Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 26 mai 2015 à 15h00
Dialogue social et emploi — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

La seule mesure qui touche à ces seuils consiste à faire passer de 200 salariés à 300 salariés le seuil au-delà duquel on ne peut recourir à la délégation unique du personnel. La belle affaire ! Il n’est pas question des seuils qui déclenchent des obligations administratives nouvelles, ni des seuils qui déclenchent des obligations financières nouvelles, ni du seuil qui oblige à afficher le règlement d’évacuation en cas d’incendie – quand une entreprise compte 151 salariés, elle est obligée de le faire, quand elle n’en compte que 149, elle n’est pas obligée ! Tout un ensemble d’obligations de cette nature ne sont pas visées par ce texte. C’est très dommage, car si une chose aurait pu justifier le soutien – pourquoi pas ? – de l’opposition à une réforme de cette nature, c’eût été cela ! Faire débattre le Parlement d’un texte qui se borne à réformer la délégation unique du personnel et les négociations annuelles obligatoires, en rassemblant un certain nombre d’obligations, sans toucher au reste, c’est franchement du temps perdu.

Subsistera dans notre législation une myriade de seuils qui ne recouvrent plus beaucoup de réalités. Même si ces seuils ne coûtent pas forcément plus cher, le simple fait qu’ils existent empêche les entreprises de fonctionner correctement.

Deuxièmement, monsieur le ministre, il aurait fallu renforcer le dialogue social territorial. Celui-ci est possible à l’heure actuelle : les partenaires sociaux ont parfaitement le droit de passer, sur un territoire donné, tous les accords qu’ils souhaitent. Il y a des exemples d’accords territoriaux qui sont des succès. Je sais bien que ce dialogue social territorial fait débat dans les organisations syndicales ; au sein de l’UMP, comme sans doute au sein du groupe socialiste, tout le monde n’est pas d’accord sur le sujet : cela ne m’a pas échappé. Les grandes centrales syndicales elles-mêmes sont traversées par des divisions de cette nature. Je vois notre collègue Gaby Charroux, qui siège sur les bancs du Front de Gauche : il me fait penser – je ne sais pas pourquoi : c’est sans doute un hasard – à la CGT. La CGT elle-même, qui était réfractaire il y a quelques années au principe même d’un dialogue social territorial, y devient en partie favorable dans la réalité. Sur ce point, il y a donc des évolutions.

L’enjeu n’est donc pas de faire exister le dialogue social territorial, car il existe déjà : il s’agit de le renforcer, et de lui donner la possibilité de passer, à titre expérimental, des accords à caractère normatif. Il faut lui donner les moyens de réfléchir à des stratégies de territoire sur des bassins d’emploi, aux moyens d’assouplir la législation sur l’alternance, l’apprentissage et la formation professionnelle, entre partenaires sociaux, sur un bassin d’emploi donné : cela aurait eu du sens ! La logique du bassin d’emploi devrait s’imposer, particulièrement dans le contexte que vous décriviez tout à l’heure, contre la logique plus générale des législations, des réglementations, des politiques publiques. Voilà une hypothèse avec laquelle nous aurions été à l’aise, et sur laquelle nous aurions pu assez facilement travailler. Rien de tout cela, monsieur le ministre, ne figure pourtant dans votre texte !

Je me demande bien pourquoi, alors que deux rapports très intéressants ont abordé cette question : l’un, remis par votre serviteur au Premier ministre, sur la négociation collective et les branches professionnelles ; l’autre, présenté au Conseil économique, social et environnemental par l’Alsacien Jean-Louis Walter, intitulé « Réalité et avenir du dialogue social territorial ». De toute façon, il faudra s’habituer à ces logiques : il faudra les apprivoiser. Comment se fait-il que votre texte ne comporte pas de dispositions sur ce sujet ? C’est tout de même étonnant !

Troisièmement, pour renforcer le dialogue social, monsieur le ministre, il ne suffit pas de donner un médiateur aux petites entreprises ! Sur ce point, je reconnais que ce n’est pas vraiment la faute du Gouvernement, car si j’ai bien compris, c’est plutôt une initiative de M. le rapporteur de la commission des affaires sociales. C’est d’ailleurs avec la joie au coeur que le Gouvernement a dû accepter cette initiative, car si les partenaires sociaux sont parvenus à un accord, c’est sans doute parce que le médiateur n’y était pas ! Nous reviendrons sur cette question au moment de l’examen des amendements.

Qu’attendent les petites entreprises ? Pas de la médiation ! Personne n’est opposé à la médiation, la question n’est pas là, mais les petites entreprises attendent de la visibilité ; elles attendent qu’on les aide à définir une stratégie, à renforcer les partenariats ; enfin, elles attendent des dispositions qui leur permettent de développer leur activité. Or les propositions que j’ai évoquées pourraient, précisément, aider le dialogue social à devenir créateur d’activité, plutôt que d’être une simple activité occupationnelle, comme dans les centres aérés le mercredi après-midi.

Quatrièmement, nous attendions également une répartition plus claire des tâches entre les différentes instances représentatives du personnel – vieux problème ! Malheureusement, dans la pratique, l’action des comités d’entreprise et celle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail se recoupent – quand ces deux instances existent : même dans les entreprises où cela devrait être obligatoire, ce n’est pas toujours le cas. Je vois l’ancien bâtonnier de Châteauroux sourire : je suppose qu’il a dû être confronté à ce cas une fois ou deux dans sa vie ! Quand ces deux instances existent, en effet, il arrive qu’elles se marchent dessus : dans ce cas, elles compliquent la vie de l’entreprise plus qu’elles ne la simplifient, et n’aident pas celle -ci à créer plus de richesse, à être plus performante.

Cinquièmement et pour terminer, monsieur le ministre, si les commissions paritaires régionales sont si importantes que vous le dites, si leur poids symbolique est vraiment la marque d’une évolution manifeste du dialogue social, alors comment se fait-il que vous ayez relégué le chapitre qui les concerne au dernier rang des chapitres qui concernent la représentation du personnel ? Votre projet de loi relègue les commissions paritaires régionales après les comités d’entreprise qui représentent les salariés transfrontaliers. Je n’ai rien contre les salariés transfrontaliers, mais vous auriez pu placer les commissions paritaires régionales plus haut dans le code du travail, car vous savez qu’il en va des dispositions du code du travail comme des autres : plus elles figurent haut dans le code, plus elles sont importantes. Vous auriez pu placer ces articles à une place plus éminente, afin de manifester votre considération pour cette nouvelle instance. Je vois là un manque de conviction de votre part, monsieur le rapporteur, et de la part de M. le ministre.

Vous nous direz aussi plus tard, au moment de l’examen des amendements, pourquoi vous avez numéroté ainsi ces nouveaux articles. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en découvrant la nouvelle numérotation du code du travail : l’article 23 figure après l’article 2480. Cette arithmétique m’échappe ! Vous nous expliquerez tout cela au cours de nos débats.

Au bout du compte, monsieur le ministre, quel est le mérite essentiel de ce texte ?

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