Intervention de Ary Chalus

Séance en hémicycle du 20 mai 2015 à 15h00
Transformation de l'université des antilles et de la guyane en université des antilles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAry Chalus :

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le paysage universitaire de nos départements français d’Amérique a changé, et cela sans qu’aient été consultés les parlementaires antillais. Il s’agit aujourd’hui d’acter cette évolution par le vote définitif du projet de loi portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles. Dois-je rappeler qu’à l’heure où je vous parle, l’université des Antilles n’existe pas encore, alors que le la composante guyanaise de ce qui fut l’université des Antilles et de la Guyane devenait, par décret de juillet 2014, une université de plein exercice ?

Nous retrouvons aujourd’hui en nouvelle lecture le texte débattu et voté par l’Assemblée, en février dernier, après d’âpres discussions sur le mode de gouvernance de l’université des Antilles.

Le texte initial voté par le Sénat visait principalement la continuité et la sécurité juridique de l’unique établissement d’enseignement supérieur et de recherche des Antilles françaises, l’université des Antilles conservant la même personnalité juridique que l’UAG dans toutes ses dimensions, aussi bien en sa qualité d’employeur et d’ordonnateur que pour la délivrance des diplômes.

Au nombre des avancées proposées dans le texte initial figure la clarification des éléments constitutifs des pôles universitaires régionaux, ce qui permet de distinguer les services qui leur sont propres des services communs et de l’administration générale de l’université. Cela répond en outre à la nécessité d’inscrire dans la loi l’autonomie des pôles universitaires de Martinique et de Guadeloupe.

Mais les sénateurs, à mon sens, ont péché par excès en tentant de renforcer la gouvernance face aux divergences qui ont été qualifiées – un peu rapidement, selon moi – d’identitaires.

En voulant garantir la cohérence stratégique et l’unité de l’établissement par la mise en place d’un « ticket » de trois candidats à la présidence et aux vice-présidences de pôle, ils revenaient ainsi sur les dispositions prévues par le Gouvernement, conformément à la position exprimée par les élus des collectivités majeures de Martinique et de Guadeloupe.

En juillet 2014, les élus antillais avaient en effet expressément indiqué leur souhait de voir figurer dans le texte législatif le principe d’élection libre des vice-présidents par les conseils de chaque pôle afin que les deux pôles universitaires régionaux exercent pleinement leur autonomie dans le respect du projet global de l’université.

Il s’agit d’un point important et je souhaiterais que notre assemblée sécurise définitivement cette disposition, d’autant plus que les débats ont été vifs et le sont encore ! Je regrette personnellement le procès d’intention intenté à l’encontre de ceux d’entre nous qui se sont opposés au ticket à trois introduit par le Sénat pour lui préférer l’élection des vice-présidents par les pôles respectifs. Si j’ai défendu en première lecture un amendement de suppression de la proposition du Sénat au profit de l’élection par chaque pôle de son vice-président, je l’ai fait non pour préparer le terrain d’une quelconque séparation de notre future université des Antilles en université de la Guadeloupe d’une part et université de la Martinique d’autre part mais afin d’éviter certaines dérives centralisatrices dont il faut bien dire qu’elles sont conformes à notre identité française et par ailleurs à l’origine de la crise universitaire guyanaise.

Le texte ne devrait pas se contenter, comme je l’ai entendu dire en commission le 11 février dernier, de « sauver les meubles ». Les mots sont malheureux même si l’intention n’était pas de nuire. Le texte aurait pu permettre une refonte pragmatique et pertinente du paysage universitaire antillais en tirant tous les enseignements des événements ayant mené à la scission du pôle universitaire guyanais. Nos étudiants ne méritaient pas que l’on traite les affaires de leur université dans la précipitation. Et croyez bien, chers collègues, que les élus des Antilles sont très au fait des intérêts de leur jeunesse – la jeunesse, la jeunesse dont on parle tant aujourd’hui ! Les collectivités territoriales soutiennent massivement depuis plusieurs décennies le développement de l’université qui fait face depuis sa création à des défis d’une ampleur exceptionnelle. La proportion de jeunes dépourvus de tout diplôme s’élève à 26 % à la Martinique, 33 % en Guadeloupe et 58 % en Guyane !

Ces chiffres devraient nous amener à nous interroger sur l’ensemble des politiques d’éducation menées dès le primaire dans nos territoires car ils ne peuvent être imputés au passif de la seule UAG, dont le taux d’étudiants boursiers s’élève par ailleurs à 50 % des effectifs, soit l’un des plus élevés de France ! Notre université n’accueille qu’un quart des bacheliers ; le meilleur tiers des lycéens, souvent issus des milieux les plus favorisés, part étudier en métropole. Et à l’autre bout de la chaîne, nos diplômés de l’enseignement supérieur peinent à trouver un emploi sur place à la hauteur de leur qualification, y compris dans le secteur public ! Je citerai l’exemple édifiant des professeurs néo-titulaires de l’académie de Guadeloupe affectés à l’issue du mouvement interacadémique en France métropolitaine, à plusieurs milliers de kilomètres, sans qu’il soit tenu compte de leur situation familiale ou sociale et au mépris de leur vie de couple, qui s’en trouve détruite.

Votre prédécesseur avait pourtant confirmé à Alfred Marie-Jeanne, madame la ministre, que ces professeurs resteraient dans leur département. Je saisirai très bientôt l’occasion de vous interroger sur cet autre sujet d’actualité car les contractuels, dont certains sont en poste depuis plus d’une dizaine d’années, comme les jeunes diplômés ayant réussi les concours constituent selon moi un atout considérable dans la lutte contre le décrochage scolaire, les premiers en raison de leur expérience et tous en raison de leur connaissance intime du territoire et de sa population. La situation dans le secteur privé n’est guère meilleure. Ainsi, les actuelles restructurations du secteur bancaire risquent de priver nos territoires des emplois qualifiés auxquels nos jeunes diplômés de l’université pourraient prétendre. Le Gouvernement a d’ailleurs commandé en 2013 un rapport à M. Patrick Lebreton, député de la Réunion, afin d’identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois publics comme privés créés dans leurs territoires. La discussion de l’avenir de l’université aux Antilles est aussi l’occasion de mettre tous ces sujets sur la table.

Je souhaite de tout coeur que mes collègues députés ayant su développer de beaux arguments en faveur du « ticket à trois » défendent avec autant d’ardeur l’université des Antilles dans quelques mois, à commencer par son financement ! L’État finance bien en dessous de leurs coûts réels les charges induites par la maintenance des établissements universitaires aux Antilles. Ainsi, les charges afférentes à deux campus représentant un tiers des surfaces universitaires de Guadeloupe sont insuffisamment couvertes par la subvention pour charges de service public. Le campus du Camp Jacob, construit sur un terrain appartenant au ministère de la santé grâce à un montage financier réunissant pourtant l’Union européenne, l’État et la région couvre plus de 8 000 m2, tout comme l’École supérieure du professorat et de l’éducation, ex-IUFM, dont le foncier et le bâti appartiennent au conseil général. Il en va de même pour l’ESPE de Martinique.

Je me réjouis, pour une fois d’accord avec M. Hetzel, que le Président de la République ait annoncé l’allocation d’une rallonge budgétaire de 750 000 euros à l’université des Antilles mais souhaite avant tout que notre université soit correctement dotée de façon pérenne. S’agit-il d’une aide ponctuelle ou pérenne ? Il faudra bien renégocier dès la prochaine loi de finances les montants alloués par l’État en tenant compte de toutes les surfaces dont l’université des Antilles est propriétaire, en Guadeloupe comme en Martinique. Face à ces défis, les élus de nos territoires sont en première ligne aux côtés de la jeunesse. Ils auraient mérité un peu plus de considération lors des débats sur l’avenir de leur université au cours desquels leur opinion sur l’organisation de sa gouvernance a été caricaturée !

En dépit de tous ces défis, je refuse de considérer que les grandes questions stratégiques qui faisaient la pertinence de l’UAG ne sont plus d’actualité ! Le positionnement stratégique sur lequel se fondait le projet universitaire antillo-guyanais, malheureusement passé au second plan au cours des derniers mois, mettait l’accent avec profit sur la richesse et la pluralité en matière culturelle comme en matière de biodiversité des territoires d’implantation. La richesse culturelle doit demeurer au coeur de l’identité universitaire en synergie avec les organismes de recherche des trois territoires français d’Amérique. La pluralité culturelle associée à la richesse de la biodiversité doit demeurer notre bien commun et notre force ! Plusieurs études ont montré que la biodiversité est une source d’innovation importante. Il appartient à l’université d’étudier et d’organiser la mise en valeur des ressources endogènes et de proposer des solutions pérennes conciliant mieux activités humaines et préservation de la biodiversité dans le cadre d’une démarche bien comprise de développement endogène et durable.

La collaboration étroite sur ces sujets communs à nos deux régions doit donc être maintenue et même renforcée. Elle est vitale pour nos territoires où sévit un chômage endémique des jeunes. C’est le moins que nous puissions attendre de notre université ! À la veille de la discussion du texte en première lecture, j’ai plaidé auprès du Gouvernement en faveur d’une collaboration renouvelée entre l’université des Antilles et l’université de la Guyane. Je continuerai à défendre la mise en place d’outils spécifiques favorisant les échanges entre chercheurs, enseignants et étudiants. Il ne tient qu’à nous, aux côtés du monde universitaire et avec l’aide de l’État, de faire en sorte que la refondation universitaire soit l’occasion de bâtir une réelle offre d’avenir pour notre jeunesse et de renforcer les moyens d’expertise de nos laboratoires. Je me réjouis que vous aimiez les Ultramarins, monsieur Pancher, mais j’aimerais surtout que tous les parlementaires de France métropolitaine nous défendent lorsque sont examinés des dossiers importants pour les outre-mer !

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