Intervention de Régis Juanico

Réunion du 7 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico :

Je concentrerai ma réponse sur trois sujets : l'inflation normative, les études d'impact et l'évaluation des politiques publiques.

Dans notre rapport, nous avons voulu contribuer à l'objectif de revalorisation du travail parlementaire, que vous poursuivez d'ailleurs ici même dans ce groupe de travail sur l'avenir des institutions, et préparer ce que ce sera le Parlement du non-cumul à partir de la XVe législature. Or, aujourd'hui, le Parlement vote trop de lois, et des lois trop bavardes. Les normes s'accumulent au point que notre système juridique est complexe et instable. La concentration de l'activité du Parlement sur le vote de la loi se fait au détriment de sa fonction de contrôle et d'évaluation.

Aujourd'hui, sont votées environ 500 lois par législature, dont 80 % proviennent du Gouvernement – et encore les 20 % de lois d'origine parlementaire sont-elles souvent, en fait, inspirées ou même rédigées par lui. Le stock de lois dépasse les 11 000 textes. Le nombre d'ordonnances explose : de dix ordonnances par an avant l'an 2000, on se retrouve aujourd'hui à plus de 30 ou 40 ordonnances chaque année. Certains projets de loi relatifs à l'agriculture ont comporté une trentaine d'habilitations à légiférer par voie d'ordonnance. Se pose également un problème de volume de la loi : en 2013, l'ensemble des lois publiées au Journal officiel représentait 4 millions de caractères, et le Conseil d'État a mesuré que, chaque année depuis 2010, le nombre d'articles de loi a augmenté de 8 % et le nombre de mots qui les composent de 6 %. Le nombre d'articles de la loi ALUR et celui de la loi portant engagement national pour l'environnement ont été multipliés par deux entre le dépôt de ces textes et leur adoption définitive. Entre 2012 et 2014, 1 767 amendements gouvernementaux ont été adoptés, soit deux fois plus qu'il y a dix ans. Je ne reviens pas sur les séances de nuit déjà évoquées par le président Bartolone, ni sur le nombre de journées supplémentaires ouvertes par le Gouvernement pour légiférer, ni sur le recours à la procédure accélérée – quatre fois plus souvent qu'il y a dix ans. Comme vous l'avez souligné, cela est aussi dû à l'accélération du temps politique et médiatique.

En théorie, notre ordre du jour comprend une semaine de contrôle que nous utilisons certes pour présenter nos rapports d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Mais ses modalités ne sont pas satisfaisantes et elle est aussi préemptée par le Gouvernement.

J'en viens à présent aux études d'impact. Aujourd'hui, la fabrique de la loi comprend plusieurs phases. Tout d'abord, celle de la délibération collective entre ministres avant même que le dépôt d'un texte de loi ne soit décidé. La question est alors de savoir si l'adoption d'une loi est vraiment nécessaire. Cette phase importante est souvent oubliée, chaque ministre concoctant des textes législatifs dans son ministère. Dès lors qu'il y a intention de rédiger un texte législatif, il est nécessaire d'organiser au Parlement un débat préalable d'orientation, avant même qu'un projet de loi ne soit déposé en Conseil des ministres. C'est à ce moment-là qu'il faut pouvoir associer le plus largement possible, avant même l'étude d'impact, les forces vives de la nation dans leur diversité. Ensuite intervient l'étude d'impact qui soulève deux problèmes. D'une part, elle reste imprécise. Ainsi était-il prévu dans l'étude d'impact du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire dont j'ai été le rapporteur la possibilité, d'ici deux à cinq ans, de créer entre 100 000 et 200 000 emplois. Même si l'étude d'impact ne relève pas de la prédiction mais de l'estimation, il est difficile au législateur de travailler à partir de données aussi imprécises. Plus grave encore, les études d'impact sont élaborées par les administrations mêmes qui sont chargées de rédiger les projets de loi. Elles n'ont donc aucune objectivité. Il importe donc de disposer d'une contre-expertise indépendante sur la qualité des études d'impact.

Quant à savoir s'il faut en confier la responsabilité à une autorité administrative indépendante supplémentaire, ce n'est pas le choix que Laure de La Raudière et moi-même avons fait. Nous souhaitons la rationalisation et le regroupement de plusieurs autorités indépendantes aujourd'hui chargées d'évaluer la qualité de ces études, à commencer par le Conseil de la simplification pour les entreprises : Thierry Mandon y travaille afin que des mesures concrètes en ce sens soient prises d'ici au 1er juillet. Je pense aussi au Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (CNEN), au Haut Conseil à la vie associative (HCVA) et au CESE, qui rend de bons rapport lorsque le Gouvernement lui demande de travailler en amont de la préparation de la loi, mais qui pourrait aujourd'hui jouer un rôle important d'évaluation des conséquences sociétales et environnementales des textes. En Grande Bretagne, le feu vert de l'autorité indépendante est nécessaire pour qu'un texte de loi puisse être examiné. Seulement 1 % des quelques 12 000 décisions prises par cette autorité n'est pas suivi par le Gouvernement britannique.

J'en viens enfin à l'évaluation des politiques publiques. En tant que vice-président du CEC, placé sous l'autorité de Claude Bartolone, je peux affirmer que nous disposons à l'Assemblée nationale d'un outil remarquable chargé d'apprécier les résultats d'une loi au regard de ses objectifs de départ sur des politiques transversales. Nous y travaillons dans un esprit pluraliste – ce qui suppose que nous nous mettions d'accord sur un constat et des préconisations. Cet effort de consensus donne aux rapports de cette instance une légitimité supplémentaire. Le CEC retient une approche de comparaison avec les autres pays européens et travaille dans la durée, souvent pendant un an sur un même rapport. Ses travaux sont ensuite examinés en séance publique à l'Assemblée nationale et font l'objet d'un droit de suivi : six mois après la publication d'un rapport, le CEC interroge les ministres quant au sort donné à ses préconisations. Souvent, celles-ci sont suivies d'effet. C'est un outil sur lequel il faut pouvoir s'appuyer mais si l'on souhaite lui confier l'élaboration des études d'impact, il aura besoin de moyens supplémentaires – ce qu'il est difficile de justifier aujourd'hui. Mais peut-être avons-nous un travail de pédagogie à accomplir en la matière.

Nous proposons, et cela figure désormais dans le Règlement de l'Assemblée nationale, que la culture de l'évaluation des politiques publiques se diffuse dans l'ensemble des commissions permanentes. Trois ans après l'entrée en vigueur d'une loi, son rapporteur et le contre-rapporteur, chargé d'évaluer la qualité de son étude d'impact lors de son examen en commission, auront désormais pour tâche d'évaluer cette loi systématiquement.

Autre progrès, nous avons placé au coeur du débat parlementaire l'étude d'impact qui sera désormais discutée en commission et en séance publique.

Quant à l'application de la loi, elle doit effectivement faire l'objet d'un contrôle parlementaire plus poussé. Nous avons progressé en ce sens depuis quelques années : nous sommes passés de 35 ou 40 % à quelque 65 % de décrets d'application publiés après l'entrée en vigueur d'une loi. Je regrette à ce titre que le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, ait supprimé une des rares instances chargées de vérifier l'application de la loi. Cette commission sénatoriale avait toute son utilité, y compris dans le cadre de nos travaux d'évaluation des politiques publiques. Il faut absolument que nous évitions de fixer dans les textes législatifs des dates d'entrée en vigueur trop précipitées. Mieux vaut, pour que les décisions prises aient un impact sur le terrain, prévoir une phase d'expérimentation sur un territoire déterminé avant de prendre des mesures définitives. On se heurte en effet parfois au mur des réalités lorsqu'on applique la loi.

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