Intervention de Didier Quentin

Séance en hémicycle du 6 décembre 2012 à 15h00
Encadrement des grands passages et procédure d'évacuation forcée — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, mes chers collègues, la France est l'une des rares nations à avoir adopté une législation consacrée à l'accueil des gens du voyage sans doute parce que, pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer, ceux-ci sont beaucoup plus nombreux dans notre pays que chez nos voisins européens.

La loi du 5 juillet 2000, relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dite loi Besson, a cherché à établir un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des gens du voyage et des collectivités territoriales afin de favoriser la cohabitation harmonieuse de différentes populations sur le territoire national.

Cette loi oblige les collectivités territoriales à organiser l'accueil des gens du voyage tout en leur permettant, en contrepartie, de recourir à des mesures renforcées de lutte contre leurs stationnements illicites.

Cependant, la mission d'information de la commission des lois chargée, sous la précédente législature, d'évaluer ce dispositif, et que j'ai eu l'honneur de conduire avec nos collègues Charles de La Verpillière et Dominique Raimbourg, a constaté que la loi du 5 juillet 2000 n'était plus vraiment adaptée aux réalités évolutives des modes de vie de la population concernée.

Comme l'avait rappelé, devant cette mission, M. Louis Besson lui-même, secrétaire d'État au logement dans le gouvernement de M. Lionel Jospin et initiateur de ladite loi, deux questions ne se posaient pas avec la même acuité en 2000 : celle des grands passages et celle des terrains familiaux.

Tel est l'objet de cette proposition de loi. Elle n'a pas pour ambition de réactualiser l'intégralité de la loi Besson, ce qu'il faudra sans doute faire bientôt. Il s'agit seulement, en dehors de tout esprit partisan, avec le souci de l'intérêt général et sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, de répondre à l'urgence de situations concrètes rencontrées sur le terrain par les élus locaux, et notamment par les maires. Ceux-ci sont de plus en plus souvent confrontés, notamment durant la période estivale, à l'arrivée intempestives de centaines de caravanes, entraînant des tensions avec les populations riveraines et aboutissant parfois à des situations anarchiques.

En outre, ce texte tire les conséquences d'une importante évolution des pratiques de déplacement. Une part croissante des gens du voyage tend en effet à se sédentariser, partiellement ou complètement, et à ne plus se déplacer qu'à l'occasion de rassemblements traditionnels ou cultuels massifs, généralement au cours de la saison estivale. De plus, cette sédentarisation s'opère dans des conditions précaires et sur des terrains qui, pour la plupart, n'ont pas été aménagés à cette fin.

Notre proposition de loi s'appuie sur le constat établi, et approuvé à l'unanimité, par notre mission d'information de 2011, ainsi que sur les deux rapports remis, en 2008 et en 2011, par le sénateur Pierre Hérisson, président de la commission nationale consultative des gens du voyage, et sur les rapports du conseil général de l'environnement et du développement durable, en octobre 2010, et de la Cour des comptes, en octobre 2012.

Avec Charles de La Verpillière, Jacques Lamblin, Christian Jacob et une cinquantaine de nos collègues, votre rapporteur estime qu'il est urgent d'adapter sur deux points la loi du 5 juillet 2000 aux réalités de 2012.

Tout d'abord, il convient que les grands passages soient clairement encadrés par la loi. Je rappelle que la loi du 5 juillet 2000 a prévu l'obligation, pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants, de créer des aires permanentes d'accueil selon des implantations planifiées dans le cadre d'un schéma départemental. Cependant, elle n'a pris en compte que de façon partielle la problématique des grands passages. Or ceux-ci sont distincts des grands rassemblements qui regroupent plusieurs dizaines de milliers de personnes, soit plusieurs milliers de caravanes, pour des manifestations essentiellement cultuelles. La plus connue se déroule aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

En application de la loi du 5 juillet 2000, l'État a la responsabilité des grands rassemblements, organisés en coordination avec les responsables des associations concernées. Ces grands rassemblements ne soulèvent généralement pas de difficultés majeures.

En revanche, les grands passages sont d'une nature différente, même s'ils ont souvent un lien avec les grands rassemblements, en servant notamment de préparation et de convergence vers les rassemblements de l'été. En 2009, ils ont représenté 80 à 85 groupes d'environ 200 caravanes ou plus, qui ont traversé, de juin à septembre, entre 800 et 1 000 villes. Ces déplacements sont également liés à des motivations commerciales, telles que les ventes sur les marchés. Or cette charge devient de plus en plus difficile à supporter pour les collectivités territoriales.

Ce n'est qu'en 2006 que les grands passages ont reçu une définition législative et que la loi a prévu l'existence d'aires spécifiques définies par les schémas départementaux. Cette solution s'est, à la longue, révélée inéquitable, impraticable et inefficace.

Inéquitable, car elle fait supporter à certaines communes ou intercommunalités une charge disproportionnée. Impraticable, car elle nécessite des équipements coûteux dans des aires très vastes pour une utilisation limitée à quelques semaines par an. Inefficace, car à peine 35 % des aires de grand passage ont été financées aujourd'hui, contre 68 % des places prévues en aires d'accueil. C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à consacrer une distinction claire, plus ou moins établie déjà dans la pratique.

Les collectivités territoriales auraient pour responsabilité de proposer des solutions d'accueil aux gens du voyage pratiquant un nomadisme individuel ou par petits groupes, les conduisant à se déplacer régulièrement. L'État, lui, devrait superviser les grands rassemblements traditionnels ou religieux ainsi que les grands passages regroupant plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de caravanes en route sur des terrains que lui seul peut choisir et aménager, et dont certains pourraient être des terrains domaniaux, par exemple des terrains militaires désaffectés.

Cette formule favoriserait une rotation annuelle des emplacements permettant de ne plus faire supporter les contraintes par un seul territoire et facilitant l'acceptation des grands passages par les populations résidentes.

Mais l'État ne pourra davantage s'impliquer dans la gestion des grands passages que grâce à un régime de déclaration préalable obligatoire par les organisateurs, compte tenu notamment de l'impact sur l'ordre public de l'arrivée de plusieurs centaines de véhicules et de caravanes. Par ailleurs, l'existence d'un réfèrent permettra de développer les pratiques locales de médiation.

En second lieu, il nous faut prendre en compte la tendance à la sédentarisation des gens du voyage en dépit de l'apparente contradiction des termes. Depuis plusieurs années, les gens du voyage se déplacent moins et s'ancrent territorialement pour des périodes de plus en plus longues.

Ainsi, entre la moitié et les trois quarts d'entre eux ne se déplaceraient plus ou peu. Mais leur sédentarisation se produit souvent dans deux types de lieux inadaptés : des terrains qu'ils ont achetés ou loués, et dont l'utilisation n'est pas toujours conforme aux règles de l'urbanisme ; les aires d'accueil, où les durées de séjour s'allongent alors qu'elles n'ont pas été conçues comme un habitat permanent.

Ces nouveaux sédentaires bloquent la rotation au détriment des gens du voyage encore nomades, provoquant un effet de thrombose et engendrant même parfois la création de bidonvilles.

Devant ce phénomène, l'offre d'habitat adapté reste insuffisante, les collectivités ne mettant que rarement en place un tel habitat dont l'existence doit pourtant être prévue par les documents d'urbanisme.

Aussi, le présent texte vise-t-il à obliger l'État à proposer une solution de relogement adaptée aux personnes sédentarisées sur des terrains inadaptés, qu'il s'agisse d'aires d'accueil ou de terrains non destinés à l'habitat depuis une durée supérieure à dix-huit mois. Ces dispositions peuvent se rapprocher de celles de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable.

Enfin, il importe de restaurer les conditions spécifiques de mise en oeuvre de la procédure d'évacuation forcée des terrains publics.

En contrepartie de l'obligation de création d'aires d'accueil, la loi du 5 juillet 2000 a posé comme principe que seules les collectivités locales ayant satisfait à leurs obligations légales d'aménagement d'aires d'accueil bénéficient de moyens renforcés de lutte contre les stationnements illicites.

La rédaction initiale de la loi du 5 juillet 2000 avait prévu que, pour demander l'évacuation d'un terrain appartenant à la commune, la condition d'atteinte à l'ordre public n'était requise que lorsque le maire saisissait la justice pour une occupation d'un terrain appartenant à un autre propriétaire, c'est-à-dire, le plus souvent, un propriétaire privé. Dans certains cas, cependant, le juge administratif a refusé l'expulsion forcée d'un terrain public au motif que le trouble à l'ordre public n'était pas établi. L'article 6 de la présente proposition de loi vise donc à ne maintenir la condition d'atteinte à la sécurité, la tranquillité et la salubrité publique que lorsque la demande d'évacuation forcée concerne l'occupation irrégulière d'une propriété privée. Cette condition ne sera plus exigée lorsque la demande concernera une propriété appartenant à la commune, à l'État ou à une autre personne publique.

La présente proposition de loi a donc pour objet, non pas de durcir ou de remettre à plat la loi Besson du 5 juillet 2000, mais bien d'adapter celle-ci à l'évolution des modes de vie des gens du voyage. Elle contient des solutions qui ont fait l'objet d'un consensus de la mission d'information constituée sous la législature précédente et qui vise principalement à mieux impliquer l'État dans l'accueil des grands passages et à responsabiliser davantage les gens du voyage par une préparation de leur arrivée aussi en amont que possible.

Si la commission des lois n'a pas jugé utile d'adopter ce texte, je m'en remets à la sagesse de notre Assemblée pour trouver un consensus sur des mesures de bon sens qui répondent à l'attente de nombreux élus de toutes sensibilités et des populations confrontés à ce problème récurrent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

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