Madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous procédons donc, après le débat au Sénat et l’échec de la commission mixte paritaire, à une nouvelle lecture de ce projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte comprenant les modifications qui ont été apportées au texte voté par l’Assemblée.
Je souhaite tout d’abord redire combien notre groupe partage, madame la ministre, les intentions affichées par votre projet. Il s’agit, en effet, de construire un nouveau modèle énergétique plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif, d’engager notre pays dans une lutte efficace et résolue contre le réchauffement climatique, et de poser les bases d’une nouvelle croissance plus économe en énergie.
Cinq ambitions sont ainsi affichées : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 et les diviser par deux à l’horizon 2050 ; diviser par deux la consommation d’énergie finale en 2050, par rapport à 2012 ; réduire la consommation d’énergies fossiles de 30 % en 2030 ; porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation énergétique en 2020 et à 32 % en 2030 ; et, enfin, réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité.
Il s’agit d’incontestables défis pour la France qui a le devoir d’être exemplaire, notre pays devant accueillir, au mois de décembre prochain, le sommet mondial énergie-climat à Paris. Si nous voulons entraîner d’autres nations dans un cercle énergétique vertueux, nous nous devons de nous fixer, pour nous-mêmes, des objectifs à la hauteur des enjeux.
Cela m’amène à vous faire part, à nouveau, des interrogations qui nous ont conduits, dans le cadre de cette nouvelle lecture, à déposer un certain nombre d’amendements de fond. La première d’entre elles, madame la ministre, est la suivante : avez-vous les moyens des ambitions qu’affiche votre projet ? Pour parvenir au mix énergétique envisagé, l’ADEME, estime en effet qu’il faudrait mobiliser entre 10 et 30 milliards d’euros de plus chaque année, sachant que les investissements énergétiques s’élèvent actuellement à 37 milliards.
Or il n’est prévu que 10 milliards d’euros sur trois ans, sous forme de crédits d’impôt, de chèque énergie et de fonds pour accompagner les collectivités locales, les particuliers, les entreprises et les banques. Le compte risque donc de ne pas y être.
En son temps, le Grenelle de l’environnement nous avait été présenté comme une révolution. Il a, sans aucun doute, joué un rôle décisif dans la prise de conscience de l’enjeu environnemental mais, faute de moyens correspondants, la montagne a souvent accouché d’une souris. Il serait regrettable que votre texte, madame la ministre, connaisse un sort similaire.
Vous me permettrez d’insister à présent sur deux points qui touchent à la construction du mix énergétique. Au sein de ce mix, la part du nucléaire doit passer, d’ici à 2025, de 75 % à 50 %. Je ne suis pas de ceux qui considèrent que le nucléaire serait un horizon indépassable.
Néanmoins, la diminution de sa part dans la production d’énergie n’est envisageable qu’au fur et à mesure d’une montée en puissance efficace, et forcément progressive, des énergies alternatives.
Le modèle allemand, dont M. Baupin ne parle pas, nous est souvent vanté. En l’espèce, il est un contre-modèle dont nous devons tirer des enseignements.
En 2000, nos voisins d’outre-Rhin lançaient le tournant énergétique. Les énergies renouvelables représentaient alors 7 % de la production électrique nationale. Aujourd’hui, les énergies vertes représentent 23 % de la consommation électrique et l’objectif pour 2020 est d’atteindre les 35 %.
De fait, l’Allemagne est parvenue à développer le solaire, l’éolien et la biomasse, et le mouvement est d’autant plus appelé à s’accélérer que les Allemands ont décidé de sortir du nucléaire, mais cette transition énergétique a un coût particulièrement élevé. La principale dépense est la subvention des tarifs de rachat de l’électricité produite sur la base d’énergies renouvelables. Le montant de ces subventions est estimé à 680 milliards d’ici à 2022. Ce sont, bien sûr, les usagers qui paient, et le kilowattheure allemand est déjà l’un des plus chers d’Europe – 0,27 euro –, quand le nôtre est parmi les plus bas – 0,15 euro –, la moyenne étant de 0,20 euro dans la zone euro et de 0,19 euro dans les vingt-huit pays de l’Union européenne.
Si la France occupe une telle place, c’est bien grâce à ses choix et à la maîtrise publique de sa production, dont il y aurait grand danger à sortir sans précaution.
À cela s’ajoute un paradoxe de taille : la fragilité et l’imprévisibilité de l’exploitation des énergies renouvelables, la sortie du nucléaire de nos amis allemands les conduisent à rouvrir des centrales à charbon, les plus émettrices de CO2, et comme ces dernières doublent la production des énergies renouvelables, les coûts de production augmentent d’autant.
Cela m’amène à une remarque sur l’éolien. Les évolutions législatives se sont multipliées pour en permettre le développement. Avec la loi Brottes, en mars 2013, la règle des cinq mâts a été abrogée, de même que les zones de développement de l’éolien, et le droit de l’urbanisme a été assoupli. Il nous est proposé, dans ce projet de loi, de ramener à 500 mètres la distance minimale entre les installations et les zones urbanisées. Bref, nous allons vers un mitage anarchique du territoire, ce qu’ont fait nos voisins allemands et ce dont ils sont en train de revenir. Le lobbying qui s’exerce en France est d’ailleurs le fait d’entreprises allemandes, qui voient l’occasion de prospérer sur notre sol alors que s’épuisent les perspectives outre-Rhin. Tout cela n’est pas raisonnable. Nous aurons sur ce sujet un amendement tendant à porter la distance à 1 000 mètres.
À partir de ces éléments d’appréciation sur le processus de construction du mix énergétique, il nous semble important, et c’est l’objet de plusieurs de nos amendements, d’afficher la nécessité d’une maîtrise publique du secteur de l’énergie, avec la définition d’une planification énergétique nationale, qui flèche en particulier les moyens financiers alloués par l’État pour chacun des objectifs et chacune des actions de la politique de transition énergétique, avec la création d’un pôle public de l’énergie incluant notamment EDF, GDF, AREVA et Total renationalisé.
Une autre série d’amendements concerne la réponse aux besoins de nos concitoyens, avec la garantie du maintien des tarifs réglementés pour l’électricité et le gaz, une maîtrise de la puissance publique sur la fixation des prix de vente, des dispositions concrètes contre la précarité énergétique tout au long de l’année.
D’autres amendements concernent les concessions hydrauliques et l’ouverture à la concurrence, la régionalisation de la production et de la distribution avec les questions qui sont posées sur la péréquation et l’unicité des tarifs à l’échelle de l’ensemble du territoire national.
Il y a enfin de grands absents dans ce projet de loi. Je pense, en particulier, aux transports collectifs et, pour le fret, au report modal, c’est-à-dire à la sortie du tout routier et au développement du ferroviaire et de la voie d’eau.
Je ne reviens pas sur la retraite opérée par le Gouvernement sur l’écotaxe, à laquelle s’ajoute d’ailleurs, depuis, la disposition de la loi Macron en faveur du transport de voyageurs en car.
Parmi les autres grands enjeux, pas ou peu présents dans le projet, il y a ceux qui touchent aux projets industriels et à l’adaptation de notre appareil productif à la transition écologique. Une volonté politique forte est pourtant nécessaire pour affronter des lobbies autrement plus puissants que ceux auxquels le Gouvernement a cédé sur l’écotaxe. Cela passera non par les 41 milliards du CICE et du pacte de responsabilité sans contrepartie, y compris écologique, mais, selon l’OFCE, par 16 milliards d’investissements par an à consentir par l’État et les entreprises.
Je conclurai par un autre grand sujet dont votre projet de loi fait une priorité : le bâtiment. Il représente à lui seul 44,5 % de la consommation énergétique finale. L’objectif est d’atteindre en 2017 le rythme de 500 000 logements rénovés par an. C’est souhaitable, mais très ambitieux si nous considérons que, chaque année, les objectifs fixés ne sont jamais atteints.
Notons que le crédit d’impôt pour les dépenses de rénovation énergétique a été renforcé depuis le 1er septembre, passant à un taux unique de 30 % du coût des travaux au lieu de 15 % ou 25 %. Néanmoins, cette mesure est très limitée dans le temps.
Il ne vous aura pas échappé que la baisse du pouvoir d’achat des Français réduit leur possibilité d’engager les travaux nécessaires. Certes, le taux bénéficiera à toute action simple de rénovation. C’est vrai que c’est incitatif mais, en même temps, cela risque de créer un effet d’aubaine pour les entreprises et d’inciter les particuliers à réaliser des travaux ponctuels, au détriment d’une cohérence d’ensemble efficace.
De même, pour augmenter de 30 000 à 100 000 par an le nombre d’éco-prêts à taux zéro, le projet de loi visait à décharger les banques de la validation technique des dossiers, ce qui fait qu’elles rechignent aujourd’hui à accorder de tels prêts. Il fallait simplement s’assurer que les artisans répondent à la norme « reconnu garant de l’environnement ». Or le label ne garantit pas une rénovation énergétique performante, laquelle, dans un souci d’efficience, gagnerait à relever d’un véritable service public de l’efficacité énergétique.
Telles sont, madame la ministre, les remarques que je souhaitais formuler pour cette nouvelle lecture que nous abordons dans un esprit ouvert et constructif. Notre vote dépendra du sort qui sera réservé à nos propositions.