Intervention de Benoît Coeuré

Réunion du 13 mai 2015 à 11h00
Commission des affaires européennes

Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, BCE :

Je vous remercie pour votre invitation. L'Assemblée nationale, comme tous les parlements des États membres de la zone euro, joue en rôle essentiel dans l'interaction entre le niveau national et le niveau européen, interaction sur l'amélioration de laquelle vous ne manquerez pas, je suppose, de m'interroger. Outre que les économies de la zone euro sont trop interdépendantes pour s'ignorer, cette question pose aussi celle de la légitimité, car les décisions et les orientations européennes, qui engagent les politiques nationales, ne sont légitimes que si elles sont comprises, soutenues et assumées par les États membres.

Pendant la crise, la BCE a été confrontée à des défis considérables : le premier fut de maintenir la confiance dans la monnaie unique dans un contexte d'incertitude et de forte instabilité financière ; le deuxième consistait à assurer la stabilité des prix en dépit de la fragmentation des conditions financières au sein de la zone et de l'action de puissantes forces désinflationnistes ; le troisième, au cours des derniers mois, fut de créer des instruments face au risque d'une inflation durablement faible. Ces défis ont conduit à une orientation accommodante de la politique monétaire sans précédent dans l'histoire de la zone euro ; elle s'est concrétisée par des mesures conventionnelles et d'autres dites « non conventionnelles » : les premières ont porté sur la baisse, jusqu'à leur limite inférieure, des taux d'intérêt. Le principal taux directeur de la BCE s'élève aujourd'hui à 0,05 %, et celui des dépôts à - 0,2 %. Ces mesures visent à relancer l'investissement et la consommation par une diminution du coût du crédit ; afin d'en renforcer les effets, nous avons également donné des indications avancées sur l'orientation future de la politique monétaire – « forward guidance » – , autrement dit des indications sur ce que nous prévoyons de faire en fonction des informations dont nous disposons. Un tel engagement sur l'avenir, plus fort qu'auparavant, a permis de stabiliser les conditions financières dans la zone à un moment où les marchés de capitaux étaient volatils et où les investisseurs craignaient que le relèvement des taux d'intérêt aux États-Unis ne tire à la hausse les taux européens, ce qui eût été manifestement inadapté à la situation économique en Europe. Cette combinaison entre un taux directeur bas et une clarté sur les orientations futures de la politique monétaire a permis de protéger la zone euro des chocs financiers internationaux ; mais cela n'a pas suffi : la défiance à l'égard du système financier et de certains emprunteurs souverains, ainsi que les défaillances bancaires dans plusieurs États membres, ont rendu nécessaire la mobilisation d'instruments non conventionnels. Nous avons pris cette décision tout d'abord pour nous assurer que les banques pouvaient se refinancer dans de bonnes conditions afin de continuer à irriguer l'économie. À la fin de 2011 et au début de 2012, ce sont ainsi 1 000 milliards d'euros qui ont été injectés dans le cadre du refinancement à long terme des banques de la zone ; ces prêts à trois ans, intégralement remboursés aujourd'hui, ont permis de stabiliser le secteur bancaire à un moment de forte instabilité financière.

La BCE a également créé, en septembre 2012, des opérations monétaires sur titres (OMT) qui lui donnent la possibilité d'intervenir, si nécessaire, sur les marchés secondaires de dette souveraine en cas d'attaques spéculatives liées à des craintes sur une sortie de l'euro ; ce faisant elle a soutenu le volontarisme politique affiché par les gouvernements quant à l'intégrité de la zone euro, les annonces sur l'union bancaire, à la même époque, ayant aussi contribué à la dynamique de confiance. L'annonce des OMT a permis une diminution drastique des primes de risque sur les taux souverains, notamment italiens et espagnols ; elle a donc assuré la cohésion de la zone euro à une époque où celle-ci subissait des attaques sur les marchés financiers. Ces instruments, au reste, n'ont jamais été utilisés, la seule annonce de leur création ayant suffi à rétablir la confiance. Le « bazooka », comme l'ont surnommé les commentateurs financiers, est toujours sur l'étagère : il peut être activé à tout moment si de nouvelles craintes s'expriment sur l'intégrité de la zone euro.

Plus récemment, la BCE a décidé d'autres mesures non conventionnelles destinées à soutenir le crédit. Elle consent ainsi des prêts à cinq ans aux banques de la zone euro à condition qu'elles augmentent leurs prêts en direction de l'économie réelle. Outre que les conditions de ces prêts sont très favorables, l'échéance de cinq ans est adaptée au financement des entreprises, en particulier des PME.

Enfin, la BCE a décidé, en septembre 2014, d'un programme d'achat d'obligations sécurisées – « covered bonds » – et d'un programme d'achat de titres adossés à des portefeuilles de crédits – « asset-backed securities » (ABS). L'annonce, en janvier 2015, de sa volonté de mettre en place une politique dite de « quantitative easing », fondée sur un programme étendu d'achat d'actifs, incluant davantage d'obligations souveraines, a répondu au nouveau ralentissement de l'inflation lié à la forte baisse du prix du pétrole à partir de la mi-2014,: une telle évolution risquait de s'auto-entretenir et laissait craindre une inflation et une croissance durablement faibles. Or les traités européens nous donnent un mandat très clair s'agissant de la stabilité des prix, que nous avons définie par une inflation inférieure à – mais proche de – 2 %. En d'autres termes, l'absence de réaction eût été une rupture du mandat qui nous a été confié par les traités.

Par conséquent, la BCE a étendu son programme d'achat d'actifs, le portant à 60 milliards d'euros par mois, dont – moyennant des fluctuations mensuelles – 45 milliards de titres publics et 15 milliards de titres privés. Ces achats ont commencé en mars et devraient se poursuivre jusque fin septembre 2016, pour atteindre un montant global de 1 140 milliards d'euros ; ils pourront d'ailleurs se prolonger au-delà de cette date si l'inflation ne tend pas à se rapprocher des 2 % en 2016 : de fait, notre jugement repose sur une anticipation de la trajectoire.

Comment ce programme agit-il sur l'économie réelle, en particulier sur l'inflation ? Le premier canal de transmission est la confiance, le risque d'une inflation durablement faible étant de nature à altérer la confiance dans les capacités de la BCE à respecter son mandat. L'annonce des achats d'actifs vise donc à créer un choc de confiance, nécessaire à la relance de l'investissement privé, lui-même condition de la reprise économique. À ce propos, je rappelle que l'investissement privé reste très éloigné de son niveau d'avant la crise, puisqu'il représentait 17 % du PIB de la zone euro en 2014 contre 20 % en 2007.

Le deuxième canal de transmission est la baisse des taux d'intérêt. La politique monétaire permettait déjà de contenir les taux à court terme, mais le programme d'achat d'actifs tire aussi à la baisse les taux à long terme, qui par définition déterminent le financement de l'économie à long terme. La maturité moyenne des titres d'État achetés par la BCE est proche de neuf ans ; il s'agit donc d'un allongement sans précédent des horizons de la politique monétaire. Autrement dit, la BCE s'est donné les moyens d'agir sur les conditions de refinancement de l'économie à long terme.

Le troisième canal réside dans la possibilité, pour les investisseurs bancaires comme non bancaires, de substituer, dans leurs portefeuilles, des crédits et des participations plus risquées dans l'économie réelle aux titres d'État qu'ils nous vendent – étant entendu que cela comporte la possibilité que les investisseurs prennent trop de risques : j'y reviendrai.

Le dernier canal, qui n'est pas le plus essentiel pour la BCE, est le taux de change. Cependant que la vigueur de l'économie américaine déterminera sans doute un durcissement de la politique monétaire, l'assouplissement des conditions financières au sein de la zone euro conduit à une dépréciation du taux de change par rapport aux États-Unis, laquelle profite à la compétitivité des entreprises. Toutefois la BCE n'a pas d'objectifs chiffrés en matière de taux de change : celui-ci résulte seulement des décisions qu'elle prend en matière de politique monétaire.

Les achats de titres se font sans heurts, et leurs effets se font d'ores et déjà sentir sur l'économie réelle. Les taux du crédit bancaire ont diminué de 40 à 50 points de base depuis l'été 2014, et devraient baisser encore. Cette évolution s'accompagne d'ailleurs d'une convergence croissante des taux entre les pays membres. Une telle baisse des coûts de financement devrait à son tour promouvoir la croissance du crédit et de l'investissement. De fait, la contraction du crédit paraît s'inverser dans la zone euro. Le crédit bancaire aux entreprises non financières a progressé de 1 % sur trois mois en mars en variation annuelle, alors que le taux était de -2 % un an plus tôt. En France, le taux de croissance annuel du crédit aux entreprises s'est même établi à quelque 4 % en mars, contre 1 % seulement un an auparavant.

Les projections de croissance de la BCE ont ainsi été revues à la hausse, pour s'établir à 1,5 % en 2015, à 1,9 % en 2016 et à 2,1 % en 2017. Cette croissance sera soutenue par l'accroissement de la demande externe, la baisse des cours du pétrole et l'orientation accommodante de la politique monétaire. Les chiffres du premier trimestre français, publiés ce matin par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), confirment que la reprise est là. Quant à l'inflation, elle devrait s'approcher progressivement des 2 % d'ici à 2017. On observe d'ores et déjà une inflexion à la hausse des anticipations d'inflation sur les marchés financiers. Bref, le choc de confiance s'observe déjà.

Après ces considérations positives, je veux tempérer l'enthousiasme. Les facteurs de soutien à l'activité sont temporaires ; les risques internationaux demeurent très élevés et la reprise – telle qu'on l'observe par exemple dans les chiffres publiés ce matin – est principalement soutenue par la baisse de l'euro et le faible coût de l'énergie, facteurs dont les effets sont voués à s'atténuer à court terme. De plus, la politique monétaire ne peut agir de façon durable sur la croissance à long terme de l'économie, fortement affectée dans l'ensemble de la zone euro. Après le choc de confiance, la balle est donc dans le camp des États membres. Le taux de chômage, en particulier, reste à un niveau élevé au sein de la zone : il atteignait 11,3 % en mars, et représente de 20 à 25 % dans plusieurs États membres. Le taux de chômage des jeunes avoisine les 50 % en Espagne, par exemple. Or cette situation, clairement inacceptable, tient essentiellement à des facteurs structurels. Le taux de croissance potentiel à long terme de la zone euro est estimé à moins de 1 %, ce qui est notoirement insuffisant. Toutefois, il n'appartient pas à la BCE de détailler les mesures structurelles susceptibles d'y remédier : c'est l'affaire de chaque pays. Le gouverneur de la Banque de France s'est d'ailleurs exprimé sur la teneur des réformes qui lui paraissent nécessaires – et auxquelles la BCE souscrit – dans une lettre adressée au Président de la République. Il s'agit, en effet, de redresser la croissance de long terme de la zone euro : cela passe par le soutien à l'investissement productif, l'amélioration du taux d'emploi et de la formation des travailleurs, de façon à faire baisser le chômage structurel, et le redressement de la productivité globale par la réduction des barrières à l'entrée, l'encouragement à l'innovation et l'amélioration de l'environnement économique des entreprises. La BCE a fait baisser les taux de financement à long terme et continuera de le faire, mais, pour porter ses fruits, une telle mesure suppose des projets d'investissement.

On objecte souvent que les réformes structurelles pèsent à court terme sur la compétitivité et l'emploi ; je crois au contraire qu'elles peuvent susciter, pour peu qu'elles soient crédibles, des anticipations de revenus à la hausse, desserrer la contrainte sur les finances publiques et inciter les ménages à consommer davantage et les entreprises à investir. D'ailleurs, les prévisions récentes de la Commission européenne montrent que les pays qui ont conduit le plus de réformes, comme l'Espagne, sont aussi ceux où le taux de croissance est le plus élevé.

Ce n'est pas non plus le rôle de la BCE d'entrer dans le détail des mesures budgétaires nationales. Je m'en tiendrai donc à trois principes qui nous tiennent à coeur. En premier lieu, l'union monétaire a créé une communauté d'intérêts fondée sur une capacité d'action commune – incarnée notamment par la BCE – qui, si elle peut être renforcée, suppose des règles. Celles-ci, sans doute, peuvent et doivent évoluer, mais il faut commencer par les appliquer. En tant qu'institution communautaire, la BCE se doit de rappeler que les grands pays ont un devoir d'exemplarité en la matière, s'agissant en particulier du pacte de stabilité.

Deuxième principe : un pilotage macroéconomique de la zone euro est nécessaire ; il suppose une attention portée à la situation budgétaire de chaque pays – c'est tout le sens du pacte de stabilité – comme de l'ensemble de la zone euro : M. Draghi l'a rappelé dans son discours à Jackson Hole l'an dernier. Il faut donc une orientation budgétaire adaptée pour l'ensemble de la zone euro ; nous estimons que l'orientation actuelle, globalement neutre, est adaptée à la situation, mais les marges de manoeuvre diffèrent fortement selon les pays. Dans ces conditions, nous recommandons aux pays en déficit excessif de poursuivre leurs efforts, et à ceux qui ont des marges de manoeuvre de les utiliser, notamment pour soutenir l'investissement.

Le troisième principe, qui me paraît aller de soi, tient à la composition de l'ajustement budgétaire : des dépenses publiques plus ciblées vers l'investissement généreront davantage de croissance et d'emplois. L'investissement public dans la zone euro, je le rappelle, est passé de 7,1% des dépenses publiques % en 2007 à 5,5 % en 2014.

Je conclurai par quelques remarques sur le fonctionnement institutionnel de la zone euro, au sein de laquelle, selon les termes du traité, les « politiques économiques » sont « une question d'intérêt commun ». De fait, la crise a montré que les fragilités d'un pays peuvent se transmettre à d'autres. Par ailleurs, la politique monétaire de la BCE et la mise en place de l'union bancaire ont montré la puissance d'une action commune au niveau de la zone. L'union bancaire, par exemple, permet un partage des risques, donc une forme de solidarité, ainsi qu'une meilleure gestion de la zone euro ; elle résulte d'un accord politique sur des règles du jeu communes édictées pour mettre fin à des abus constatés dans le passé. Ces règles concernent, par exemple, le renforcement des fonds propres, le renflouement interne – « bail-in » – , qui doit mettre un terme à la logique de privatisation des profits et de socialisation des pertes, ou l'application au niveau européen du principe de séparation des activités bancaires, que la BCE a fortement soutenue. Le conseil de surveillance bancaire de la BCE, organe intégrant les autorités nationales avec un pouvoir de décision fédéral, assure la mise en oeuvre crédible de ces règles. La BCE, soyez-en sûrs, sera un superviseur exigeant, indépendant des intérêts nationaux, et elle fera appliquer les mêmes règles à tous les pays.

L'union bancaire est aussi un exercice de transparence et de convergence visant à solder les fragilités héritées du passé – c'est notamment le sens de l'évaluation du bilan des banques menée l'an dernier – ; elle implique enfin une responsabilité politique claire, avec l'obligation de rendre des comptes au Parlement européen comme aux parlements nationaux : le président de la BCE et la présidente du Conseil de surveillance prudentielle rendent compte au Parlement européen ; le gouverneur de la Banque de France et le secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, eux, rendent compte au Parlement français.

La même méthode peut-elle être transposée à d'autres domaines, et, dans l'affirmative, lesquels ? Il me semble essentiel d'accroître la résilience de l'union monétaire et de développer les bénéfices de l'intégration ; pour ce faire, les structures économiques doivent devenir plus performantes et la monnaie unique doit être mieux exploitée en termes d'économies d'échelle : cela passe par le développement du marché intérieur – notamment celui des services – , l'instauration de règles protectrices pour le consommateur et le travailleur européens et par des mécanismes de partage des risques – ou de solidarité, pour paraphraser M. Muet – incluant une union budgétaire plus ambitieuse.

Une telle évolution implique, il est vrai, un partage de souveraineté ; mais partager la souveraineté n'est pas toujours la perdre : c'est parfois, même, la retrouver. Ainsi, la création d'une Banque centrale européenne a protégé la zone euro des évolutions mondiales, et l'affranchit en particulier de la politique monétaire américaine – ce qui ne serait pas possible dans le cadre de politiques monétaires nationales. Pour peu qu'elle ait une légitimité démocratique, une souveraineté européenne partagée autour d'institutions communes permet de dépasser un système qui est aujourd'hui principalement encadré par des règles, comme celle du pacte de stabilité, et ainsi de recréer un espace pour la délibération politique. Au reste, c'est l'absence d'institutions communes en matière budgétaire, par exemple, qui implique que le système est gouverné par des règles, sous le contrôle de la Commission européenne : des institutions communes, responsables devant les parlements, permettraient de recréer un espace pour la délibération politique.

Il n'appartient pas à la BCE de se prononcer sur le détail de telles réformes : c'est là un débat politique, et même constitutionnel, qui doit être mené dans chaque État membre. Il est toutefois de notre devoir de rappeler que la construction de la zone euro n'est pas achevée : s'arrêter au milieu du gué risquerait de la laisser dans un état de fragilité durable, que la reprise économique ne masquerait qu'un temps. Cette réflexion est au coeur du rapport dit « des quatre Présidents » – celui du Conseil européen, de la Commission, de la Banque centrale et de l'Eurogroupe –, qui sera discuté au Conseil européen du mois de juin ; nous souhaitons qu'il dessine une vision ambitieuse de l'union monétaire, tout en soulignant, d'autre part, les avancées possibles à court terme et à traités inchangés, s'agissant en particulier de la coordination des politiques économiques et du fonctionnement du Semestre européen. Ce dernier point, je le sais, revêt une importance particulière à vos yeux, l'interaction entre les procédures nationales et européennes n'étant pas toujours claire. D'aucuns estiment que la Commission, à travers les recommandations qu'elle adresse aux États dans le cadre du Semestre, exerce une mainmise budgétaire qui implique une perte de souveraineté. Ce n'est pas notre avis : l'union économique et monétaire est incomplète ; il est donc essentiel de la poursuivre en traitant, au niveau national comme au niveau européen, les politiques économiques comme un sujet d'intérêt commun. Il s'agit d'instaurer un débat ouvert entre les États membres, afin de discuter des points à améliorer par chacun, et d'adopter une décision commune sur ces recommandations dont je rappelle qu'elle est prise par le Conseil, non par la Commission.

Les cycles précédents, en matière de Semestre européen, ont été plutôt décevants ; j'espère donc que celui de 2015, qui commence aujourd'hui avec la publication des projets de recommandation de la Commission, sera différent. Votre assemblée a bien entendu un rôle essentiel à jouer dans ce processus, pour que les recommandations soient pertinentes au niveau européen mais aussi réalistes, crédibles et politiquement assumées au niveau national.

Sur la Grèce, les discussions portent sur les conditions dans lesquelles le soutien financier du Mécanisme européen de stabilité (MES), contrôlé par l'Eurogroupe, peut continuer à être mobilisé, voire être étendu, et à quelles conditions. Le Gouvernement grec nouvellement élu jouit d'une légitimité démocratique incontestable pour mener des politiques différentes du précédent ; le programme d'ajustement grec doit donc s'adapter à cette nouvelle donne. M. Varoufakis, en février, avait déclaré qu'il approuvait 70 % du programme et souhaitait en changer 30 %. La discussion se poursuit sur ce qui peut ou doit être changé, en cohérence avec la plateforme sur la base de laquelle ce gouvernement a été élu.

Reste le respect de la démocratie et des règles de la zone euro. Les déboursements du MES interviennent en fonction d'un programme incluant des conditionnalités ; ils sont soumis à l'approbation des ministres des finances de la zone euro, voire des parlements nationaux. Les responsables politiques des pays de la zone discutent d'un juste point d'équilibre au regard des positions du Gouvernement grec, tout en veillant à ce que la Grèce ne soit pas traitée différemment des autres pays qui ont également bénéficié du MES. Bref, il s'agit de trouver le juste équilibre entre deux légitimités démocratiques, entre les résultats des élections grecques et les règles de la zone euro approuvées par les parlements nationaux. Le programme du nouveau Gouvernement grec étant très différent, il est logique que le processus prenne du temps.

Dans ce débat, le rôle de la BCE est double. En premier lieu, la BCE est l'une des trois institutions – autrefois regroupées sous la dénomination de « troïka » – qui conseillent l'Eurogroupe en la matière : elle ne prend donc elle-même aucune décision. L'avocat général à la Cour de justice de l'Union européenne, dans son avis préliminaire relatif aux OMT, suggère que ce rôle peut, dans certains cas, placer la BCE en situation de conflit d'intérêts ; en fonction du jugement définitif de la Cour de justice, attendu le 16 juin, nous adapterons, s'il y a lieu, nos conditions d'intervention dans ce type d'exercice. Des textes européens exigent de la BCE qu'elle participe aux exercices de surveillance des pays, dans le cadre du « Two-pack », notamment lorsque ces derniers sortent des programmes. La « troïka », inventée en 2010 pour gérer une crise, n'a aucune vocation à s'inscrire durablement dans le paysage institutionnel européen : il faudra un jour le réintégrer dans le fonctionnement normal des institutions européennes. Le MES, aujourd'hui inscrit dans un Traité intergouvernemental, devra également être réintégré dans le droit communautaire. Il me paraîtrait également légitime que le Parlement européen soit mieux informé des discussions avec la Grèce.

D'autre part, la BCE est aussi la banque centrale de la Grèce, comme elle l'est des autres pays de la zone euro. Les financements combinés de l'Eurosystème en direction des banques grecques s'élevaient à 45 milliards d'euros début décembre 2014 ; ils atteignent aujourd'hui 115 milliards. Les banques grecques n'ayant pas accès aux marchés, c'est la BCE qui finance l'économie grecque – techniquement, cela se traduit par une augmentation du déficit de la Banque centrale grecque dans le système de transfert express automatisé transeuropéen à règlement brut en temps réel, dit « TARGET ».

En revanche la BCE ne peut financer l'État grec : les traités l'interdisent. Elle finance donc les banques grecques à condition que cet argent finance l'économie. Le refinancement de l'État grec, lui, fait l'objet d'une discussion entre le Gouvernement grec, les États membres et le Fonds monétaire international (FMI).

Vous avez évoqué, madame la présidente, le reversement des intérêts du SMP, c'est-à-dire le Programme d'achat d'obligations d'État. J'en rappelle le mécanisme. La BCE possède un portefeuille de titres qui, achetés après 2010 pour stabiliser les marchés financiers grecs, représente un montant d'une vingtaine de milliards d'euros. Ces titres génèrent des intérêts, que la BCE redistribue aux États membres dans le cadre des dividendes versés aux Banques centrales nationales, lesquelles les reversent à leur tour au Trésors nationaux. Les ministres des finances des pays de la zone euro se sont engagés à reverser ces sommes à l'État grec. En tout état de cause, la BCE ne conserve pas cet argent.

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