Intervention de Jean-éric Gicquel

Réunion du 29 novembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-éric Gicquel, professeur de droit public à l'université Rennes I :

Je reviendrai pour ma part sur trois points.

Demandons-nous, tout d'abord, quelle pourrait être la position du Conseil constitutionnel en cas de nouvelle saisine. Nous avons un indice, avec une décision rendue en 2011 dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, « Mme Cécile Lang et autres ». Il s'agissait de savoir si l'article 75-1 de la Constitution pouvait fonder des droits et des libertés. Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative. Sa jurisprudence sur la question linguistique reste donc assez restrictive.

Il faut aussi réfléchir à un statut législatif pour les langues régionales, en commençant par codifier ce qui existe. Je n'ose parler de « loi serpillière », mais l'idée est là : il s'agirait de « ramasser » toutes les pratiques déjà en vigueur pour leur donner un statut législatif. Prenons un exemple concret, qui a fait l'objet de décisions de justice remarquées : la question du bilinguisme routier. Le tribunal administratif de Montpellier a invoqué des raisons de sécurité routière pour ordonner à un maire de retirer les panneaux bilingues de sa commune ; à la suite de quoi, le Sénat a voté une proposition de loi relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale. En juillet dernier, la cour administrative d'appel de Marseille a finalement invalidé le jugement du tribunal administratif. Nous avons là un exemple caractéristique, en ce sens que la loi n'a ni expressément autorisé ni expressément interdit cette pratique. Il s'agit donc d'une tolérance à laquelle on pourrait donner un statut législatif afin d'écarter toute incertitude juridique. Un autre exemple est celui de la pagination des sites web. Sur le site du conseil régional de Bretagne, il suffit de cliquer sur une icône pour accéder à des pages en breton. Là encore, il s'agit d'une tolérance. Commençons donc par constater les droits existants et les regrouper dans un texte afin d'assurer une sécurité juridique aux collectivités locales.

Le dernier point est plus complexe. Peut-on se contenter d'écrire dans la Constitution que la France peut engager le processus de ratification de la Charte, voire faire référence à sa déclaration interprétative ? Vous savez que la Charte interdit toute réserve. Néanmoins, il y a une différence entre réserve et déclaration interprétative. Une réserve est émise par l'État qui refuse expressément d'exécuter telle ou telle obligation d'un traité. La France a par exemple émis une réserve sur l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies de 1966, qui stipule que « dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. »

La déclaration interprétative se distingue de la réserve. Certains États ont déjà assorti leur signature ou leur ratification de la Charte de déclarations interprétatives. C'est le cas du Danemark s'agissant de la question du Groenland, ou de l'Azerbaïdjan pour la partie de son territoire occupée par l'Arménie. La France a la possibilité de faire de même dans son instrument de ratification. C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait pour la Charte européenne de l'autonomie locale, qu'elle a ratifiée en 2007, en indiquant que les établissements publics de coopération intercommunale ne sont pas des collectivités locales au sens de cette charte. C'est une interprétation qui est donnée de la Convention en cas de litige. La France avait également assorti la signature de la Charte des langues régionales ou minoritaires d'une déclaration interprétative afin, justement,que celle-ci puisse être acceptée par le Conseil constitutionnel. Mais dans sa décision de 1999, celui-ci a considéré que cette déclaration n'avait aucune force normative et constituait un simple « instrument en rapport avec le traité et concourant, en cas de litige, à son interprétation ». Le Conseil ne l'a donc pas intégrée à son contrôle, se bornant à celui de la seule Charte. Par conséquent, la difficulté reste entière : il n'existe aucune raison objective pour que le Conseil constitutionnel ne maintienne pas sa position de 1999, à savoir que la Charte n'est pas compatible avec la Constitution.

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