Merci pour ces questions toutes pertinentes, qui correspondent d'ailleurs à celles que nous nous posons.
Vous m'avez d'abord interrogé sur le risque de bulles induit par l'abondance de liquidités. Nous suivons cette question avec attention. De fait, le maintien de taux bas sur une longue période peut favoriser les stratégies spéculatives, alors que nous entendons encourager, chez les banques et les gestionnaires d'actifs, la vente des obligations d'État au profit des prêts à l'économie. Les nouvelles règles européennes prévoient des mécanismes d'alerte et des instruments d'action macroprudentiels, étant entendu que les bulles se forment d'abord au niveau national. La BCE a la possibilité d'intervenir dans le cadre des règles issues de l'union bancaire, mais elle ne peut le faire que pour durcir les décisions prises au niveau national, non pour les assouplir, et en utilisant des instruments qui relèvent de la seule réglementation bancaire. Nous pouvons, par exemple, imposer à telle ou telle banque un matelas supplémentaire de fonds propres si sa politique de crédit nous paraît trop laxiste et alimente par exemple une bulle immobilière dans tel ou tel pays.
Se pose aussi le problème, évoqué par Mme Valérie Rabault, du contrôle du secteur non bancaire. En ce domaine, la vérité m'oblige à dire que nous sommes encore en phase d'exploration. Une discussion est en cours au niveau européen comme au sein du Conseil de stabilité financière. Il est possible que soit recommandée, à l'issue de cette discussion, la création d'instruments de contrôle sur les risques pris par les fonds d'investissement ou les organismes émettant des obligations titrisées. Nous avons d'ores et déjà suggéré d'étendre l'approche macroprudentielle au monde non bancaire. La Commission européenne s'est également penchée sur le sujet.
L'indicateur avancé des bulles reste le niveau d'endettement : toutes les crises financières ont commencé par une inflexion anormale des cours boursiers au regard des fondamentaux et l'excès de crédit. Or, en l'occurrence, les banques de la zone euro continuent de réduire la taille de leur bilan, ce qui agit comme un système de refroidissement : il n'y a pas d'espace, en l'état actuel des choses, pour des comportements spéculatifs refinancés par les banques. Le jour où nous observerons une reprise des crédits en ce domaine, nous devrons sans doute agir ; mais nous n'en sommes pas encore là.
La remontée des taux sur les marchés obligataires ne nous préoccupe pas spécialement. Ces marchés ont fortement réagi, en janvier puis en mars, à l'annonce de notre politique d'achat d'actifs : les taux à long terme ont alors chuté dans tous les pays de la zone euro, y compris en Allemagne et en France. Les marchés apprennent à s'adapter à un nouvel équilibre : la correction n'est donc pas inutile, surtout si elle incite les acteurs financiers à la discipline et leur rappelle l'existence du risque dans le système. L'État emprunte plus cher, certes, mais il a largement profité, et profite encore, du faible niveau des taux à long terme, qui en tout état de cause sont fixés par les marchés. Cette évolution a aussi le mérite de rappeler que de telles conditions d'emprunt ne sont pas éternelles, non plus que le taux de change par rapport au dollar et la baisse du prix du pétrole ; au reste, celui-ci est fortement reparti à la hausse au cours des dernières semaines. Cette période doit être mise à profit pour faire des réformes.
Quant aux dettes publiques, je rappelle qu'elles sont des engagements des États : il n'appartient pas à la BCE de prescrire des annulations, des restructurations ou des allongements de maturité. Des propositions ont été faites pour restructurer la dette grecque mais, en ce domaine, la discussion ne peut intervenir qu'entre le gouvernement grec et les États membres. L'Assemblée nationale, qui vote le budget, est évidemment partie prenante. L'exposition de la France vis-à-vis de la Grèce se monte à 40 milliards d'euros : faut-il la réduire ? C'est à vous d'en délibérer, puisque l'argent qui est en jeu est celui des contribuables français.
Les restructurations de dette ont toujours existé, y compris pour la Grèce. La moitié de la dette grecque vis-à-vis des acteurs privés a ainsi été abandonnée d'un commun accord en 2013 ; quant aux prêts consentis par le MES, ils ont déjà été étendus, et leurs taux d'intérêt plusieurs fois adaptés à la baisse. Aujourd'hui, les États européens prêtent à la Grèce pour ainsi dire à prix coûtant. De ce fait, la charge de la dette en Grèce, mesurée en points de PIB, est inférieure à la moyenne de celle des pays de la zone euro ; elle est beaucoup plus faible qu'en Italie et en Espagne, par exemple.
Des discussions sont en cours avec le Gouvernement grec sur le nouveau programme d'ajustement ; elles sont difficiles, comme vous le savez. Nous espérons cependant aboutir, dans les prochaines semaines, à un accord qui puisse être discuté par l'Eurogroupe. Cet accord, qui aura des conséquences sur la trajectoire de croissance et sur les finances publiques grecques, conduira la BCE à mener, avec la Commission européenne et le FMI, une analyse de soutenabilité de la dette, analyse que nous soumettrons aux ministres des finances de la zone euro, qui sur cette base discuteront des besoins de la Grèce à moyen terme pour que la dette soit soutenable.
Le souhait de tous les acteurs est le maintien de la Grèce dans la zone euro : sa sortie n'est donc pas une hypothèse de travail pour la BCE. La zone euro est un projet politique ; les chefs d'État et de Gouvernement européens ont affirmé, à plusieurs reprises, vouloir en préserver l'intégrité : c'est donc notre seule perspective.
S'agissant de l'Italie, la croissance du PIB et de la productivité globale des facteurs, a commencé à s'infléchir dès les années 1980 et 1990, soit bien avant son entrée dans l'euro. Ce pays a notamment connu une grave crise économique et financière en 1992 et 1993. Le ralentissement de la productivité globale des facteurs est un problème séculaire pour les économies développées, en particulier en Europe : il n'a donc rien à voir avec la monnaie unique. L'évolution du taux de change peut donner un coup de fouet à court terme, mais elle est sans effet sur la croissance de la productivité à long terme.
Le faible niveau des taux d'intérêt change effectivement l'équilibre financier pour les assureurs – et pour les fonds de pension – madame Rabault. Reste que, pour le dire schématiquement, notre politique monétaire n'est pas conçue pour tel ou tel secteur : elle vise à replacer l'économie sur une trajectoire de croissance et, dans le contexte actuel, à éviter la déflation. Il est vrai qu'elle a des conséquences pour certains acteurs, dont les assureurs, qui ont distribué beaucoup de garanties de rendement : peut-être doivent-ils sortir de cette logique, dans un monde où les taux de refinancement sont variables. Ils souffrent davantage dans certains pays – dont la France ne fait pas partie – , où la maturité de leur passif diffère de celle de leur actif : il leur incombe de gérer leur bilan pour éviter ces « gaps de duration ».
La fixation de règles communes pour des économies divergentes est une question quasi philosophique. Les économies de la zone euro n'ont pas vocation à être identiques : le traité de Maastricht repose sur une « décentralisation » des politiques économiques, et cette latitude doit être préservée. Cela dit, la crise de 2007 nous a montré qu'il fallait limiter les divergences. La croissance, en Espagne et au Portugal, était soutenue par des bulles, notamment immobilières, alimentées par des financements extérieurs : elle ne pouvait donc durer éternellement. Le rôle de la Commission est de signaler de tels déséquilibres lorsqu'ils se manifestent.
Des mécanismes de solidarité sont nécessaires, comme le rappelait M. Muet ; le MES en est un. Sans doute faut-il réfléchir également à la création d'une capacité budgétaire commune. Ces mécanismes doivent être soumis à un contrôle démocratique – notamment du Parlement européen et des parlements nationaux – mais une telle réflexion ne relève pas des compétences de la BCE. Reste que, sans une certaine convergence économique, la solidarité se traduirait par des transferts, ce qui ne correspond pas au contrat passé entre les signataires du traité de Maastricht. Un nouveau mécanisme de solidarité devrait prendre la forme d'une assurance contre les chocs, étant entendu que les mécanismes de transfert permanents existent déjà : ce sont, notamment, les fonds structurels et les fonds de cohésion.
Vous avez posé, monsieur Gollnisch, une très bonne question sur BNP-Paribas ; mais cette affaire est intervenue à une époque où la BCE n'était pas l'autorité de contrôle de cette banque. Le dossier ressortit donc au superviseur national, en l'espèce la Banque de France, qui d'ailleurs s'est engagée auprès des autorités américaines pour trouver une solution. Je n'ai pas de commentaire particulier sur des affaires judiciaires à l'étranger, sinon que la sanction est normale dès lors que des activités délictueuses, en l'occurrence au regard du droit américain, sont avérées. Cela dit, on peut tirer quelques enseignements de la multiplication de ce type d'affaires, car leur traitement, en Europe, est très différent de ce qu'il est aux États-Unis. Compte tenu de l'existence d'un marché unique des services financiers et, désormais, d'une union bancaire, il serait légitime que l'Europe s'organise davantage pour traiter ce type de questions, par exemple en créant un parquet européen qui serait l'interlocuteur des autorités étrangères.
L'inflation, dans la zone euro, s'établit aujourd'hui à - 0,1 % après être descendue à - 0,6 %. Nous avons bon espoir que cette tendance à la hausse se poursuive ; toutefois, le débat sur le fait de savoir si elle doit atteindre 4 % reste très théorique : nous aurons matière à nous réjouir si la cible des 2 % est atteinte. Cet objectif, fixé en 1998, constitue une référence pour l'ensemble des acteurs du monde économique. Le fait que la zone euro s'en soit éloignée a perturbé son fonctionnement : cela justifiait donc une action de la BCE. Nous n'allons pas modifier aujourd'hui l'objectif d'inflation, d'autant que les autres grandes autorités monétaires – Réserve fédérale américaine, Banque centrale du Japon et Banque d'Angleterre – ont elles aussi fixé l'objectif à 2 %. Cette convergence est un facteur de stabilité pour le système monétaire et financier international.