Intervention de Didier Houssin

Réunion du 21 novembre 2012 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Didier Houssin, président de l'AERES :

– Monsieur le Président, Monsieur le Premier vice-président, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir voulu auditionner l'AERES. Je voudrais vous présenter les trois personnes qui m'accompagnent : Madame Laurence Pinson, secrétaire générale de l'AERES, le professeur Philippe Tchamitchian, directeur de la section des établissements (universités, écoles, organismes de recherche), le professeur Pierre Glaudes, directeur de la section des unités de recherche.

Dans cet exposé liminaire, je vais aborder les acquis liés au rôle de l'AERES, puis les critiques formulées vis-à-vis de l'AERES, dans le contexte des Assises, et les propositions que l'AERES formule.

Ce n'est pas devant l'Office parlementaire d'évaluation que je vais vanter les mérites de l'évaluation comme levier de progrès, comme moyen partagé d'aide à la décision, ou comme méthode structurée d'information.

Depuis son installation en 2007, en à peine cinq ans, l'AERES a accompli un cycle complet d'évaluation (plus de 4 000 programmes de formation, plus de 3 200 unités de recherche, 250 établissements ou organismes), de façon homogène, et en combinant auto-évaluation et évaluation externe collégiale par les pairs. Des entités dans le champ de la culture (diplômes des écoles d'art ou d'architecture) ou de la santé (diplômes d'infirmières) ont aussi été évaluées pour la première fois. Cela explique sans doute pourquoi, dans sa contribution aux Assises, le ministère de la Culture et de la Communication a souligné le rôle important de l'AERES.

Égalité de traitement entre les entités évaluées ; impartialité des évaluations grâce au statut d'indépendance de l'AERES ; transparence des résultats des évaluations. Voilà trois acquis très importants ! Dans un rapport de 2009, l'Académie des sciences estimait d'ailleurs que l'AERES avait beaucoup apporté en termes d'éthique, de transparence et d'impartialité de l'évaluation.

Un acquis important est aussi que l'AERES est reconnue au niveau européen, comme compétente et comme indépendante. Cela veut dire que les étudiants et les chercheurs européens, et l'ensemble des observateurs étrangers disposent d'une garantie quant à la qualité des évaluations faites en France. Cela veut dire que les résultats des évaluations faites en France sont crédibles. Ceci est crucial en termes d'attractivité de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. De nombreux pays sollicitent l'AERES pour évaluer des programmes ou des institutions, ou pour aider à la mise en place d'un dispositif d'évaluation. Encore cette semaine, avant-hier, l'Algérie, hier, l'Italie.

Un acquis essentiel, enfin, est que l'AERES a la possibilité, du fait de ses missions, d'évaluer la qualité du lien entre formation et recherche. Cette possibilité est jugée très intéressante à l'étranger. Hier, j'étais invité par l'agence italienne créée récemment et qui s'inspire fortement de l'agence française sur ce point.

S'agissant des critiques et des propositions, sans vouloir faire un plaidoyer pro domo, je voudrais dire deux choses : la première est que l'AERES n'a pas attendu les Assises pour écouter les critiques et y répondre. Chaque année, nous organisons un retour d'expérience et, à plusieurs reprises, l'AERES a déjà fait évoluer sa méthode, justement pour tenir compte des critiques. À la fin de 2011, nous avons en particulier entendu les critiques de la notation globale des unités de recherche ou de la prise en compte insuffisante de la recherche finalisée. Nous avons supprimé la note globale et nous avons modifié le référentiel de recherche, afin d'affiner les critères d'évaluation des activités de recherche.

Le second point est que les critiques sont parfois contradictoires entre elles. Premier exemple : certaines entités évaluées n'apprécient pas la notation, fût-elle multicritères. En revanche, les décideurs, qui s'efforcent en particulier de « financer à la performance », n'apprécieront pas de ne plus disposer de la notation qui les aide dans leurs décisions.

Second exemple : certains personnels des entités évaluées reprochent à l'AERES de recueillir des données de nature individuelle. Les décideurs, qui souhaitent « financer à l'activité », n'apprécieront pas que l'AERES cesse de leur fournir des informations actualisées sur les effectifs. En effet, en raison de la complexité du dispositif de recherche français, ces décideurs ne disposent en général pas d'une vision d'ensemble sur ces effectifs.

J'en viens maintenant aux critiques exprimées dans le cadre des Assises. Elles concernent avant tout une des trois missions principales de l'AERES, l'évaluation des unités de recherche. Je vais évoquer les cinq critiques principales et les propositions que l'AERES a soumises au débat en vue des Assises nationales.

La première critique porte sur la complexité du fonctionnement de l'AERES. Il me faut d'abord rappeler que l'AERES n'est pas responsable de la complexité du dispositif français d'enseignement supérieur et de recherche : universités et grandes écoles ; établissements d'enseignement supérieur et de recherche et organismes nationaux de recherche ; universités devenues plus autonomes, mais coexistant avec des entités nationales d'évaluation comme le Conseil national des universités (CNU) et le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS)… ; chercheurs et enseignants-chercheurs).

Dans ce paysage complexe, l'AERES est en fait une « complexité simple ». Elle est même un facteur d'unité et de décloisonnement, grâce à sa méthode homogène d'évaluation, et surtout à la possibilité d'évaluer la qualité du lien entre formation et recherche.

Il ne faut pas non plus surestimer le poids que représente l'évaluation conduite par l'AERES, une fois tous les cinq ans. Cette charge est faible par rapport à la charge administrative liée à la quête des financements sur projet auprès de l'ANR, de l'Europe, des Régions, des grandes associations, des industriels, etc., avec, dans chaque cas, des procédures annuelles, différentes, de reporting des résultats et de suivi budgétaire.

Néanmoins, l'AERES fait une proposition de simplification : la réduction de moitié, dès cette année, de son dossier d'évaluation.

La deuxième critique porte sur la transparence. L'évaluation faite par l'AERES est beaucoup plus transparente que ce qui se faisait avant. Toutefois, il y a des marges de progrès, concernant le recrutement des délégués scientifiques de l'AERES, la composition des comités d'experts et la signature des rapports d'évaluation. Sur ces trois points l'AERES est prête à améliorer et clarifier ses procédures.

La troisième critique concerne l'articulation insuffisante entre évaluation individuelle et évaluation collective. L'AERES n'a pas de responsabilité d'évaluation individuelle des chercheurs ou des enseignants-chercheurs. Elle souhaite cependant mieux s'articuler à l'avenir avec les instances qui sont justement un rôle dans l'évaluation individuelle, par exemple le CoNRS, le CNU ou les universités.

La quatrième critique concerne la portée des évaluations de l'AERES, jugée parfois trop large. L'AERES a songé à centrer son action sur l'évaluation ex post, donc à ne plus évaluer le projet à cinq ans des entités de recherche. Il ne faudrait cependant pas que cette simplification, cet allègement, conduise à accroître la complexité du dispositif d'évaluation, d'autres instances se mettant à faire l'évaluation du projet à cinq ans. Il ne faudrait pas non plus que cela crée une inégalité de traitement entre les entités de recherche évaluées.

Il est demandé aussi que l'AERES s'appuie plus sur les instances nationales des grands organismes de recherche, voire délègue l'évaluation aux conseils scientifiques dont se sont dotées certaines unités de recherche de ces organismes. Là encore, ceci mérite d'être étudié, en étant conscient des deux risques, évoqués plus haut, de complexifier l'évaluation, d'un côté, de créer des inégalités de traitement entre unités de recherche, de l'autre.

La cinquième critique concerne la question des élus. L'AERES est attachée à ce que le choix des chercheurs ou enseignants-chercheurs sollicités pour les comités d'évaluation ne repose pas sur la seule élection, mais je précise que des experts sollicités pour faire partie des comités d'experts sont parfois, déjà aujourd'hui, des élus. L'AERES ne verrait pas d'inconvénient à ce que son Conseil, instance chargée de missions en termes de politique d'évaluation, comporte des élus émanant de la communauté scientifique. D'ailleurs, je rappelle que ce Conseil a la chance d'avoir en son sein deux élus du peuple.

Enfin, l'AERES n'a pas de fixation sur la notation. Le choix ou non de la notation nous semble devoir être déterminé avant tout par la politique de financement. S'il y a une part de financement à la performance, la notation multicritères mise en place par une agence indépendante comme l'AERES est certainement préférable à un dispositif de notation découplé de l'évaluation, et qui serait mis en place de façon hétérogène par les différents décideurs. S'il n'y a plus aucun financement à la performance, on pourrait très bien se passer de la notation.

Concernant la recommandation de l'Académie des sciences de supprimer l'AERES, je répondrai qu'elle est peu argumentée. De plus, certains des rares arguments avancés sont faux. En particulier, il est erroné de dire que l'AERES fait l'unanimité contre elle. Il est donc illogique d'avancer que, pour cette raison, il faudrait la supprimer.

Éliminer l'AERES, ce serait jeter le bébé avec l'eau du bain et ignorer que les grands enjeux liés à l'existence de l'AERES sont la qualité, la crédibilité de la qualité, et donc l'attractivité, de notre système d'enseignement supérieur et de recherche sur la scène européenne et internationale, mais aussi la capacité à faire le lien entre formation et recherche.

C'est d'ailleurs sans doute pour cela que le ministère des Affaires étrangères, dans sa contribution aux Assises, a écrit en septembre que « l'AERES est un des vecteurs essentiels de notre compétitivité », et que, « grâce à sa dynamique d'internationalisation, l'AERES illustre notre capacité d'expertise et renforce notre image d'excellence ».

Monsieur le Président, Monsieur le Premier vice-président, Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs, l'AERES fait l'objet de critiques, ce qui est normal, et elle est prête à évoluer pour mieux répondre aux attentes, et pour trouver des solutions de compromis, lorsque ces attentes sont contradictoires.

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