Chaque pays a ses raisons pour ne pas signer ou ratifier la Charte. Ainsi, l'Irlande refuse de signer la Charte au motif que l'irlandais n'est pas une langue régionale ; c'est la langue nationale. Mais dans la vie courante, l'anglais a depuis longtemps supplanté l'irlandais, dont l'usage oral reste limité à certaines zones géographiques, même s'il est enseigné à l'école. La Belgique n'a pas non plus signé la Charte, car elle a deux langues nationales, et même trois avec l'allemand dans les cantons d'Eupen et Malmédy.
Moi qui suis un vrai républicain, je trouve curieux d'assigner une langue à la République. La République n'a pas de langue, puisqu'elle est constituée de l'ensemble des électeurs. Lui assigner une langue, c'est retenir une dimension que je qualifierais d'ethnique. Je reconnais qu'il faut bien une langue, avant tout pour des raisons pratiques. Puisque le français s'est imposé, prenons-le. Mais lier la République à une langue me gêne, car cela revient à favoriser une langue alors que notre pays en compte tant. On n'est plus là dans un esprit de « laïcité », c'est-à-dire de neutralité. Certes, l'État a besoin d'une langue. Il faut donc en prendre une. Mais là où le bât blesse, c'est que ce choix donne la possibilité de ne pas reconnaître les autres langues.
Pendant longtemps, le fait que le français soit langue juridique et langue d'État n'a posé aucun problème. Les langues régionales avaient en effet une telle vigueur dans nos territoires qu'elles demeuraient dans notre patrimoine. Mais tout a changé depuis les années 50. Le risque de perdre ce patrimoine linguistique est aujourd'hui réel et la population a commencé à s'en émouvoir dès les années 60. Paradoxalement, elle manifeste un attachement d'autant plus fort à l'endroit de ces langues qu'elles sont de moins en moins parlées. Il s'agit désormais d'en assurer la pérennité tout en préservant les fondements de notre République. La demande est importante, diffuse, principalement dans les régions périphériques, là où sont traditionnellement parlées les langues régionales, mais aussi dans le reste de la France : nos concitoyens ont une vision plutôt positive des langues régionales, y compris en région parisienne et dans les grandes villes.
Le problème est de moins en moins politique et de plus en plus juridique. Il convient en tout cas de le régler. Nous arrivons aux mêmes conclusions que vous, monsieur le Président : un texte comme celui que vous aviez déposé l'an dernier tombera sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel si celui-ci conserve la même interprétation de la Charte. Nous avons pourtant besoin d'une loi sur le terrain : à l'heure actuelle, on ne sait pas vraiment ce qui est faisable dans le cadre de la législation en vigueur, alors que, beaucoup d'initiatives sont prises. Prenons l'exemple du livret de famille bilingue. Pour le Conseil constitutionnel, c'est le français qui fait foi, mais une traduction est possible. Pour certains juges, c'est contraire à la Constitution. Les mairies n'ont donc aucune certitude sur ce qu'elles doivent ou peuvent faire. Bref, nous sommes dans l'insécurité. Autre exemple : en 2010, le tribunal administratif de Montpellier a exigé le retrait des panneaux en occitan de Villeneuve-lès-Maguelone suite au recours qui avait été intenté par une association. Tout est fait pour que les langues régionales n'investissent pas la sphère publique. Or, une langue qui n'est pas utilisée est vouée à disparaître. Il nous faut donc trouver l'équilibre subtil qui nous permettra de conserver ces langues en même temps que la langue commune dont nous avons besoin par ailleurs. L'État reste aujourd'hui en retrait, si bien que ce sont les régions qui tentent de répondre aux sollicitations de nos concitoyens et font des avancées. Il faut sortir de cette insécurité juridique.
Il faut partir de l'idée de patrimoine. Les langues font partie du patrimoine culturel et immatériel de l'État ; en tant que représentants de la Nation, nous en sommes comptables vis-à-vis de nos concitoyens et des générations futures.