L'intervention quelque peu provocante de Michaël Foessel me paraît justifiée à un double titre, et je ferai ici le lien entre la publicité des avis du Conseil d'État et les études d'impact. Le législateur a de plus en plus tendance à vouloir objectiver ses décisions et à arguer qu'il légifère par pragmatisme, dans l'intérêt général. C'est pour un politique adopter la position la plus confortable, et c'est une des faiblesses de notre débat politique actuel, que de ne pas assumer un choix mais d'affirmer que son action est la meilleure chose à faire. La meilleure manière d'y parvenir est de se couvrir en invoquant l'avis du Conseil d'État et l'étude d'impact d'un projet de loi.
En même temps, je suis tout à fait d'accord avec Denis Baranger : les études d'impact ne sont pas lues. Sans quoi, par exemple, celle qui accompagne le projet de loi de transition énergétique en cours d'examen aurait dû faire grimper tout le monde au rideau. Car elle précise bien que l'adoption du texte devrait entraîner la fermeture de 24 réacteurs dans notre pays – ce dont je me félicite d'ailleurs. Normalement, un tel sujet fait réagir – même si depuis les dernières aventures du réacteur pressurisé européen (EPR), chacun commence à évoluer dans sa réflexion.
Je suis également d'accord avec Christine Lazerges pour dire que la publicité des avis du Conseil d'État risque de les vider de leur substance. Car on demande au Conseil d'État de ne pas créer de contrariété excessive au Gouvernement et de s'abstenir de remettre en cause la constitutionnalité des textes. En conséquence – et c'est notamment ce qu'il est advenu du projet de loi relatif au renseignement –, c'est le Conseil constitutionnel qui joue le rôle du Conseil d'État. Ne nous cachons pas dernière notre petit doigt : il est invraisemblable que la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République, glosée par tous, soit due au fait que l'exécutif ne se serait pas sérieusement assuré en amont de la constitutionnalité de son projet de loi. Autre exemple concret : l'une des dispositions de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) instituant un « fonds travaux » a donné lieu à un échange entre le Gouvernement et le Conseil d'État. Ce dernier a alors souligné que cette disposition, qui visait à lutter contre les copropriétés dégradées, remettait en cause le droit de propriété, principe constitutionnel très fort, supérieur au droit au logement dans notre hiérarchie des normes. Mais, bien évidemment, cet échange n'a pas été rendu public sans quoi les opposants au projet de loi se seraient rués dessus. Lorsque l'on souhaite faire ce travail préalable au dépôt d'un projet de loi de manière trop publique, on l'affadit et l'on est obligé de le refaire a posteriori en saisissant le Conseil constitutionnel, ce qui présente un vrai danger.
Car le travail législatif devient un outil de communication de la politique gouvernementale. On m'a ainsi demandé pourquoi je n'avais pas déposé quatre projets de loi au lieu d'un seul, à raison d'un tous les six mois pour faire l'actualité. Or, j'assume totalement le fait que la loi ALUR n'ait pas été examinée selon la procédure d'urgence. Je revendique l'idée que l'absence de recours à cette procédure est une bonne chose : cela permet à tout le monde de se calmer, de faire avancer les discussions et cela facilite la publication des décrets d'application par la suite. J'ai entendu M. Foessel proposer que les lois ne faisant pas l'objet de décrets d'application deviennent caduques. Mais c'est l'inverse ! La Constitution dispose que le Parlement vote la loi et que l'exécutif est chargé de l'appliquer et non pas de décider si elle lui plaît ou pas. Il n'est pas normal que lorsque j'étais ministre, j'aie dû signer des décrets d'application de la loi Grenelle I.
Vous avez proposé d'obliger le Gouvernement à rendre des comptes. Mais la semaine de contrôle n'est qu'une vaste blague ! Elle permet simplement aux députés de rester en circonscription. Je préfèrerais encore que le Parlement cesse de siéger une semaine sur quatre.
Je ne sais pas si je me remettrai d'avoir dit autant de choses que je n'aurais pas dû révéler dans le cadre d'un groupe de travail dont les réunions sont publiques. Mais autant travailler sérieusement puisque vous nous avez indiqué au début de nos réunions, monsieur le président, que ce groupe de travail n'était pas là pour réaliser un joli dossier qui resterait dans le placard.
Faisons un vrai contrôle et demandons effectivement des comptes à l'exécutif sur la non-publication des décrets. Cela nous évitera de voter des lois qui n'ont pas vocation à faire l'objet de décrets d'application parce qu'elles ne sont que des actes de communication. Le contrôle du Parlement devrait se resserrer sur ce seul sujet : la publication des décrets c'est-à-dire la mise en application effective des décisions législatives votées par lui. Aujourd'hui, on a accepté l'idée qu'un gouvernement qui ne veut pas appliquer une loi n'en publie pas les textes d'application. Cela n'est pas permis ni envisageable !
Quant aux ordonnances, si elles sont autant utilisées, c'est moins pour déposséder le Parlement de ses prérogatives que pour aller plus vite, le travail législatif étant devenu un acte de communication politique. Car entre le moment où l'on annonce un texte et celui où on l'applique, il peut s'écouler plusieurs mois, surtout si l'on n'utilise pas la procédure d'urgence. Mieux vaut peut-être resserrer très fortement le champ des ordonnances sur des sujets précis, sans s'interdire d'y recourir, et redonner du temps au travail législatif afin d'en garantir la qualité. Car l'une des raisons de la non-publication des décrets d'application est que certaines lois insuffisamment travaillées doivent d'abord être retouchées.
Tant que nous ne sortirons pas du piège de l'accélération du temps législatif, nous appauvrirons le travail du Parlement et fragiliserons les textes. Imaginons que certaines dispositions de la loi sur le renseignement – votées en urgence, quasiment sous le régime de l'article 49, alinéa 3 –, soient déclarées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel : il faudra recommencer la discussion. Ce mode de fabrication de la loi pose problème.
Enfin, je souhaiterais vous poser quelques questions. Outre l'idée de resserrer le travail de contrôle parlementaire sur la publication des décrets par le Gouvernement, ne pourrait-on pas – question qui rejoint un débat que nous avons eu sur la concertation en amont – assurer une élaboration multipartite des études d'impact ? Car les études d'impact sont uniquement le fruit du travail de l'administration et une réponse à la demande du Gouvernement qui souhaite des études d'impact favorables à ses projets de loi. Une participation plus diversifiée à la réalisation des études d'impact permettrait d'effectuer un travail de concertation préalable plus utile que les moments de radicalité que l'on vit lors de l'examen des textes et des amendements. Il faudrait aussi limiter le nombre d'amendements gouvernementaux : le recours à la procédure d'urgence fait qu'ils n'ont jamais été aussi nombreux, arrivant parfois la veille pour le lendemain et faisant jusqu'à deux pages.
Bref, ne pourrait-on pas limiter le recours aux ordonnances à des champs précis, assurer une élaboration pluripartite des études d'impact et limiter, par session, le nombre de recours à la procédure d'urgence pour l'examen des textes ?