait donc pour objectif de « neutraliser » sa décision. Je ne suis pas certain que la doctrine du Conseil ait évolué au point de nous porter à l'optimisme, ni que les modifications intervenues dans sa composition depuis 1999 favorisent une meilleure compréhension des enjeux qui nous rassemblent ici, et même si de nouveaux membres doivent faire leur entrée au Conseil dans trois mois ! Cette nouvelle saisine nous permettrait de savoir si la doctrine du Conseil a évolué, et si tel n'est pas le cas, d'identifier les obstacles à la ratification de la Charte.
Se pose ensuite la question des dispositions constitutionnelles à modifier. Vous estimez à l'unanimité que mieux vaut ne pas toucher au coeur « nucléaire » de la Constitution, pour reprendre l'expression de Jean-Éric Gicquel, à savoir ses articles 1er, 2 et 3. Il y a donc deux possibilités : ajouter un alinéa supplémentaire à l'article 75-1 ou, comme le propose Jean-Éric Gicquel, créer un article 53-3. Je rappelle que nous avons déjà eu ce débat lors de la révision constitutionnelle de 2008 à propos de la reconnaissance de l'appartenance des langues régionales au patrimoine de la France. À l'époque, la garde des Sceaux nous avait expliqué que peu importait l'article où serait placée la nouvelle disposition, puisqu'il n'existait pas de hiérarchie entre les articles de la Constitution. Qu'il s'agisse de l'article 2 ou de l'article 75-1, c'était donc, comme on dirait en breton, memestra – la même chose. L'Assemblée nationale avait inscrit la disposition en question à l'article 2, avant que le Sénat ne la déplace à l'article 75-1. Lorsque le texte est revenu à l'Assemblée nationale, on nous a expliqué que c'était très bien ainsi. Le professeur Verpeaux a parlé d'exil juridique – j'aime beaucoup l'expression ! – qui a abouti à ce que la responsabilité soit renvoyée aux collectivités locales plutôt qu'à l'État. Le choix de « l'accroche » de la future révision n'est donc pas anodin.
Voilà donc pour l'hypothèse de la « bataille d'Hernani ».
L'autre hypothèse, qui est celle du Professeur Mélin-Soucramanien, consiste à commencer par créer des droits nouveaux avant de ratifier la Charte, en codifiant des pratiques qui existent ou en votant des lois ordinaires. C'était d'ailleurs la base de la proposition de loi que les membres du groupe d'études sur les langues régionales avaient déposée sous la précédente législature. Nous avions considéré que cette proposition de loi pourrait être « vendue à la découpe » : notre ambition était de transformer ses articles en amendements, selon que les textes venant en discussion porteraient sur les médias, la vie publique, les collectivités locales ou l'éducation. Je pense par exemple au conventionnement des écoles Diwan, qui est vécu comme une contrainte en Bretagne et qui devrait être supprimé au plus tôt. Cependant, les lois ordinaires, outre qu'il est nécessaire de réunir une majorité pour leur adoption – ce qui ne va pas de soi puisque la question des langues régionales n'est ni de droite ni de gauche mais renvoie à des considérations géographiques –, peuvent être déférées au Conseil constitutionnel. Nous en revenons alors au point de départ : le Conseil jugera que ces dispositions ne sont pas conformes à la Constitution et qu'avant de donner des droits nouveaux à des groupes, pour reprendre le mot de Michel Verpeaux, il convient de réviser celle-ci… On en revient donc à cette question : comment réviser la Constitution ?