Intervention de Olivier Rozenberg

Réunion du 7 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Olivier Rozenberg :

Je vous remercie à mon tour de m'avoir invité à m'exprimer devant vous sur le rôle de l'opposition.

Permettez-moi de faire trois remarques liminaires. Tout d'abord, la revalorisation du rôle de l'opposition ne passe pas seulement, voire pas principalement, par le Parlement : le rôle des médias, comme celui du financement public, sont essentiels.

Je souligne également que la revalorisation de l'opposition n'a pas attendu la révision constitutionnelle de 2008 ; la grande date, c'est 1974, date à partir de laquelle l'opposition a pu saisir le Conseil constitutionnel, et à laquelle fut créée, de façon informelle, la séance de questions au Gouvernement. L'existence même d'un parlement protège d'ailleurs l'opposition, en lui offrant un droit à la parole, une protection juridique, des ressources...

Enfin, le renforcement du Parlement et le renforcement de l'opposition ne sont pas synonymes : de grandes mesures de revalorisation du Parlement ont été prises en 2008, comme l'examen en séance publique du texte issu de la Commission, mais cette mesure est assez neutre du point de vue de l'opposition ; la fin annoncée du cumul des mandats, quant à elle, affecte tout autant la majorité que l'opposition.

La réforme de 2008 a en quelque sorte inscrit dans la Constitution un principe de discrimination positive en faveur de l'opposition : elle a choisi l'équité plutôt que l'égalité stricte. Je rappelle rapidement que cette réforme a attribué à l'opposition la présidence des commissions des finances, lui a donné un droit de tirage pour les commissions d'enquête, a réservé aux groupes d'opposition et aux groupes minoritaires une journée de séance par mois, a instauré la parité du temps lors des questions au Gouvernement, ainsi qu'un droit de tirage sur les sujets choisis pour débattre lors des semaines de contrôle…

Certaines dispositions ne visaient pas la seule opposition, mais l'ont néanmoins aidée, par exemple l'autorisation que le Parlement donne à la poursuite des opérations extérieures après quatre mois ou le vote des commissions pour approuver certaines nominations faites par le Président de la République.

Cette réforme était toutefois ambiguë : elle visait également à limiter la capacité d'obstruction de l'opposition, et donc son temps de parole – le temps législatif programmé a été mis en place à l'Assemblée, et va l'être au Sénat. Les stratégies d'obstruction parlementaires ont fortement crû à partir du début des années 1980. Leur limitation participe certainement d'une rationalisation du Parlement, ce qui a son intérêt, mais le choix qui a été fait de réduire l'opposition au silence dans certaines circonstances me semble gênant.

Cette réforme de 2008 s'inscrit plus dans une conception du working Parliament que du talking Parliament. Les parlements accomplissent en effet deux sortes de tâches : ils travaillent sur le fond, examinent les textes, amendent la législation… d'une part, et d'autre part animent le débat public et permettent la controverse, voire le spectacle politique. Le premier aspect est plutôt illustré par le Bundestag, le second par la Chambre des communes. Les réformes récentes se situent toutes dans la perspective d'un working Parliament : on attend des députés qu'ils soient rapporteurs, présidents de commissions d'enquête… au détriment d'interventions plus spectaculaires, plus médiatisées. Les députés de l'opposition peuvent alors perdre une partie de leur motivation pour ces procédures.

Aujourd'hui, il est de bon ton de dresser un bilan plutôt négatif de la réforme de 2008, pour ce qui est du rôle donné à l'opposition. Tel ne sera pas mon propos ; par petites touches, certes, il me semble qu'en regard de notre histoire qui vient d'être retracée par M. le professeur Winock, et de ce qu'était le Parlement il y a seulement vingt ans, l'évolution des moeurs est considérable. Ainsi, il y a aujourd'hui des co-rapporteurs, l'un issu de la majorité et l'autre de l'opposition, pour l'application des lois ; il est possible de mentionner des divergences dans le rapport. La Commission des lois a mis en place des « shadow rapporteurs » de l'opposition, dès l'examen du projet : ils assistent aux auditions du rapporteur, et disposent de quelques pages dans le rapport. Les nominations du Président de la République sont examinées par un rapporteur de l'opposition, aidé par l'administration parlementaire – petite révolution culturelle. Certaines nominations ont d'ailleurs été repoussées : ce ne sont donc pas là des gadgets. L'opposition dispose aussi désormais du rapport quelques heures, voire quelques jours avant la réunion de la commission : elle ne le découvre plus au dernier moment, ce qui lui permet de le travailler. Il y aurait beaucoup d'autres exemples. Une évolution est en marche, lente, et relativement inaperçue, mais bien réelle.

Il faut néanmoins, je crois, aller plus loin. Depuis trois législatures, le groupe majoritaire à l'Assemblée nationale dispose seul, ou à peu près, de la majorité : c'est une situation assez rare dans notre histoire. Une majorité si puissante numériquement impose, je crois, de renforcer davantage les droits de l'opposition.

Je voudrais donc proposer cinq mesures réformistes, et une mesure plus radicale.

La première des cinq mesures de réforme serait d'institutionnaliser le shadow rapporteur mis en place par la Commission des lois. Sur le modèle du parlement britannique, ou du Parlement européen, dès le dépôt d'un texte, un rapporteur principal de l'opposition est nommé, et dispose de droits particuliers ; il peut s'exprimer dans les rapports écrits, et on pourrait imaginer de lui demander, de façon symétrique à ce qui se fait pour le rapporteur de la commission, son avis en séance publique. Il serait ainsi plus visible, et on peut espérer que cela l'inciterait à agir.

La deuxième proposition serait l'instauration d'un débat d'orientation en séance, préalablement à l'examen en commission, pour remplacer la discussion générale. Cela permettrait aux groupes d'opposition de marquer publiquement leur position dès le début de l'examen d'un texte, mais aussi d'anticiper les conséquences d'une législation ; cela forcerait le Gouvernement à prendre du temps. On procède ainsi en Italie, par exemple.

Il faudrait également un meilleur contrôle de l'utilisation, par les groupes parlementaires, de leurs ressources financières – dont il n'est pas normal que certains groupes les utilisent pour autre chose que le travail parlementaire, ce que l'on peut lire dans la presse. L'expertise parlementaire doit se constituer non pas seulement au sein de l'administration parlementaire, mais aussi au sein des groupes eux-mêmes. À ce titre, l'exemple du Bundestag est impressionnant : les groupes, de la majorité comme de l'opposition, embauchent des économistes et des juristes pour quelques années, afin de pouvoir opposer à l'administration une contre-expertise. Le Parlement français le fait extrêmement peu : pour le personnel embauché par les groupes, par rapport à l'Allemagne, on est dans une proportion de un à dix ! Le groupe UMP devrait par exemple disposer de trois économistes prévisionnistes en mesure de décortiquer les chiffres de Bercy, et de fournir une contre-analyse de l'état de notre économie.

Une dose de proportionnelle me semblerait également souhaitable. Tous les partis politiques, à l'exception de l'UMP, défendent cette mesure. Soixante parlementaires élus au scrutin proportionnel, dans une circonscription nationale, suffiraient à représenter l'ensemble de l'opposition réelle au Parlement – alors qu'aujourd'hui, seule une partie de l'opposition est représentée.

Il me paraîtrait également bon d'instaurer une consultation systématique du ou des chefs de l'opposition par le Président de la République en cas de crise, mais aussi d'intervention armée, de modification des traités européens…

J'en viens à la mesure plus radicale que je propose, et qui est aujourd'hui contraire à la Constitution et à l'esprit de la Ve République : il s'agirait, à régime politique constant, d'organiser régulièrement, tous les mois par exemple, une séance de questions et réponses avec le Président de la République à l'Assemblée nationale. Bien sûr, c'est une idée qui fait pâlir les juristes, puisqu'il serait tout à fait contraire à la doctrine d'obliger le Président de la République à venir au Parlement pour écouter des critiques et répondre à des questions. Mais cette barrière n'est-elle pas mentale ? Pourquoi, à la veille ou au lendemain d'un Conseil européen, François Hollande n'est-il pas tenu de venir expliquer les décisions qu'il a prises, ou qu'il va prendre ? Une telle séance de questions et réponses pourrait se faire sans ouvrir la possibilité d'une censure, en conservant l'irresponsabilité du Président. Mais nous pourrions, je crois, assumer le présidentialisme de notre régime : le Président de la République étant très puissant en France, pourquoi ne pourrait-il pas, une fois par mois ou une fois tous les deux mois, et non de façon hebdomadaire comme le Premier ministre, écouter des critiques et y répondre ? Cette mesure inciterait de plus, ce qui serait une bonne chose, les leaders de l'opposition à être présents au Parlement, ce qui n'est guère le cas aujourd'hui – pensons à Martine Aubry et à Ségolène Royal hier, à Nicolas Sarkozy aujourd'hui. Cette mesure rencontre des obstacles juridiques – il faudrait changer les textes – mais, j'y insiste, surtout mentale. Je ne comprends pas non plus pourquoi les commissions d'enquête ne peuvent pas porter sur les actions du Président.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion