Intervention de François Rebsamen

Séance en hémicycle du 26 mai 2015 à 15h00
Dialogue social et emploi

François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Monsieur le président, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mesdames et messieurs les députés, je voudrais tout d’abord vous remercier, vous, les rapporteurs, ainsi que tous les membres de vos commissions et de la délégation aux droits des femmes. Vos travaux ont été constructifs et je suis sûr qu’ils le seront tout autant en séance publique.

Le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui s’inscrit dans la continuité des grandes lois sociales défendues par les gouvernements de gauche depuis plus de trente ans.

Et tout d’abord dans la lignée des lois Auroux, qui ont inventé les formes actuelles du dialogue social en entreprise et prouvé leur force et leur justesse. En relisant les débats qui avaient animé cette assemblée à l’époque, je ne peux que constater le chemin que nous avons parcouru. Je veux d’ailleurs remercier Jean Auroux qui a bien voulu partager avec moi son expérience et la mémoire de ces débats.

Depuis trente ans, notre économie, nos entreprises, les formes mêmes du dialogue social ont heureusement évolué. Ce sont ces évolutions que nous devons aujourd’hui prendre en compte, tout en conservant sa vitalité au principe de citoyenneté dans l’entreprise et de participation des salariés.

Ce projet de loi s’inscrit également dans la lignée des lois sociales présentées par le Gouvernement. Depuis 2012, le pays avance, il se transforme, et à ces transformations correspond une seule et même méthode : le dialogue social.

Mesurons le chemin qu’elle nous a permis de parcourir : généralisation de la complémentaire santé, progrès de la portabilité et de la sécurisation des parcours professionnels, refonte de la formation professionnelle, solutions nouvelles pour l’anticipation et la gestion des difficultés des entreprises, présence des salariés dans le conseil d’administration des grandes entreprises, réforme du financement du paritarisme et de la représentativité des organisations patronales. Voilà les avancées concrètes qu’ont soutenues, ensemble, le Gouvernement, représenté notamment par Michel Sapin, et les partenaires sociaux.

Ce qui se joue derrière ces lois, c’est la modernisation de notre société et de notre économie ; c’est aussi l’amélioration de leur fonctionnement et leur capacité à s’adapter aux changements de fond qui touchent notre pays.

Pour répondre à cet objectif, le projet de loi prévoit de rénover profondément le dialogue social dans l’entreprise afin d’en faire un levier de performance économique et sociale et de mieux répondre aux préoccupations des salariés. Ce texte valorise également l’engagement des 600 000 élus ou représentants syndicaux qui le font vivre au quotidien et, pour la première fois, il accroît la place des femmes parmi ces élus.

Il renforce en outre la lutte contre le chômage avec une AFPA rénovée – l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes – et de nouvelles dispositions favorisant la formation des demandeurs d’emploi de longue durée.

Ce projet de loi s’adresse également aux millions de travailleurs modestes, qui verront leur pouvoir d’achat renforcé et leur activité encouragée grâce à l’instauration de la prime d’activité. Je remercie la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Marisol Touraine, qui, avec moi, a soutenu la création de la prime d’activité. Elle s’adressera à vous dans quelques instants.

Plus globalement, ce texte trace la perspective d’une nouvelle sécurisation des parcours professionnels avec la création du compte personnel d’activité voulue par le Président de la République.

Enfin, il donne de la visibilité aux intermittents du spectacle, en inscrivant dans le code du travail la spécificité de leurs règles d’assurance chômage, et donne un rôle plus important, dans la négociation, aux représentants de la profession. Je remercie la ministre de la culture et de la communication, Fleur Pellerin, avec laquelle j’ai élaboré ce volet du projet de loi.

La première partie du projet de loi fait suite à la négociation interprofessionnelle sur l’efficacité et la qualité du dialogue social que j’ai proposée aux partenaires sociaux en juillet dernier. Cette méthode, qui a fait ses preuves, est la marque du quinquennat, comme en témoignent les trois grandes conférences sociales et les cinq accords nationaux interprofessionnels signés depuis 2012.

Bien que les négociations sur le dialogue social n’aient pas abouti, toutes les organisations ont négocié jusqu’au bout, donnant lieu à de réelles avancées, et nous avons été près de trouver un accord. Aussi le Gouvernement a-t-il repris la main avec le souci de trouver un nouveau point d’équilibre, plus proche des orientations que j’avais fixées en juillet dernier.

J’ai ainsi consulté les représentants des organisations patronales et syndicales tout au long du processus d’écriture du projet de loi. L’accueil qu’il a reçu montre que les points de vue des uns et des autres ont été écoutés.

Le projet de réforme du dialogue social repose sur un équilibre construit avec les partenaires sociaux. Je serai attentif à ce qu’il puisse être conservé, tout en étant ouvert aux propositions que vous ferez – comme je l’ai été au cours des échanges fructueux que nous avons eus en commission des affaires sociales.

Ce projet de loi se fonde sur une conviction qui dépasse largement les clivages partisans : les salariés et les entreprises de notre pays ont tout à gagner à un dialogue social de meilleure qualité.

Le dialogue social est une réalité et il joue aujourd’hui un rôle clef dans le fonctionnement de notre économie. Les 36 000 accords signés chaque année dans les entreprises sont le signe de sa vitalité et il en est de même des accords de branche. Pour autant, nous connaissons tous la crise de légitimité qui touche les institutions et, à cet égard, celles du dialogue social ne sont pas épargnées.

Voilà pourquoi il faut agir. Agir pour renforcer la légitimité des instances représentatives du personnel dans l’entreprise. Agir aussi pour rendre le dialogue social plus performant, en répondant à deux exigences : une exigence démocratique et une exigence d’efficacité économique.

L’exigence démocratique, tout d’abord. La participation des salariés est un principe inscrit dans notre Constitution. Parce qu’il est juste que les salariés soient associés, par l’intermédiaire de leurs représentants, aux décisions qui touchent à leurs conditions de travail, à leur pouvoir d’achat, à leur formation et à leur emploi, comme il est juste qu’ils participent aux choix stratégiques qui déterminent leur vie dans l’entreprise et leur avenir.

Mais un dialogue social plus performant, c’est aussi répondre à une exigence d’efficacité, en premier lieu d’efficacité sociale. Des relations apaisées et plus confiantes dans l’entreprise sont la garantie d’une meilleure qualité de vie au travail.

Un dialogue social plus performant, c’est aussi l’assurance que les fruits de la croissance seront mieux partagés et que des solutions justes seront trouvées si l’entreprise se trouve en difficulté. Être mieux associés à la vie de leurs entreprises : voilà ce qu’attendent légitimement nos concitoyens. Nos principes démocratiques ne doivent pas s’arrêter aux portes des entreprises.

Enfin, un dialogue social plus performant est un facteur d’efficacité économique. Il n’y a pas que le coût du travail et le capital qui font la compétitivité d’une entreprise. Sa capacité à innover, à améliorer la qualité de ses produits, à répondre aux attentes de ses clients, constitue un avantage stratégique. Pour cela, il faut que l’entreprise soit un lieu de coopération et que l’engagement soit collectif. Investir dans les compétences et privilégier le long-terme : telle est la clef d’un climat social apaisé et d’une motivation plus forte des salariés. Il faut que les salariés puissent être entendus et participer aux débats qui déterminent les orientations stratégiques des entreprises.

C’est une absurdité d’opposer dialogue social et performance économique, car l’un et l’autre sont complémentaires. Et cette vision conciliant exigence démocratique et exigence d’efficacité montre la voie du progrès social et renforcera la démocratie sociale dans notre pays.

Le projet de loi propose ainsi de concrétiser quatre objectifs.

Le premier est de faire en sorte que l’ensemble des salariés de notre pays soient représentés. Peut-on accepter une situation dans laquelle le dialogue social exclut une très grande partie des salariés, ceux qui travaillent dans les petites et moyennes entreprises ? La réponse est non.

Aujourd’hui, seuls les salariés des très petites entreprises de quelques secteurs, tels que l’artisanat ou l’agriculture, bénéficient d’une représentation syndicale. Je souhaite que tous les salariés de notre pays soient représentés, par le biais de dispositions qui tiennent compte des particularités des entreprises de petite taille.

Le texte offre ainsi aux 4,6 millions de salariés des TPE une représentation de qualité. Quelle forme prendra-t-elle ? Celle de commissions paritaires régionales composées d’employés et d’employeurs des TPE qui seront des lieux de dialogue et de conseil. Il s’agit d’une grande avancée et d’une première en Europe qu’il faut prendre comme telle !

La commission des affaires sociales a souhaité leur attribuer deux prérogatives supplémentaires, un rôle de médiation en cas de conflit entre salariés et employeurs si les deux parties le souhaitent et un rôle de proposition en matière d’activités sociales et culturelles. Ces nouvelles missions sont fidèles à l’esprit des commissions qui seront des lieux de dialogue utiles aux TPE et à leurs salariés.

Des précédents de ces commissions existent dans l’artisanat, y compris chargées de ces deux missions. Pourquoi ne pas étendre ce qui a fonctionné et fonctionne toujours pour des milliers d’entreprises artisanales à toutes les TPE ? Il faut donc raison garder en la matière et éviter d’attiser les craintes. Il s’agit d’une avancée sociale importante s’appuyant sur des expériences concrètes et réussies.

Le deuxième objectif consiste à renforcer la démocratie sociale en rendant plus vivant, plus performant et plus efficace le dialogue social dans l’entreprise. Lors de mes entretiens avec les représentants des salariés et des employeurs, nous sommes tombés d’accord sur un constat que vous partagez également, mesdames et messieurs les députés, celui du formalisme excessif des obligations de consulter et de négocier. Peut-on accepter que le formalisme prenne le pas sur la stratégie ? Non, je ne le crois pas ! Il faut faire en sorte que toutes les conditions soient réunies afin que les salariés fassent entendre leur voix et pèsent sur les orientations de l’entreprise.

C’est pourquoi le texte prévoit de passer de dix-sept obligations d’information et de consultation à trois consultations annuelles. La première portera sur les orientations stratégiques et leurs conséquences, la seconde sur la situation économique et financière de l’entreprise et la troisième sur sa situation sociale, les conditions de travail et l’emploi.

Les douze obligations de négociations seront quant à elles regroupées en trois blocs cohérents. Le premier portera sur la rémunération, le temps de travail et la répartition de la valeur ajoutée, le deuxième sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail et le troisième sur la gestion des emplois et des compétences. Le dialogue social aura ainsi plus de sens. Mieux vaut des réunions moins nombreuses et centrées sur les enjeux stratégiques qu’un enchaînement de réunions masquant les questions essentielles de l’avenir de l’entreprise et de ses emplois.

Le troisième objectif consiste à faire en sorte que les institutions représentatives du personnel soient adaptées à la taille des entreprises. Chaque instance existant actuellement a sa raison d’être et je sais que tous les partenaires sociaux y sont attachés. C’est pourquoi elles seront toutes maintenues ainsi que leurs compétences et leurs missions selon le principe consistant à définir un fonctionnement plus simple, plus clair et surtout mieux adapté à la spécificité des entreprises, en particulier de petite taille. À cette fin, le projet de loi étend la possibilité de mettre en place une délégation unique du personnel – DUP – incluant le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT – aux entreprises de moins de 300 salariés. Là encore, nous nous appuyons sur ce qui a bien fonctionné. La délégation unique du personnel existe depuis vingt ans dans les entreprises de moins de 200 salariés et a été choisie par 60 % des employeurs.

Au cours des concertations, je n’ai entendu personne en dresser un bilan négatif. Nous nous sommes même rendus compte que de nombreuses entreprises la conservent au-delà du seuil de 200 salariés à la demande des élus du personnel. Nous encourageons donc cette dynamique en faisant passer le seuil de 200 à 300 salariés et en y intégrant le CHSCT. Il en résulte une instance unique lisible pour les salariés et adaptée au fonctionnement des PME.

Le projet de loi prévoit également la possibilité de regrouper tout ou partie des instances représentatives du personnel dans les entreprises de plus de 300 salariés si un accord majoritaire, c’est-à-dire rassemblant les syndicats ayant obtenu au moins 50 % des voix aux élections professionnelles, est conclu. Cette mesure responsabilise les acteurs du dialogue social et tire la conséquence de la légitimité démocratique que leur confère leur représentativité, ce qui est bien normal. Ils définiront eux-mêmes les règles des instances, leur périmètre et les moyens des représentants. J’ai la conviction profonde que les partenaires sociaux sont les mieux placés dans l’entreprise pour définir les règles du jeu dans le cadre fixé par la loi.

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