Assez épais, notre rapport annuel retrace l'activité de l'AMF et, dans une certaine mesure, des marchés financiers en 2014. Il traduit une situation en assez nette amélioration par rapport aux exercices précédents, malgré des inquiétudes qui demeurent face à l'évolution de certains risques.
Les marchés financiers se sont portés de manière correcte en 2014. Les volumes échangés sur l'ensemble des marchés d'Euronext, ont progressé de 18 %, avec un volume quotidien de presque 4 milliards d'euros à Paris. Le nombre de sociétés inscrites à la cote a légèrement augmenté, porté par la reprise des introductions en bourse. Plusieurs dizaines de sociétés de biotechnologies sont désormais présentes sur le marché, grâce à une solide culture entrepreneuriale et scientifique dans ce secteur. Les montants levés au titre des introductions ont atteint 4,3 milliards d'euros, soit un niveau trois fois supérieur à celui de l'an dernier. Rappelons qu'il n'y avait pas eu pour ainsi dire d'introduction en 2012. Le marché retrouve donc sa fonction de lever des fonds pour de nouveaux investissements.
Les sociétés déjà cotées ont quant à elles levé près de 14 milliards d'euros. La gestion d'actifs a également tiré profit de la bonne tenue des marchés. Les encours sous gestion ont progressé de 3 %, à environ 1 350 milliards d'euros. Cette hausse n'est pas considérable, mais conforte un secteur déjà puissant. Le nombre des sociétés de gestion de portefeuille a encore augmenté à la suite d'une hausse de 23 % du nombre de nouvelles sociétés agréées par l'AMF. Cela traduit le dynamisme de certains entrepreneurs qui développent de nouveaux concepts de gestion assez techniques.
Autre fait nouveau peu prévisible il y a un an et demi, l'entreprise de marché Euronext a retrouvé son autonomie dans le périmètre où elle opérait il y a dix ans, soit le marché belge, le marché français, le marché néerlandais et le marché portugais. L'entreprise a été elle-même introduite à nouveau à la cote l'été dernier. Son parcours boursier s'est révélé favorable à ses actionnaires, tandis qu'elle affiche des résultats satisfaisants. Elle opère en zone euro, avec un noyau dur d'investisseurs qui stabilise l'entreprise, puisqu'elle est détenue à 30 % par des financiers français. À côté du London Stock Exchange ou de la Deutsche Börse, cet opérateur sait jouir d'une certaine autonomie. Comme entreprise de marché, il s'est rapproché des entreprises, qui avaient pu lui reprocher par le passé de ne s'intéresser qu'aux grandes capitalisations et aux opérations dérivées d'un montant très important, lorsqu'il était intégré dans une entreprise américaine. Euronext a inversé désormais son attitude, comme en témoigne le dynamisme des introductions en bourse.
Notre maison est à la fois mobilisée vis-à-vis des émetteurs, dans la gestion d'actifs, dans la gestion des infrastructures de marché ou encore par son activité au niveau européen, notamment au sein de l'Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority – ESMA), qui rassemble les opérateurs et régulateurs de marché de l'Union européenne ou encore, au niveau mondial, au sein de l'Organisation internationale des commissions de valeurs – OICV-IOSCO.
Des inquiétudes demeurent cependant, car la situation n'est pas tout à fait stabilisée. L'impact de faibles taux d'intérêt doit d'abord attirer notre vigilance. Certes, la politique des banques centrales est sans doute nécessaire pour relancer la croissance, mais cette médaille a tout de même son revers. Quelle est en effet la capacité des banques et des sociétés d'assurances à vivre sans risque dans un environnement si atypique, puisque les taux d'intérêt nominaux et réels y sont nuls, voire négatifs ? Les unes comme les autres doivent gérer le risque d'une variation possible des taux d'intérêt à tout moment. Telle doit être la préoccupation des régulateurs prudentiels comme des régulateurs de marché. Ces inquiétudes s'expriment au sein du Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board – FSB), qui s'intéresse aux risques systémiques.
Nous nous préoccupons ensuite de l'évolution des marchés obligataires. Certes, elle est en ce moment très positive, en tout cas très favorable aux entreprises. Si elles jouissent d'une bonne signature, elles peuvent emprunter des montants importants à de bonnes conditions sur des marchés internationaux particulièrement profonds, en émettant des corporate bonds. Un risque de crise obligataire demeure néanmoins. Les marchés obligataires ont ainsi donné des signes de volatilité ces dernières semaines. La Banque centrale européenne – BCE – a envoyé un message qui a permis de les inverser, mais nous devons continuer de suivre leur évolution d'un oeil attentif tant que les taux d'intérêt sont aussi atypiques. Car les conditions actuelles permettent la levée de fonds considérables à des conditions favorables, mais à des taux très variables, qui peuvent affecter la liquidité du marché en cas d'évolution brutale. Les régulateurs doivent prendre en compte ces éléments comme des facteurs de risque.
La rapidité des transferts de capitaux entre places ou entre continents constitue un troisième facteur de déstabilisation, comme l'a relevé à bon escient le Fonds monétaire international. Si la politique des taux d'intérêt n'est pas gérée de manière uniforme – comme on peut s'y attendre –, le risque de transferts importants par les opérateurs est élevé. Certes, les réponses données à la crise ont permis de réduire de manière significative le risque sur les banques et de conserver sa liquidité au marché, mais elles restent porteuses de risques, différents selon les places, mais auxquels il faut rester attentif en France.
Notre mission en matière de défense de l'épargne est de protéger les investisseurs, en particulier ceux qui sont le moins informés et qui sont le plus fragiles, de façon qu'ils conservent leur confiance dans les marchés financiers. Comme la rémunération donnée à l'épargne classique est actuellement faible, des gens peu scrupuleux font miroiter des produits miracles sur des dizaines de sites Internet. Nous luttons ainsi contre les offres d'options binaires très risquées ou d'opérations sur les changes, qui pourraient être fructueuses pour qui connaîtrait d'avance l'évolution des monnaies, mais se révèlent en pratique, dans 90 % des cas, génératrices de graves pertes, y compris pour des épargnants avisés. Nous les déconseillons donc formellement. De nombreuses plaintes ont été déposées.
L'investissement emprunte en ce domaine des caractères du jeu. L'investisseur qui a perdu une première fois reçoit le conseil de doubler, voire de tripler, sa mise. D'autres sites constituent purement et simplement des escroqueries dont le seul but est d'obtenir le numéro de carte bancaire de l'internaute, sans que les fonds prélevés ne soient jamais utilisés sur les options retenues par l'épargnant.
Nous usons de toute la palette de moyens d'investigation dont nous disposons, ainsi que de notre pouvoir d'influence au sein de l'ESMA, car les agréments sont parfois accordés, sans contrôle effectif dans d'autres États membres de l'Union européenne, à des opérateurs qui élisent ensuite pour leurs activités un pays à épargne large comme la France.
Nous voudrions également pouvoir restreindre la publicité sur la commercialisation des produits particulièrement dangereux. Cette demande pose des problèmes juridiques à propos desquels nous avons engagé une discussion avec les services du ministère des Finances, afin de savoir si le Gouvernement peut formuler une proposition en ce sens. Permettez-moi de défendre cette option devant vous, car cette mesure devrait faire l'objet d'un examen par le Parlement. Il est difficile d'atteindre les opérateurs de sites Internet, même si nous nous y employons en demandant des jugements par référé. Cela n'empêche pas ces offres de repousser aussi vite que la mauvaise herbe. Interdire aux annonceurs la publicité sur ces sites préviendrait de manière plus efficace l'émergence des préjudices constatés.
J'en viens au projet d'union des marchés de capitaux, initiative européenne très importante. L'AMF et le Gouvernement ont répondu il y a quelques jours à la Commission européenne, chacun de leur côté, sur les différents points à propos desquels elle les avait interrogés : orientations à prendre en matière de régulation financière ; améliorations à apporter à la directive prospectus ; modalités de mise en place d'un système de titrisation (securitisation) à même d'améliorer le financement des entreprises. Nous voyons d'un oeil favorable cette évolution. Depuis 2009, les activités des régulateurs, en Europe et ailleurs dans le monde, se concentraient sur les remèdes à apporter aux faiblesses que le système comportait. Désormais, il faut aussi, de manière positive, veiller au financement des entreprises, qui, à l'avenir, ne lèveront plus de fonds principalement auprès des banques, mais s'orienteront vers des sources de financement plus diversifiées. Nous croyons beaucoup à cette diversification. L'initiative européenne en cours paraît à même de permettre des progrès en ce sens.
Je voudrais enfin aborder le volet répressif de nos activités. En ce domaine, l'actualité était chargée en 2014. La répression des infractions financières a reposé sur une séparation entre, d'une part, la phase de l'enquête, placée entre les mains du régulateur, et des poursuites, décidées par le collège de l'AMF sur la base de l'instruction conduite, et, d'autre part, le prononcé de la peine par une commission des sanctions indépendante qui, dans le délai raisonnable d'un an ou un an et demi, a infligé des amendes allant jusqu'à 30 millions d'euros, sans préjudice des mesures disciplinaires pouvant être prises à l'encontre du contrevenant. Quand l'infraction constatée constituait l'un des trois délits boursiers, l'affaire a été transmise au parquet, toujours libre de poursuivre le contrevenant.
Désormais, depuis les décisions que vous avez citées, monsieur le président, les infractions constatées ne devront faire l'objet que d'un seul type de poursuites, que ce soit la police ou l'AMF qui enquête. Il faudra choisir entre la compétence de la commission des sanctions et la voie pénale. Nous sommes d'avis que la décision du Conseil constitutionnel, scrutée en détail, impose de définir précisément ce que sont des poursuites, car cette notion est aujourd'hui susceptible d'une interprétation large. Il reviendra donc au législateur d'en donner une définition précise. Il conviendrait qu'il se penche également sur la proposition de l'AMF, dont la chancellerie et les parquets ne sont pas éloignés, qui prévoit que le régulateur et le parquet consulte à chaque fois l'autre partie avant d'engager toute poursuite. Ainsi, l'AMF serait consultée par le parquet national financier en cas de désignation d'un juge d'instruction, ou de saisine tribunal correctionnel dans les cas simples ; de même, il consulterait celui-ci avant de notifier des griefs relatifs à l'un des trois délits boursiers.
Dans le cas où des procédures doivent être engagées, il nous semble – vous n'en serez guère surpris –, que la voie la plus efficace en matière financière, pour arriver à la fixation rapide d'une peine reposant sur des motivations claires, c'est la voie de l'AMF, car nous sommes spécialisés dans ce domaine et nous avons l'habitude de traiter ce type d'affaires, en prononçant des amendes de plus en plus importantes. La voie pénale présente cependant des avantages, puisqu'elle permet des gardes à vue, des filatures, voire des écoutes dans des cas exceptionnels ; dans les affaires les plus graves, le prononcé de peines de prison peut s'avérer dissuasif. Elle n'en reste pas moins juridiquement plus aléatoire, plus longue, plus difficile, quoiqu'elle vaille la peine d'être suivie lorsqu'il s'agit de grande délinquance financière.
Pour clarifier le dialogue institutionnel préalable aux poursuites, nous proposons donc, comme nous y invitent d'ailleurs le Conseil constitutionnel et surtout la directive européenne, de définir différemment manquements et délits, en déterminant les premiers de manière large, sans critère de gravité ni de montant, et en réservant à la définition du délit les critères de gravité, de montant, d'intentionnalité et de décalage de cours. Cet arbitrage relève du domaine de la loi et appartient donc à la représentation nationale, qui devrait se prononcer avant l'été 2016, puisque le Conseil constitutionnel a fixé le 1er septembre 2016 comme date butoir à la révision de la loi. La date d'application prévue par la directive relative aux abus de marché ne lui est d'ailleurs antérieure que de quelques semaines.
Ce sujet n'est pas simple, car le système de sanction est techniquement difficile et court le risque, s'il n'est pas correctement géré, de cesser de répondre à la nécessité d'une sanction effective, importante et rapide.