Intervention de Laure de La Raudière

Réunion du 7 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière :

Messieurs les présidents, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, mesdames et messieurs les membres du groupe de travail, j'exposerai pour ma part celles de nos propositions qui concernent la procédure législative elle-même.

La réalisation d'une étude d'impact sérieuse et exhaustive sur un projet ou une proposition de loi ne sera d'aucune utilité aussi longtemps qu'un amendement gouvernemental ou parlementaire, ou encore parlementaire mais d'origine gouvernementale, pourra, au cours de la procédure législative, être adopté sans avoir fait l'objet de la moindre évaluation. Nous avons donc proposé que l'on reconnaisse au président de la commission saisie au fond le droit d'exiger une étude d'impact sur les amendements que ladite commission aura qualifiés de substantiels.

Nous avons déjà pu constater que l'idée d'une actualisation de l'étude d'impact en cours de navette parlementaire faisait son chemin. Ainsi, s'agissant du projet de loi dit Macron pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, les modifications substantielles apportées au cours de l'examen en commission ont fait l'objet d'études d'impact, réalisées par France Stratégie.

L'élaboration d'une étude d'impact sur un amendement substantiel d'origine gouvernementale ne sera toutefois possible qu'à condition de ménager un délai minimal entre son dépôt et sa discussion. Or il n'existe aujourd'hui aucun délai de dépôt pour les amendements du Gouvernement. Voilà pourquoi nous avons proposé d'en créer un, en vue de la discussion en commission comme de l'examen en séance publique, étant entendu qu'il ne serait pas aligné sur celui qui est imparti aux parlementaires, le fonctionnement de nos institutions supposant de laisser du temps au Gouvernement entre le dépôt des amendements des parlementaires et l'examen en séance. La durée en serait donc intermédiaire. En tout état de cause, ce délai permettrait d'évaluer les amendements gouvernementaux.

Nous avons également proposé d'aménager les règles relatives à la procédure dite accélérée. Celle-ci permet, d'une part, de réduire le délai ordinairement applicable entre le dépôt du texte dans l'une des chambres et son examen, et, d'autre part, de ramener à une seule le nombre de lectures dans chaque chambre. Si ce second aspect peut se comprendre pour certains textes, il est en revanche très gênant pour les députés de ne pas avoir plus de temps pour étudier les dispositions envisagées. On pourrait ainsi introduire une distinction entre la procédure actuelle, qui deviendrait en quelque sorte une procédure d'urgence absolue, et une nouvelle procédure accélérée, qui reprendrait le délai ordinaire entre le dépôt et l'examen du texte mais ne comporterait qu'une lecture ; la procédure classique resterait inchangée. Cela permettrait d'améliorer la gestion du temps parlementaire et d'associer un plus grand nombre de membres du Parlement à l'examen du texte.

Dans un souci d'efficience, nous avons en outre suggéré que soit repensée l'organisation des débats budgétaires de façon à faire de la loi de règlement un moment fort de l'évaluation, celle de la modernisation de l'action publique notamment. Comme M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, l'a fait observer lors de son audition, « c'est souvent à partir de l'exécution d'une loi de finances ou d'une politique publique que l'on peut se rendre compte de dysfonctionnements, de failles ou d'insuffisances ». Or, tandis que, « dans tous les pays du monde, les parlementaires consacrent beaucoup plus de temps à l'exécution budgétaire qu'aux lois de finances initiales, qui sont d'ailleurs souvent des lois d'affichage, en France nous faisons l'inverse ».

Nous avons étendu notre réflexion sur la gestion du temps parlementaire au temps que nos assemblées consacrent à l'examen de textes législatifs destinés à transposer des directives européennes. S'inspirant de la méthode allemande de transposition, dite de la « double corbeille », l'une de nos propositions suggère de privilégier la transposition des directives européennes par voie d'ordonnance, selon une procédure en deux temps : d'abord, l'élaboration d'un projet d'ordonnance assorti d'une étude d'impact complète et précise identifiant et justifiant les éventuelles « surtranspositions » ; ensuite, un véritable débat parlementaire, à l'occasion de l'examen du projet de loi de ratification, sur l'étude d'impact jointe à l'ordonnance et sur la partie de l'avis du Conseil d'État relative à ladite étude d'impact. Le Conseil d'État devrait rendre compte de la pertinence des motifs justifiant une surtransposition le cas échéant. Les surtranspositions nous sont en particulier reprochées par le milieu économique, car elles créent des distorsions de concurrence entre les pays.

Ce sont également les modalités de négociation des projets de textes européens qui mériteraient d'être rénovées, afin de placer au coeur des négociations européennes l'étude d'impact de la Commission européenne et ses implications nationales. Car l'organisation d'un débat de fond préalable sur l'étude d'impact de la Commission et, corrélativement, une meilleure anticipation de l'impact des textes négociés au niveau national contribueraient à limiter les surtranspositions : les mesures ne seraient plus imposées au stade de la transposition, mais défendues, pour celles que la France jugerait les plus adaptées à sa situation particulière, au moment des négociations.

Une troisième série de propositions vise enfin à améliorer l'évaluation de la norme en aval de son adoption.

La clarification de l'évaluation des politiques publiques est apparue comme un préalable à l'amélioration de l'évaluation ex post. En effet, la mission a constaté que notre pays comptait de nombreux acteurs à l'origine d'initiatives multiples qui seraient sans doute plus efficaces si elles étaient mieux coordonnées et plus méthodiquement organisées en vue d'éviter les doublons. Cour des comptes, comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée nationale placé sous l'égide du président de l'Assemblée, mission d'évaluation et de contrôle (MEC), commission pour le contrôle de l'application des lois, corps d'inspection, directions ministérielles de la recherche, des études, de l'évaluation, de la prospective et des statistiques, etc. : il est devenu très difficile d'établir un recensement exhaustif des institutions, organes parlementaires et services ministériels qui contribuent à l'évaluation ex post des normes et, plus largement, des politiques publiques, tant ils sont nombreux. Autant économiser du temps et des moyens en organisant une conférence des évaluateurs afin de coordonner les initiatives actuellement prises en la matière par divers organes du Parlement et de l'exécutif ainsi que par des institutions telles que la Cour des comptes ou le Conseil économique, social et environnemental.

L'évaluation ex post de la norme gagnerait aussi à être plus méthodique. La proposition consistant à enrichir le contenu des études d'impact ex ante afin de mieux identifier les indicateurs précis sur lesquels se fondera l'évaluation ex post est susceptible d'y contribuer, au même titre que notre quatorzième proposition, qui tend à développer la pratique consistant à introduire dans certains types de loi des clauses de révision afin que le Parlement débatte de l'efficacité du dispositif adopté dans un certain délai après son entrée en vigueur. C'est d'ailleurs ce principe que nous avons appliqué à l'article 2, controversé et longuement débattu, du projet de loi relatif au renseignement. Il serait de bonne méthode de l'étendre à toutes les dispositions apportant des innovations ou de profonds changements.

On pourrait également renforcer le contrôle parlementaire de l'application de la loi en obligeant le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes la non-publication des décrets d'application à l'expiration d'un délai donné – six mois à un an – qui courrait à compter de la promulgation de la loi.

Telles sont celles de nos propositions qui restent à concrétiser. Ambitieuses, elles nécessitent pour la plupart une révision constitutionnelle. Mais elles sont à la hauteur des enjeux : nos travaux et nos rencontres sur le terrain avec nos concitoyens nous ont montré que l'inflation normative avait atteint dans notre pays un niveau tel qu'elle affaiblit notre capacité à faire respecter la loi, rend la société de plus en plus complexe, du point de vue des citoyens comme des entreprises, nourrit le rejet des institutions et, par voie de conséquence, menace aujourd'hui notre démocratie.

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