Je me joins aux remerciements déjà adressés aux deux auteurs de ce précieux rapport, particulièrement riche en éléments de comparaison internationale.
On insiste beaucoup sur l'inflation législative ; c'est certainement un problème, mais qui est commun à tous les grands États modernes. Nous avons besoin d'une grosse production normative ; il y a du bon et du mauvais dans ce qui est fabriqué, mais c'est un peu inévitable. La difficulté n'est pas réellement d'ordre quantitatif : au demeurant, comment savoir de combien de lois nous avons véritablement besoin ? Il faudrait surtout, comme l'a dit M. Accoyer, se garder de faire des lois pour complaire à son auteur, au lobby qu'il soutient, à telle ou telle entité qui propose un amendement.
En revanche, la variabilité de la loi pose une sérieuse difficulté. Il y a quelques jours, lors d'un colloque des investisseurs en infrastructures qui se tenait à Paris, à la question de savoir ce qui limitait leur participation à des partenariats public-privé ou à des dépenses d'infrastructure en France, la réponse des représentants de fonds étrangers et de fonds souverains a été immédiate et brutale : c'est la variabilité de la réglementation dans notre pays. Il n'est pas possible d'investir, disaient-ils, sans certitude à plus long terme quant à l'évolution de la réglementation. Ce qui pose au pays un problème de finances publiques : vu l'étroitesse des marges existantes en matière de dépense publique, il nous faut des investisseurs qui puissent savoir ce qu'ils font.
En ce qui concerne l'urgence et la procédure accélérée, le constat est frappant : jamais usitée auparavant, cette procédure est quasiment devenue la norme. Du point de vue du droit constitutionnel, elle me semble se situer aux confins de l'article 49, alinéa 3, ou du vote bloqué : c'est une demande de confiance implicite de la part de l'exécutif. Il ne s'agit donc pas seulement d'un dispositif technique d'aménagement de la procédure parlementaire, mais de responsabilité politique. Dans tout régime parlementaire coexistent en effet la confiance explicite, demandée sous la forme de questions de confiance ou de motions de censure, et la confiance implicite, liée à la possibilité de faire passer des textes devant les assemblées : c'est de ce second aspect que relève l'élévation de la procédure accélérée au rang de procédure ordinaire.
Une norme adoptée par ce moyen est à mes yeux très proche du règlement ; elle l'est même, en un sens, davantage qu'une ordonnance puisqu'elle ne suppose ni loi d'habilitation ni loi de ratification. La procédure se rapproche ainsi de ce que l'on appelle dans certains pays la législation exécutive.
Bref, il n'y a là rien d'anodin : la procédure accélérée n'est pas une technique parmi d'autres prévues par le règlement des assemblées, elle est lourde d'implications du point de vue constitutionnel.
En 2012, lors du colloque sur le Parlement français et le nouveau droit parlementaire organisé sous le haut patronage du président Accoyer, M. Damien Chamussy, conseiller des services de l'Assemblée nationale, indiquait que « si l'étude d'impact est utilisée par les députés, elle ne s'est pas imposée pour autant comme un élément du débat public », précisant que les études d'impact devaient « être mises à disposition du public par voie électronique afin de recueillir d'éventuelles observations », mais qu'à cette date « le succès de cette procédure [était] relatif ». La situation a-t-elle évolué ? Dans le cas contraire, comment l'améliorer ?
Je ne suis pas expert de ces questions, mais je me suis toujours demandé ce que pouvait valoir une étude d'impact dès lors qu'elle est élaborée a priori, d'une part, et en interne, d'autre part. Par définition, ce n'est qu'après coup qu'il est possible de mesurer les conséquences d'une disposition : la vraie étude d'impact, c'est le contrôle a posteriori. Par ailleurs, les études d'impact ne devraient-elles pas émaner d'organes distincts du Parlement ? N'est-ce pas de la société civile que viennent aujourd'hui les vraies études d'impact – des organisations non gouvernementales (ONG), des syndicats, de la presse maintenant que les journalistes ont compris que l'enjeu n'était plus d'apporter de l'information mais de contrôler celle qui est diffusée tous azimuts ? C'est d'ailleurs plutôt une bonne chose, et peut-être les assemblées pourraient-elles y travailler avec la société civile. Voilà une tâche que l'on pourrait confier à un Conseil économique, social et environnemental (CESE) rénové, en faisant de cette troisième chambre, si j'ose l'appeler ainsi, une instance d'évaluation plus en vue.