Plusieurs fragilités internes à ce projet de loi tendent à démontrer que les droits du Sénat, établis au travers de l’article 45 de la Constitution, ont été bafoués lors de l’examen de ce texte, que la liberté d’entreprendre et l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont gravement remis en cause, que la liberté d’établissement qui relève de la directive du 19 décembre 1996 sur la libéralisation du marché intérieur de l’énergie, qui a force de loi en application de l’article 55 de la Constitution, est intrinsèquement abolie par ce texte, et que, de manière plus globale, le projet de loi qui nous est soumis viole le principe constitutionnel de clarté, d’intelligibilité et de concrétisabilité de la norme législative.
Premier argument, donc, que j’appellerai « le paradigme d’Abraham Lincoln appliqué à la transition énergétique », le Gouvernement a respecté formellement la procédure de convocation de la commission mixte paritaire mais la majorité a écrasé le principe de dialogue paritaire, empêchant un accord, et l’article 45 de la Constitution n’a donc pas été respecté.
En préambule, il faut le reconnaître : les règles régissant la commission mixte paritaire se caractérisent par la rareté des sources écrites constitutionnelles, puisque la commission mixte n’est mentionnée que dans le seul article 45 de la Constitution, qui ne détaille ni sa composition – au-delà de la parité de principe –, ni son fonctionnement. En réalité, ce relatif silence de la Constitution est conforme à l’idée selon laquelle une certaine liberté doit être laissée aux assemblées parlementaires pour leur organisation et leur fonctionnement. Il y a néanmoins un aspect important : la parité, c’est-à-dire le respect d’un équilibre entre les chambres, qui s’accompagne d’un fonctionnement collégial, puisque chaque chambre est représentée par plusieurs membres. En réunissant une commission paritaire, la Constitution donne une chance au Sénat de discuter avec l’Assemblée pour éviter que cette dernière ne lui impose sa volonté. Le constituant n’a pas souhaité que ce débat se limite à deux représentants, un de l’Assemblée nationale et un du Sénat, sur le modèle de la médiation ou de la négociation. Il a voulu acter l’abandon de l’exclusivité des pouvoirs législatifs de l’Assemblée nationale prévue dans la Constitution de 1946, ce qui suppose donc de faire exister le Sénat en cas de désaccord.
Or, lors des travaux de ladite commission mixte paritaire sur le présent projet, il est très rapidement apparu que certains députés de la majorité étaient sensibles aux arguments des sénateurs sur le seul vrai point de désaccord, à savoir la trajectoire du nucléaire dans la transition énergétique. Pour résumer, l’Assemblée voulait une diminution de la part du nucléaire de 75 % à 50 % d’ici à 2025 ; le Sénat était d’accord sur la pente mais pas sur la date de 2025, beaucoup trop rapprochée. À côté de cela, le Sénat acceptait de plafonner la capacité nucléaire à 64,85 gigawatts, tandis que l’Assemblée voulait la plafonner à 63,2 gigawatts – 1,65 gigawatt de différence, soit un écart de 2,6 %.
Je vous le demande, chers collègues : qui peut croire qu’une différence d’appréciation sur un calendrier et 2,6 % de nucléaire en plus justifiaient cette seconde lecture ?