Cet exercice de consultation publique a d'ores et déjà donné lieu à une multiplicité d'initiatives qui nourrissent la réflexion collective. La commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale a souhaité, elle aussi, y participer. Avec Marie-Louise Fort, nous avons donc organisé deux initiatives : une table ronde réunissant des représentants des ambassades de sept pays participant à la PEV ; une série d'auditions menées à Bruxelles.
Au terme de ce travail, nous vous proposons d'adopter une proposition de résolution européenne contenant une série de recommandations, qui ont en réalité un objectif unique : mieux adapter la PEV aux enjeux régionaux et nationaux contemporains
Une décennie après son découpage, force est de constater que le périmètre des pays couverts par la PEV conserve sa cohérence, dans la mesure où il couvre : à l'Est, tous les pays possédant une frontière terrestre ou maritime soit avec l'Union européenne, soit avec un pays reconnu comme candidat à l'adhésion, hormis évidemment la Russie ; au Sud, tous les pays côtiers des bordures méridionale et orientale de la Méditerranée, plus la Jordanie, dont le destin est intriqué à celui du reste du Proche-Orient.
Il n'en demeure pas moins que l'Union européenne doit aussi se garder de donner l'impression d'ériger un nouveau mur et s'adresser aux « voisins des voisins ». Sont concernés la Russie mais également les pays d'Asie centrale, du golfe Persique et de la ceinture sahélienne, zones sensibles au regard des défis énergétiques, sécuritaires et migratoires auxquels nous sommes confrontés.
Politiques de voisinage et d'élargissement ont parfois tendance à être mélangées. Cela pose surtout problème pour la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, qui revendiquent leur accession immédiate au statut de candidat à l'adhésion. La crise géorgienne de 2008 et plus encore le conflit ukrainien actuel invitent précisément l'Union européenne à se montrer vigilante vis-à-vis de la Russie. Il faut rappeler le fait qu'un partenariat approfondi avec l'Union européenne n'équivaut pas à un passeport pour l'adhésion. Il n'est pas question de décourager les peuples des pays du Partenariat oriental en leur fermant définitivement la porte mais tout milite pour n'envisager une telle perspective qu'à l'horizon de plusieurs décennies.
La PEV a été imaginée comme un tout et, comme c'est souvent le cas pour les politiques européennes, elle procède d'un consensus : ne pas opposer les voisins du Sud et Est mais au contraire les faire bénéficier de la même attention politique et des mêmes mécanismes de financement et d'accompagnement juridique et administratif parce que, de par leur contiguïté avec l'Union européenne, ils méritent le même degré d'intérêt de sa part. Telle est la doctrine sous-tendant la PEV : il n'y a pas deux voisinages mais un seul.
L'Union européenne reste indéfectiblement attachée à l'État de droit et à une certaine conditionnalité « coopération contre démocratie ». Mais elle doit aussi appréhender sa politique de voisinage avec pragmatisme, y compris, d'ailleurs, pour atteindre au final cet objectif d'exportation de ses valeurs. Il convient donc, dans le cadre de la PEV, de créer les conditions pour être entendue, en promouvant des politiques favorables au développement économique et à l'essor de la société civile.
Depuis la création de la PEV, dans tous les documents stratégiques y afférents, la différenciation politique a toujours été identifiée comme importante. Il convient dorénavant d'aller plus loin et de prendre en considération les attentes manifestées par chaque partenaire, en respectant leurs ambitions et leurs choix stratégiques souverains. En particulier, le statut avancé, dont jouissent six pays doit être enrichi. Ce recalibrage de la PEV est essentiel pour que l'Union européenne cesse d'organiser son offre en fonction des espoirs de 2003 : elle doit s'adapter au monde réel de 2015.
En corollaire, la Commission européenne doit disposer d'une certaine marge de souplesse dans l'utilisation des instruments financiers de la PEV pour répondre à l'évolution dans le temps des besoins manifestés par les pays partenaires, notamment pour se montrer réactive dans son soutien aux pays en proie à une situation politique, économique ou sociale critique, comparable au printemps arabe ou au conflit ukrainien.
Mais la prévisibilité budgétaire ne doit pas être sacrifiée sur l'autel de la flexibilité, d'autant que l'IEV est un outil bien conçu, qui procède d'un compromis subtil. Il est régi par la combinaison de deux clés de répartition quantitative qu'il convient de préserver : d'abord, 10 % des crédits sont alloués en fonction du principe « more for more » ; ensuite, en ce qui concerne la fraction de 90 % restante, deux tiers des crédits sont affectés au voisinage Sud et un tiers au voisinage Est, afin de prendre partiellement en compte l'écart démographique entre les deux zones.
Un phénomène de déperdition des crédits votés est à déplorer, avec un taux d'exécution de 63,65 % au Sud et de 75,04 % à l'Est. Celui-ci s'explique par la faiblesse des structures administratives de la plupart des pays partenaires. Il ne doit aucunement conduire à revoir le principe ou le mode de répartition de l'aide que l'Union européenne leur apporte, mais au contraire l'inciter à mieux accompagner leur appareil d'État dans la conduite des réformes de bonne gouvernance.
Les pays partenaires de la PEV jugent que la méthode itérative des plans d'action et des rapports de suivi n'apporte guère de valeur ajoutée par rapport aux accords bilatéraux mais qu'elle induit une conditionnalité politique accrue pesante et des pressions excessives pour l'ouverture des marchés de biens et services. Il convient donc de revoir ce système, d'une façon ou d'une autre.
Pour que nos voisins aient moins le sentiment de ne pas avoir prise sur la PEV, il convient de mieux les associer à la définition de ses objectifs et à la conception de ses priorités. C'est du reste ce que la Commission européenne et la haute-représentante ont amorcé en les incitant à participer à la consultation publique.
L'appropriation de la PEV par les partenaires passe par la fixation de priorités générales correspondant à des enjeux communs ; nous en avons identifié deux absolument cruciaux. Premièrement, les catastrophes humanitaires récentes au large de la Méditerranée ont mis en évidence l'importance d'une meilleure gestion des flux migratoires, notamment par le biais de la PEV, nos partenaires du voisinage étant à la fois pays d'origine et pays de transit pour les migrants. Deuxièmement, les pays du Partenariat oriental comme ceux de l'UpM ont beaucoup à apporter pour aider l'Union européenne à diversifier et sécuriser ses approvisionnements énergétiques.
Enfin, il convient de reconsidérer la PEV à travers une réflexion stratégique plus soutenue : à l'Est, elle est indissociable du positionnement de l'Union européenne à l'égard de la Russie ; au Sud, elle doit reposer sur une bonne appréciation des défis sécuritaires. L'Union européenne, dans son voisinage, sera alors présente sur le front du développement comme sur celui de la sécurité, aujourd'hui essentiellement assumé par les États membres. Elle a en effet vocation à occuper un rôle majeur sur la scène internationale et à intervenir plus efficacement pour contribuer à la résolution pacifique des crises qui enflamment l'aire méditerranéenne et l'espace post-soviétique.