Nous sommes face à une question très débattue : la position que pourrait adopter demain le Conseil constitutionnel sur les dispositions concernant les langues régionales. M. Verpeaux est plutôt optimiste. M. Mélin-Soucramanien est particulièrement pessimiste, puisqu'il estime que le Conseil constitutionnel s'opposerait même à une révision constitutionnelle – ce que je trouve un peu excessif : si un article de la Constitution dit que la République peut ratifier la Charte, je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait ignorer la volonté du constituant. Certes, on peut se poser la question du coût politique d'une telle révision constitutionnelle. Mais sur le plan juridique, je n'ai aucun doute : si cette disposition figure dans la Constitution, le Conseil constitutionnel la respectera. Peu importe par ailleurs l'article dans lequel elle serait placée.
Notre discussion a montré que nous sommes aujourd'hui dans une grande incertitude juridique – ce qui ne devrait pas être. Nous avons évoqué les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération et le livret de famille bilingue : ces questions ne devraient même pas se poser ! Lors de la discussion de la proposition de loi du Sénat, nous avons entendu des propos proprement hallucinants, témoignant de la complète incertitude des élus sur les dispositions qu'ils pourraient ou non adopter en faveur des langues régionales dans le cadre de la Constitution. Il est tout à fait anormal d'en arriver là. Sans doute faudrait-il commencer par faire un travail sur les mesures de promotion des langues régionales qui sont envisageables, puis se livrer à une analyse juridique afin de voir lesquelles posent problème au regard de la Constitution. Personnellement, je pense qu'elles sont peu nombreuses, sauf à adopter une attitude résolument hostile à l'égard des langues régionales. S'agissant du livret de famille bilingue, la réponse a déjà été donnée, en 1999, par le Conseil constitutionnel, qui a dit que les traductions étaient toujours possibles. Je ne comprends même pas qu'une discussion puisse perdurer sur le sujet. En réalité, c'est le contexte qui pollue la discussion : les choses les plus simples sont tout à coup mises en cause et considérées comme juridiquement impossibles. Je conçois que la ratification de la Charte puisse apparaître délicate sur le plan politique, mais elle aurait au moins l'avantage de résoudre le problème. Dès lors que le constituant reconnaît les principes de la Charte, cela signifie en effet qu'ils sont compatibles avec la Constitution.
Encore une fois, la Charte ne comporte aucune disposition vraiment problématique. Vous avez évoqué une phrase du préambule, mais celui-ci n'a pas de portée juridique en lui-même. J'ajoute qu'il faut comprendre la vie publique non pas comme la vie administrative, mais comme l'opposé de la vie privée. Surtout, il faut aller au bout de cette phrase, qui fait référence aux principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies et à l'esprit de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe. C'est sa seule portée.
Commençons donc par établir une liste des choses concrètes qui existent déjà. Le terme de codification n'est pas très heureux, dans la mesure où il n'existe justement rien dans notre législation, hormis peut-être une ou deux dispositions telles que l'article L.312-10 du code de l'éducation. On y trouve aussi quelques dispositions négatives qui viennent limiter l'usage des langues régionales, mais aucune disposition positive, si bien que chaque fois qu'une initiative est prise, on nous objecte que ce n'est pas prévu. La seule codification ne suffira dons pas : il faut introduire des dispositions positives, permissives, pour rompre cette interprétation négative qui limite l'application des mesures qui devraient déjà pouvoir être mises en oeuvre en faveur des langues régionales minoritaires.