Intervention de Abdulbaset Sieda

Réunion du 10 octobre 2012 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Abdulbaset Sieda, président du Conseil national syrien :

En 1978, j'ai rédigé un mémoire de recherche sur « la liberté chez Bergson » ; plus de trente ans ont passé, et nous voici précisément en train de lutter pour notre liberté. Tel est en effet le but de la révolution syrienne : la liberté, la dignité et la justice sociale. Hélas, le prix que paient les Syriens pour conquérir ces valeurs est considérable : plus de 30 000 martyrs, plusieurs dizaines de milliers de personnes disparues, emprisonnées ou mutilées, plus de trois millions de déplacés internes et un demi-million de réfugiés dans les pays voisins. La Syrie paie le prix du sang – le sang de sa jeunesse à qui un pouvoir dictatorial a ôté toute perspective, le sang d'une jeunesse privée d'horizons alors même que le reste du monde change sous ses yeux.

La société syrienne est une mosaïque ethnique et religieuse. Or, toutes ses composantes se sont rassemblées dans cette révolution : c'est aujourd'hui que se fait la véritable unité nationale du pays. Chaque jour, des jeunes gens issus de toutes les catégories de la population marchent ensemble sur les places et les avenues des villes de Syrie pour défendre la liberté de notre peuple au prix de leur sang. Depuis l'Antiquité, la Syrie se distingue par le respect des différentes communautés qui vivent sur son sol. Le peuple syrien est tolérant par nature. Son histoire est liée à différentes religions – le sunnisme, le chiisme mais aussi le christianisme, qui est un élément essentiel de son identité. Songez que l'araméen, la langue du Christ lui-même, est encore parlé dans certains villages syriens par des chrétiens et des musulmans !

Pourtant, la Syrie subit encore les conséquences du coup d'Etat militaire de 1963, puis du « mouvement correctif » lancé par Hafez El-Assad en 1970 – en réalité un second coup d'Etat – par lesquels le parti Baas a imposé une couleur unique à cette société plurielle. Le pouvoir confessionnel exercé depuis lors brouille les cartes et ne convient pas du tout au peuple syrien. Ce régime, sous couvert de slogans nationaux et panarabes, a utilisé une appartenance confessionnelle pour mettre la main sur le pays tout entier – et ses richesses. D'emblée, il a fait comprendre à l'Occident qu'il protégeait la laïcité face à l'extrémisme, mais au lieu de garantir « la sécurité de l'Etat », il s'est rapidement mué en Etat sécuritaire corrompant les honnêtes gens et condamnant les opposants. Une fois les principales forces politiques – communistes et nassériens – mises au pas, Hafez El-Assad a également fait le choix de la confrontation avec les Frères musulmans, allant jusqu'à promulguer en 1980 une loi honteuse et inacceptable qui condamnait à mort tous les membres de cette confrérie.

La société syrienne, diverse et modérée, ne saurait supporter aucun extrémisme ethnique, confessionnel ou idéologique. Certains extrémistes ont peut-être pu profiter du chaos actuel pour entrer sur notre territoire, mais ils n'ont pas leur place dans notre société. Le philosophe égyptien Zaki Naguib Mahmoud l'a bien écrit : le mélange de la politique avec la religion conduit inévitablement à la catastrophe. Or, c'est précisément ce que fait le régime actuel avec l'aide de l'Iran ; de ce point de vue, il encourage l'escalade de la violence. Il s'efforce d'imposer une règle politique par le biais d'une confession – sa détermination à propager le chiisme dans de nombreuses régions du pays est d'ailleurs ancienne. Le Conseil national syrien, au contraire, défend la liberté religieuse et la liberté de pensée de chaque citoyen.

La situation de la Syrie affecte les pays alentour – le Liban, la Jordanie, l'Irak et la Turquie notamment – et pourrait y entraîner des conséquences graves. Les massacres qui ont lieu en Syrie font environ deux cents morts chaque jour. Ces gens ne sont pas que des chiffres ; ils avaient une famille, un parcours, des projets, et si chacun d'entre eux avait pu écrire l'histoire de sa vie, la littérature mondiale y aurait trouvé l'un de ses plus beaux titres.

Le temps est donc venu d'agir. Je l'ai dit au Président de la République française : la légitimité internationale, qui n'est pas une fin en soi, doit garantir le respect des droits des individus et des peuples ainsi que la paix et la sécurité internationale. Quel sens a-t-elle dès lors qu'aucun de ces objectifs n'est plus atteint ? A cet égard, les règles de fonctionnement du Conseil de sécurité des Nations Unies, établies à la fin de la deuxième guerre mondiale, sont obsolètes et doivent être rénovées, mais le peuple syrien ne saurait attendre que ce soit fait, lui qui est la victime d'un massacre à grande échelle.

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