Intervention de Isabelle Le Callennec

Séance en hémicycle du 26 mai 2015 à 15h00
Dialogue social et emploi — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Le Callennec :

Ne faudrait-il pas, au préalable, comprendre les raisons de cette désaffection ? La création de ces commissions paritaires sera-t-elle de nature à améliorer véritablement et concrètement le dialogue dans les entreprises où il fait défaut ? Or dans les TPE, cela est rarement le cas : les relations entre le chef d’entreprise et les salariés sont quotidiennes. Et puis, voir inscrite à l’article 1er d’une loi sur le dialogue social la création d’une énième structure chargée d’apporter des informations, de débattre et de rendre tout avis utile sur les questions spécifiques aux entreprises de moins de onze salariés n’est vraiment pas de nature à nous rassurer sur son utilité réelle.

D’autant qu’au fil de l’adoption d’amendements de la majorité, les prérogatives de ces commissions se sont élargies au point d’intégrer l’accès des membres de ces commissions aux entreprises. Cet accès ne sera certes possible, si je vous ai bien entendu, monsieur le ministre, qu’avec l’accord du chef d’entreprise concerné. Mais cette ingérence ne dit rien qui vaille. Pour mémoire, le texte initial du Gouvernement précisait qu’un tel accès ne serait pas possible : je suppose qu’en cela il avait tenu compte d’un avis majoritaire des partenaires sociaux.

Plus généralement, il est toujours étonnant de constater, là encore, le décalage entre les déclarations grandiloquentes et la nécessité de respecter les partenaires sociaux. « J’aimerais que le dialogue social soit inscrit dans la Constitution » déclarait ainsi le 23 mai 2013 votre prédécesseur, Michel Sapin, alors qu’il a été fait peu de cas des remarques de ces mêmes partenaires.

Tel est par exemple le cas du compte pénibilité, dont les chefs d’entreprises vous disent et vous redisent qu’il est une usine à gaz. Le 10 octobre 2013, vous procédez à sa création dans la loi sur les retraites. Face aux difficultés d’application, vous mandatez un « médiateur », Michel de Virville. Le 14 octobre 2014, vous annoncez que seuls quatre critères de pénibilité retenus seront mis en oeuvre au 1er janvier 2015. Les autres – parmi lesquels figurait tout de même le travail répétitif, qui peut être un facteur de pénibilité – attendront janvier 2016. Cela n’allant toujours pas, et pour cause, vous avez confié une mission à notre collègue Sirugue, rapporteur du projet de loi dont nous débattons.

Et puis, coup de théâtre, monsieur le ministre : vous annoncez à l’assemblée générale de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, le 9 avril, qu’« il n’y aura pas de fiches individuelles du compte pénibilité à partir de juin, c’est inapplicable ». Aujourd’hui même, vous annoncez des amendements afin que l’employeur n’ait plus de mesures individuelles à accomplir lorsqu’il pourra disposer d’un référentiel de branche. Vous dites qu’il s’agit d’un message de confiance en direction des entreprises. Les messages ne suffisent plus, nous attendons des actes, notamment le vote de l’amendement du groupe UMP qui vise précisément à supprimer, dans ce texte, les fiches individuelles, casse-tête pour les employeurs et sources de contentieux. Nous verrons si vous y êtes favorable.

Vous voyez bien, chers collègues, qu’entre les annonces, les effets de manche, la communication et la réalité de ce qui est voté dans cette maison, il y a un fossé, ou plutôt un abîme. Et c’est précisément ce double langage qui désespère, à raison, les Français.

Une fois de plus, une loi risque d’être votée alors qu’elle n’aura aucun impact positif sur chômage, ou un impact très marginal. Une fois de plus, l’absence de courage aura interdit de s’attaquer aux véritables freins à la croissance et à l’emploi que sont les charges qui pèsent sur les entreprises, les rigidités du code du travail ainsi que l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emplois. Monsieur le ministre, 350 000 offres d’emplois ne trouvent pas preneur dans notre pays.

Quand allez-vous vous attaquer à ce triste triptyque bien français : 3,6 millions de chômeurs, 350 000 emplois non pourvus et 140 000 jeunes sortant du système scolaire sans diplôme ni qualification ?

Souvenez-vous, chers collègues, qu’à l’origine ce texte sur le dialogue social devait constituer une réponse aux chefs d’entreprises qui fustigent les seuils sociaux, ceux qui allongent, lorsqu’ils les dépassent, la liste de leurs obligations d’employeurs. Le seuil des cinquante salariés aurait dû faire l’objet de toute notre attention tant il est manifestement, dans notre pays, un frein au développement des PME, dont je rappelle qu’elles assurent 85 % de la création d’emplois.

Au final, ce texte dans sa globalité est au mieux un coup pour rien, au pire – je pense à la prime d’activité – un non-sens économique. Même le Premier ministre semble s’en détacher puisqu’il a installé, en parallèle, la commission Combrexelle sur les accords collectifs et le travail, son intention étant de moderniser notre système de relations sociales et sa pratique. Or, comme chacun sait, les parallèles ne se rejoignent jamais.

Alors permettez-moi cette question, que d’aucuns trouveront naïve : à quoi servons nous ? Où se prennent les décisions dans notre pays ? En fait, des décisions sont prises d’ailleurs, car règne depuis trois ans un sentiment d’inefficience publique, alors que les entreprises et les salariés, doivent, eux, s’adapter en permanence aux marchés et cultiver la réactivité maximale. Allons-nous continuer longtemps à donner l’illusion d’une démocratie adulte ?

Nous sommes tous attachés au dialogue social, mais chacun d’entre nous ne définit pas forcément de la même façon le dialogue social efficace, pour reprendre l’adjectif employé par les partenaires sociaux que nous avons auditionnés.

La loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, dite loi Larcher, prévoit que tout projet gouvernemental impliquant des réformes dans les domaines des relations du travail doit d’abord comporter une phase de concertation avec les partenaires sociaux, dans le but de permettre l’ouverture d’une négociation. Cette dernière a eu lieu mais fut un échec, puisque nous examinons un projet de loi.

Cette même loi Larcher fut une étape importante. Mais huit ans après, acceptons quelques constats : seulement 6 % des salariés sont syndiqués dans notre pays, et aucun accord national interprofessionnel n’a recueilli la signature de l’ensemble des organisations syndicales de salariés et d’employeurs reconnues représentatives au niveau national. Pourtant, ces accords s’appliquent à tous et doivent être consignés dans la loi. Or, les lois traduisent rarement l’accord national interprofessionnel, et rien que lui, à l’instar de la loi sur la sécurisation de l’emploi.

Sont plutôt votées des lois ajoutant des pages au code du travail qui en compte déjà plus de 1 600 : choc de simplification dans les mots, choc de complexification dans les faits.

Vous connaissant par coeur, chers collègues, je me doute du sort qui sera réservé à cette motion de renvoi en commission.

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