Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 19 mai 2015 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

Madame la Présidente, mes chers collègues, la présente communication a pour objet de réaliser un point d'étape dans la négociation de la proposition de règlement relative à la création d'un parquet européen déposée le 17 juillet 2013, avant le prochain Conseil justice et affaires intérieures du 15 juin 2015, au cours duquel une orientation générale partielle portant notamment sur la structure du futur parquet européen pourrait être dégagée.

À titre liminaire, il convient de souligner que la proposition initiale de la Commission européenne était assez éloignée des positions défendues depuis plus de dix ans par l'Assemblée nationale.

La dernière résolution européenne de l'Assemblée nationale du 31 janvier 2014 (texte adopté no 285), portant sur la proposition de règlement et que j'ai eu l'honneur de rapporter devant notre commission, rappelle notre soutien constant à la création du Parquet, soutient l'idée d'une compétence partagée assortie d'une obligation d'information et d'un droit général d'évocation, soutient la proximité géographique avec Eurojust (La Haye), souhaite une structure collégiale et la formation de chambres, recommande des procédures de nomination inspirées de celles des membres de la CJUE, juge très insuffisantes les dispositions relatives au contrôle juridictionnel et suggère de compléter les règles relatives à l'admissibilité des preuves et à la prescription.

Je me permets aussi ici d'indiquer que notre commission, avec l'appui de notre Présidente Danielle Auroi, et sur une proposition que j'ai faite conjointement avec le professeur Patrick Sensburg, président de la sous-commission du droit européen du Bundestag, a tenu le 17 septembre 2014 une rencontre interparlementaire regroupant des représentants de seize parlements nationaux de l'Union Européenne sur la question du Parquet européen.

Cette rencontre interparlementaire à l'Assemblée nationale a débouché sur une recommandation commune des représentants de treize parlements nationaux en vue que le Parquet européen :

- soit institué sous une forme collégiale,

- soit composé de membres nationaux issus de leurs systèmes judiciaires respectifs, et

- qu'il dispose, non pas d'une compétence exclusive, mais d'une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d'un droit général d'évocation.

Dans un contexte d'euroscepticisme persistant, cette prise de position mérite, me semble-t-il, d'être rappelée et saluée !

Il convient enfin de rappeler brièvement que la proposition de règlement a fait l'objet d'un « carton jaune » au titre de la subsidiarité, 14 chambres nationales ayant émis un avis motivé jugeant le texte non conforme au principe de subsidiarité. L'Assemblée nationale, soutenant la création du Parquet européen, a jugé la proposition de la Commission européenne conforme au principe de subsidiarité, tout en contestant nombre des principes proposés par la Commission européenne, tels que la structure du Parquet ou encore les pouvoirs du Procureur européen.

Les négociations progressent relativement bien au Conseil. La présidence et la Commission européenne souhaitent qu'une orientation générale soit obtenue d'ici le Conseil Justice et affaires intérieures du 15 juin sur les 35 premiers articles qui portent sur le statut des membres du parquet européen, la structure et l'organisation des travaux du parquet européen, la procédure pour les enquêtes, les poursuites et les procès, ainsi que sur le contrôle juridictionnel. Cet objectif parait difficile à atteindre et ne doit pas conduire à réduire l'ambition du texte en se reportant sur le plus petit dénominateur commun.

La Commission européenne souhaiterait aboutir à un texte complet d'ici la fin de l'année 2015. Là encore, ce délai parait trop bref.

A ce stade, il apparait qu'un accord au sein du Conseil pourrait se dégager sur les articles premier à 16, comprenant l'architecture du Parquet européen (statut et structure, procédures de nomination et révocation). Au-delà, beaucoup d'incertitudes demeurent et des questions majeures n'ont pas été tranchées.

L'optique de la négociation n'est plus de créer une coopération renforcée à neuf États membres mais bien d'aboutir, si ce n'est à 25 (28 moins le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark), avec le maximum d'États membres.

Le Conseil JAI du 4 mars 2014 a acté le principe de la collégialité et celui de la compétence concurrente, avec l'exercice prioritaire de sa compétence par le Parquet européen. Le Parquet européen serait un organe de l'Union, dont la structure serait décentralisée. Le niveau central comprendrait le collège, les chambres permanentes, le chef du parquet et les membres du collège. Au niveau décentralisé, les procureurs européens délégués agiraient dans les États membres.

J'en viens à la structure du Parquet européen. Le chef du Parquet ou procureur européen en chef serait désigné d'un commun accord par le Conseil (majorité simple) et le Parlement européen.

La sélection serait fondée sur un appel à candidatures (le chef du Parquet ne serait pas issu du collège). Un panel indépendant dresserait une liste des candidats qualifiés soumise au Conseil et au Parlement européen. Le chef du Parquet serait désigné pour un mandat de 7 ans non renouvelable. La CJUE pourrait révoquer le chef du Parquet, sur requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission européenne.

Le chef du Parquet européen rendrait compte des activités générales du Parquet une fois par an devant le Conseil et le Parlement européen. Il pourrait également se présenter devant les parlements nationaux, à leur invitation, pour participer à des échanges de vue. Il pourrait cependant demander à un adjoint de se substituer à lui pour cette tâche.

Le chef du Parquet serait assisté de quelques adjoints (peut-être deux), nommés par le collège pour une période trois ans renouvelable.

Le collège serait composé des procureurs européens. Le chef du Parquet européen présiderait les réunions du collège, qui superviserait de façon générale les activités du Parquet et adopterait les décisions stratégiques. Il adopterait le règlement intérieur. Le collège ne participerait pas aux décisions opérationnelles sur des dossiers particuliers. Le collège adopterait ses décisions par consensus et, en l'absence de consensus, par vote (majorité simple), le chef du Parquet ayant une voix prépondérante.

Les procureurs européens seraient nommés par le Conseil à la majorité simple, après avis d'un panel, sur la base d'une liste de trois personnalités issues des services judiciaires ou de poursuite des États membres, fixée par chaque État membre (le nombre de trois est en débat). Ils seraient nommés pour une période de 6 ans non renouvelable. Les procureurs européens devraient superviser les enquêtes et les poursuites menées par le procureur européen délégué, interviendraient et donneraient les instructions nécessaires.

Les procureurs européens pourraient être révoqués par la CJUE sur requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission européenne.

La quasi-totalité des États membres souhaite que les procureurs européens soient en charge des enquêtes et poursuites dans leur État membre d'origine, soient le rapporteur du dossier devant la chambre permanente et en supervisent l'exécution. Toutefois, la Commission européenne (soutenue par la seule Bulgarie) est très opposée à cette idée, en ce qu'elle « renationaliserait » excessivement le Parquet européen, dont la valeur ajoutée européenne serait amoindrie, et en ce qu'elle ferait peser un doute sur l'indépendance du Parquet européen. Elle estime que ce système maintiendrait le caractère fragmenté des politiques de poursuite. Il faut toutefois prendre en compte le rôle de la chambre permanente dans l'instruction d'un dossier (voir infra) et le procureur européen en charge du dossier pourrait tout à fait ne pas prendre part au vote dès lors qu'il concerne une affaire dont il a la charge. Cette dernière position n'est cependant pas majoritaire parmi les États membres pour lesquels le procureur européen doit conserver son droit de vote. Les États membres font valoir que la connaissance très précise du système juridique de l'État dans lequel le procureur devrait diriger l'enquête serait un atout et assurerait la nécessaire réactivité du Parquet.

Des chambres permanentes (composées de trois procureurs européens dont le chef du parquet ou un de ses adjoints qui présiderait) dirigeraient les enquêtes et poursuites. Elles prendraient les décisions clés à la majorité avec voix prépondérante au président de chambre : ouvrir une enquête, attribuer une enquête, réattribuer une enquête, porter une affaire en jugement, choisir de l'État d'engagement des poursuites, classer une affaire, décider d'une transaction, approuver la décision d'un procureur européen de conduire lui-même une enquête.

Les facultés de délégation de ses pouvoirs (au procureur européen ou au procureur européen délégué) par la chambre, pour certaines décisions, ne sont pas établies à ce stade, la France n'y étant pas favorable, car il est selon elle important de maintenir l'analyse de la chambre sur toutes les décisions évoquées plus-haut et la collégialité. Ceci est d'autant plus important si le lien national est maintenu avec le procureur européen. L'Allemagne et les Pays-Bas notamment souhaitent établir des possibilités de déléguer ces pouvoirs. Il conviendra de bien veiller à maintenir une réelle plus-value pour le Parquet européen, dont les chambres doivent exercer leurs pouvoirs. Il existe un risque certain à vider de leur substance les compétences des chambres et à orienter le Parquet européen vers des formes plus classiques de coopération judiciaire.

Les procureurs européens délégués seraient désignés par le collège, après validation par le chef du Parquet, sur la base d'une proposition des États membres, pour une durée de cinq ans renouvelable.

Le champ de compétence du Parquet européen n'est pas encore fixé (articles 16 à 19), car il dépendra de la définition de la protection des intérêts financiers qui sera retenue dans la directive relative à la protection des intérêts financiers de l'Union actuellement en négociation. La question de la lutte contre la fraude à la TVA (carrousel TVA), qui n'impacte directement ni les recettes ni les dépenses de l'Union, mais qui impacte indirectement (par le biais de l'assiette de la TVA perçue puisque les ressources propres de l'UE comprennent 0,3 % de cette assiette) les recettes de l'Union et pour laquelle la lutte au niveau européen peut être pertinente, demeure très discutée. Le Parlement européen et la Commission européenne souhaitent inclure la fraude à la TVA dans le champ de la directive. Les trilogues sont en cours.

Le Parquet disposerait d'une compétence prioritaire (et d'une compétence accessoire pour les infractions inextricablement liées), avec une obligation d'information de la part des États membres et un droit général d'évocation, ce-dernier ne devant cependant, sauf cas particulier, pas s'appliquer lorsque le préjudice causé est inférieur à 10.000 euros.

Le devoir d'information des États vis-à-vis du Parquet fait encore l'objet de négociations, la France souhaitant notamment tenir compte des difficultés posées par une obligation d'information trop étendue (un seuil pour certains types d'infractions est en discussion). Il convient en effet de relever qu'en France, les infractions relatives aux intérêts financiers de l'Union sont pénales (y compris les infractions douanières).

Le principe de la légalité des poursuites serait retenu, aménagé, et avec une possibilité de transaction.

Pour certaines infractions (un seuil de préjudice pourrait être fixé), une liste minimale des mesures d'enquête à la disposition du Parquet européen serait fixée à l'article 26 mais son principe même demeure très discuté. Les Allemands sont très opposés à l'idée même de cette liste. Or, il faut souligner qu'il s'agit d'un élément central garantissant les pouvoirs minimaux du Parquet et qui assurerait la confiance mutuelle dans les procédures.

Les négociations futures devront encore trancher de nombreuses questions. Le mode de coopération transfrontalière entre procureurs européens délégués devrait être sui generis et non pas reposer sur les instruments d'entraide et de reconnaissance mutuelle existants. Cette question présente un lien avec les mesures d'enquêtes minimales et le haut niveau de confiance mutuelle nécessaire entre les États membres.

S'agissant de l'admissibilité des preuves, les débats n'ont pas progressé et nombre de questions épineuses demeurent (administration de la preuve devant le parquet européen, avant le renvoi devant une juridiction, socle minimal de garanties procédurales).

Le choix de la juridiction nationale de renvoi reposerait sur des critères encore peu détaillés.

En matière de recours juridictionnel, la solution initiale de la Commission européenne renvoyant aux juridictions nationales est écartée (le Parquet organe de l'Union pouvant, selon la Commission, être considéré comme un organe national aux fins du contrôle), comme le souhaitait notre Assemblée.

En conclusion, le texte actuellement en négociation me paraît devoir être soutenu, en ce qu'il permet, sur la base de compromis équilibrés, d'avancer avec le plus grand nombre d'États possible et de réaliser une première étape en vue de l'institution d'un Parquet européen.

Néanmoins, à ce stade, et c'est ma principale observation critique et mon principal regret, la compétence matérielle du parquet européen se limite aux infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.

Cette compétence pourrait être étendue à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière par le Conseil européen statuant à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et ce conformément aux dispositions de l'article 86, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l'Union. La plus-value apportée par un tel parquet européen permettrait de répondre de façon plus efficace aux préoccupations importantes exprimées par les citoyens européens. Ceux-ci attendent davantage de l'Union qu'elle renforce l'efficacité de la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue ou la traite des êtres humains.

Cette extension que nous avons demandée dans notre résolution de 2014 garde son actualité notamment lorsque l'on présume, et c'est l'actualité qui nous le rappelle, que les trafiquants et passeurs d'immigrés clandestins en méditerranée utilisent des réseaux, des comptes et des complicités analogues à ceux des autres trafiquants de grande criminalité.

De nombreux débats s'annoncent dès à présent sur des points majeurs (mode de coopération entre procureurs européens délégués, liste minimale des mesures d'enquête à la disposition du Parquet), et des parties importantes du texte doivent faire l'objet de travaux approfondis (admissibilité de la preuve, recours juridictionnel). Les débats prennent du temps.

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