Le CNS n'envisage pas la même voie que celle empruntée en Irak et qui n'a pas marché, c'est-à-dire une « débaasification » de la Syrie. Le parti Baas a contrôlé de nombreux secteurs de la société et on ne doit pas renouveler les erreurs commises ailleurs. Ceux de ses membres qui ont pris part aux exactions du régime seront bien évidemment jugés. En revanche, le parti en tant que tel pourra continuer à vivre dans une Syrie démocratique. C'est également vrai pour les organismes de sécurité auxquels de nombreux Syriens ont été forcés de collaborer. Il faut un programme pour les réintégrer.
Nous avons un dicton, en Syrie, qui dit qu'on ne peut pas nettoyer le sang avec du sang mais avec de l'eau. C'est sans doute la raison pour laquelle nous envisageons de confier une responsabilité au vice-président actuel. Ce que nous voulons aujourd'hui c'est de mettre fin aux assassinats et aux massacres, c'est que soient respectées les aspirations du peuple syrien. Pour nous, celui qui prendra les rênes de la Syrie devra être une personnalité de consensus et engagée envers les principes de la révolution. Chacun aura à jouer un rôle en fonction de ses compétences.
En ce qui concerne les sanctions, elles ont eu des résultats. Toutefois, le régime actuel obtient ce qu'il veut via l'Irak et le Liban. L'Iran lui fournit argent et combattants. Les gardiens de la révolution l'ont eux-mêmes reconnu.
En dépit des sanctions qui tardent à avoir des effets, le régime continue de bombarder le peuple et de commettre des atrocités tels des viols ou des massacres. J'ai fait une tournée dans les camps de réfugiés. Un vieil homme m'a pris dans ses bras et, en larmes, m'a raconté une scène ou un vieillard de 85 ans fut brûlé vif devant tout le monde. Une enfant, originaire de Azaz, m'a dit, avec ses mots, que le criminel Bachar avait détruit sa maison.
En ce qui concerne le Conseil de sécurité, je suis allé en Russie. J'ai vu Lavrov et je lui ai dit que des Syriens étaient aujourd'hui tués par des armes russes. Il m'a dit que la Russie condamnait cela mais je lui ai répondu que cela ne suffisait pas. Je l'ai d'ailleurs répété à Bogdanov, à Paris. Je lui ai dit que j'avais beaucoup lu les oeuvres russes et que son pays devait désormais être à la hauteur de sa littérature. Je lui ai dit que la Russie couvrait un régime assassin. J'espère que la position des Russes va changer. Nous sommes ouverts au dialogue, mais le sang syrien ne doit pas continuer à couler.
Il y a des différences entre les djihadistes, Al-Qaida et les Frères musulmans. Ces derniers font partie de l'opposition syrienne de longue date et leurs conceptions ont beaucoup changé depuis le début des années 2000. Ils proposent des projets, reposant sur une vision de la Syrie, et ils respectent les droits des autres composantes du peuple syrien. Lors d'un colloque auquel j'ai participé près de la Mer morte, avec Michel Kilo et des représentants des alaouites et des druzes, tout le monde a reconnu l'intérêt des propositions faites par les Frères musulmans. Ayant longtemps été à l'étranger, ils ont beaucoup appris des sociétés au sein desquelles ils ont vécu et ils admettent eux-mêmes la nécessité de respecter l'Autre dans sa différence.
Les communautés alaouites, chrétiennes et kurdes font partie de notre tissu national. Notre devoir est de leur donner des garanties, non pour faire plaisir à l'étranger en leur faisant un cadeau, mais par nécessité interne. Si les alaouites, les chrétiens, les chiites, les ismaéliens, les druzes et les kurdes s'en allaient, que resterait-il de la Syrie ? Nous sommes fiers de la diversité et de la coexistence qui caractérisent notre pays. Nous devons donner encore un nouvel alphabet au monde en continuant à servir de pont entre les peuples.
Le texte que nous avons adopté au sujet des kurdes est plutôt en pointe. Le président du Conseil national kurde l'a reconnu à Erbil, au cours d'une réunion à laquelle participaient une délégation turque, dont M. Davutoglu faisait partie, et une délégation de la présidence du Kurdistan irakien. Nous avons abordé la question du PKK, que le régime instrumentalise pour étrangler les révolutionnaires dans les zones kurdes, et j'ai prévenu M. Davutoglu qu'il n'y aurait pas de stabilité régionale sans solution juste au problème kurde en Turquie.
Les kurdes peuvent servir de pont entre tous les peuples de la région, comme les chrétiens et les alaouites. Je crois que nous pouvons délivrer un message rassurant sur ce point.
Afin de dissiper les craintes et les obsessions, nous avons besoin de textes, d'une pratique permettant de les confirmer sur le terrain et d'un mécanisme de règlement pacifique des conflits qui surviendront.