Intervention de Yves Durand

Séance en hémicycle du 20 mai 2015 à 15h00
Transformation de l'université des antilles et de la guyane en université des antilles — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Durand, rapporteur :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture le projet de loi portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles et ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur.

Comme nous le rappelions en première lecture, cette université, créée en 1982 par la réunion d’unités et de centres d’enseignement supérieur, dont certains étaient implantés depuis très longtemps, a toujours dû faire face à des tensions importantes.

Celles-ci se sont révélées d’autant plus dangereuses que l’université est confrontée à de redoutables difficultés. Je pense notamment à la concurrence des établissements métropolitains, qui attirent les meilleurs bacheliers locaux, au cumul des handicaps socio-économiques de nombreux étudiants, dont la moitié sont boursiers et, surtout, à la dramatique menace que le taux de chômage effrayant des jeunes, lequel atteint 60 % en Guadeloupe et 70 % en Martinique, fait peser sur l’insertion des jeunes.

Or, plus encore qu’en métropole, l’enseignement supérieur y est un défi impérieux à relever, puisque le taux de diplômés des 25-34 ans ne dépasse pas 17 % en Guyane, 22 % en Guadeloupe et 27 % en Martinique contre 42 % en moyenne nationale, ce qui est d’ailleurs trop faible.

Dans ce contexte, la commission des affaires culturelles et de l’éducation est unanimement convaincue que, pour garantir à nos jeunes compatriotes une éducation supérieure à la hauteur des enjeux du monde contemporain, les Antilles ont besoin d’une université unie et forte. Seule une université disposant d’une masse critique suffisante pourra attirer les meilleurs étudiants et enseignants-chercheurs et nouer les indispensables partenariats dans la zone caraïbe et, plus largement, américaine. Des établissements fragmentés, limités à quelque 5 000 étudiants par pôle, porteraient un coup très rude à la qualité de l’enseignement supérieur proposé dans ces régions.

Comment, dès lors, s’assurer de l’unité d’une université soumise à une rivalité traditionnelle entre ses deux pôles, en conjurant le risque d’éclatement induit par les sentiments d’exclusion que pourraient nourrir les pôles s’ils avaient le sentiment que la gouvernance commune les ignore ? En d’autres termes, comment garantir l’unité dans un respect profond de la diversité des deux régions constitutives de l’université ?

C’est pour répondre à cette question que le Gouvernement s’est attaché, dès le premier semestre 2014, à éteindre l’effet engendré par le retrait du pôle guyanais, en définissant en étroite négociation avec les acteurs locaux une gouvernance équilibrée, dotant chacun des deux pôles guadeloupéen et martiniquais d’une forte autonomie, de nature à apaiser les tensions séparatistes, tout en préservant une direction centrale forte, capable de conduire une stratégie ambitieuse. L’ordonnance du 17 juillet 2014, qu’il vous est proposé de ratifier par ce projet de loi, s’appuie ainsi sur deux piliers équilibrés.

Assimilant les pôles universitaires régionaux aux « regroupements de composantes » auxquels la loi de 2013 a autorisé les universités à déléguer certaines de leurs attributions, l’ordonnance accorde aux conseils de pôle des compétences propres étendues, qui vont de l’adoption d’un budget propre à partir des moyens répartis par l’université et d’un projet stratégique de pôle à l’approbation de conventions intéressant les seules composantes des pôles.

Pour autant, l’ordonnance a conservé à l’échelon central les prérogatives les plus importantes pour l’avenir de l’université. Conformément au droit commun, le conseil d’administration de l’université, qui réunit les deux pôles, adopte le règlement intérieur, le budget, le bilan social et le bilan de la politique du handicap.

Au total, seules deux dispositions dérogent directement au droit commun des universités.

Tout d’abord, l’ordonnance a introduit un élément de souplesse et de dialogue dans la répartition des moyens entre les pôles, décidée par le conseil d’administration de l’université.

La deuxième exception concerne l’alternance à la présidence de personnalités issues de chacun des deux pôles. Selon la tradition, qui date de 1982, Guadeloupéens et Martiniquais alternent à cette fonction. La rupture en 2010 de cette coutume a d’ailleurs joué un rôle important dans l’accroissement brutal des tensions. Cependant, le principe constitutionnel de liberté des suffrages ne permettait pas d’imposer directement cette règle. L’ordonnance a dès lors choisi d’interdire le renouvellement du mandat du président tout en l’étendant à cinq ans pour lui permettre de mener des projets à moyen terme.

En première lecture, le Sénat a modifié cette ordonnance, précisant notamment la répartition des services entre les pôles et l’université et rapprochant la composition du conseil d’administration du droit commun. Notre assemblée a souscrit à presque toutes ces dispositions, ce qui aurait pu conduire à un succès de la CMP. Elle a toutefois été contrainte de rejeter l’une d’entre elles – une seule –, l’introduction du fameux « ticket », qui altérait très substantiellement l’équilibre de la nouvelle gouvernance en liant l’élection des vice-présidents de pôle, aujourd’hui désignés par chacun de leur conseil de pôle, à celle du président de l’université, sous la forme d’une liste préalable commune de candidats soumis au vote du seul conseil d’administration. C’est cette disposition, que les sénateurs souhaitaient rétablir, qui a malheureusement contraint la commission mixte paritaire réunie au Sénat le 11 mars dernier à se séparer sur un constat d’échec.

Il est vrai que cette formule de « ticket » est intellectuellement séduisante, semblant encourager la cohérence de l’action des dirigeants et prémunir l’université contre l’émergence rapide de rivalités exacerbées. Il est à craindre cependant que son application concrète n’emporte beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages.

Elle a ainsi suscité une très vive opposition sur le terrain, en rompant avec l’accord unanime recueilli par le Gouvernement sur l’ordonnance à l’été 2014 et en étant interprétée comme une marque de défiance vis-à-vis de l’autonomie des pôles.

Surtout, elle créerait le risque qu’un vice-président puisse être élu, dans un « ticket », par le conseil d’administration sans jouir de la confiance du conseil de pôle qu’il a pourtant pour vocation d’animer. Une telle situation, avivant inéluctablement le sentiment d’exclusion du processus décisionnel qui a abouti dans le passé proche au retrait du pôle guyanais, aurait pu provoquer l’éclatement que nous voulons justement éviter.

Or, comme nous l’avons constaté en première lecture, courir un tel risque n’est pas nécessaire à la cohérence de l’université – c’est le moins que l’on puisse dire.

Bien sûr, nous le reconnaissons, l’ordonnance que nous ratifions aujourd’hui introduit des solutions qui s’écartent à certains égards des grands principes dégagés par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche et qui militent pour la fusion des universités. Bien sûr, nous aurions préféré nous entendre avec nos collègues sénateurs pour doter sans tarder l’université des Antilles, qui en a bien besoin, d’une gouvernance stable permettant de mettre un terme définitif aux tensions qui l’affaiblissent depuis longtemps. Mais la lucidité et le principe de réalité commandent de constater que les particularités de cette université appellent des réponses adaptées et pertinentes, et de respecter avant tout le climat de confiance dans l’autonomie et l’unité que le Gouvernement a réussi à y recréer.

C’est par la reconnaissance de cette diversité et de la spécificité des deux pôles que nous pourrons précisément construire l’unité nécessaire. Pour ces raisons, la commission vous invite à adopter en nouvelle lecture le texte voté par l’Assemblée le 19 février dernier.

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