Je vous remercie d'avoir souhaité m'entendre. Je suis d'autant plus heureuse de m'exprimer devant vous que je suis convaincue que le thème du renforcement du Parlement ne doit plus aujourd'hui être appréhendé par rapport au seul Gouvernement, mais dans une perspective visant à lui permettre d'exercer ses fonctions dans une démocratie moderne en constante évolution.
Mes réflexions et propositions sont l'aboutissement de travaux comparatifs sur les principaux régimes parlementaires actuels, qui m'ont amenée à aborder la question du renforcement du Parlement selon trois axes majeurs : le fonctionnement général du régime parlementaire, la fonction législative et la fonction de contrôle.
La question du fonctionnement général du régime parlementaire est, selon moi, cruciale dans notre pays et préside à toutes les autres. Pays de Montesquieu, la France est en effet le pays le plus imprégné par la théorie de la séparation des pouvoirs, ce qui n'empêche pas – et je m'en désole – que le régime parlementaire actuel soit un régime de fusion des pouvoirs entre le Gouvernement et la majorité parlementaire. S'il y a aujourd'hui séparation des pouvoirs ou des fonctions, ce n'est pas entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, mais entre la majorité et l'opposition.
D'aucuns pourront arguer qu'il s'agit là d'une question doctrinale, d'un fait culturel qui ne se décrète pas, mais il existe bel et bien dans notre Constitution des dispositions qui entretiennent ce malentendu et traduisent une exception française.
Je pense avant tout à l'alinéa 2 de l'article 23 de la Constitution, qui dispose que la fonction de membre du Gouvernement est incompatible avec un mandat parlementaire. Cet article, qui visait à assurer la stabilité du Gouvernement dans le contexte de 1958, ne se justifie plus aujourd'hui, et il me semble qu'il faudrait rendre compatibles les fonctions ministérielles et le mandat parlementaire, voire rendre obligatoire le fait que les membres du Gouvernement soient des parlementaires, comme c'est le cas en Grande-Bretagne.
En ce qui concerne la fonction législative du Parlement, il ne s'agit plus aujourd'hui de savoir s'il faut atténuer ou supprimer le parlementarisme rationalisé, mais plutôt d'appréhender celui-ci dans une triple optique : celle du type de parlementarisme rationalisé choisi, de son ciblage et de sa malléabilité.
L'étude des exemples étrangers m'a conduite à la conclusion que le parlementarisme rationalisé était inhérent aux régimes parlementaires modernes ; seule sa forme diverge selon les pays. En France, le parlementarisme rationalisé procède directement des prérogatives du Gouvernement, même si la révision constitutionnelle de 2008 a ponctuellement atténué la portée de ce principe ; en Allemagne en revanche, c'est la majorité parlementaire qui est à la manoeuvre, pour le compte du Gouvernement. Or la France aurait tout à gagner à adopter ce que j'appelle la « variante moderne » du parlementarisme rationalisé, qui consiste à confier intégralement aux assemblées, toujours pour le profit du Gouvernement, la maîtrise des mécanismes du parlementarisme rationalisé.
Cette prise de position se fonde d'abord sur des raisons politiques : la France est incontestablement un régime parlementaire majoritaire, et il n'y a donc plus aucune raison, dans ces conditions, que le Gouvernement conserve la main sur les mécanismes du parlementarisme rationalisé. Culturellement, de plus, la France est sans doute, je l'ai dit, le pays le plus attaché à la théorie de la séparation des pouvoirs, et il me paraît fondamental que la majorité parlementaire dispose d'une véritable autonomie technique pour mettre en oeuvre le parlementarisme rationalisé. Cela serait plus conforme à notre tradition constitutionnelle et permettrait en outre l'émergence d'une culture institutionnelle plus fusionnelle entre le Gouvernement et sa majorité parlementaire.
À cet égard, il me semblerait judicieux de confier totalement la maîtrise de leur ordre du jour aux assemblées, avec éventuellement des garde-fous pour le Sénat, l'objectif, encore une fois, n'étant pas de leur conférer un pouvoir législatif autonome – qui n'est plus envisageable dans les régimes parlementaires actuels – mais une autonomie technique.
Une fois choisi le type de parlementarisme rationalisé, il convient d'en bien cibler les instruments.
Pour des raisons liées à la logique démocratique et au régime parlementaire, l'usage du parlementarisme rationalisé est indispensable à toutes les étapes de la procédure législative, qu'il s'agisse de l'initiative des lois – ce qui implique la maîtrise de l'ordre du jour –, de la durée de préparation, de discussion et d'adoption des projets ou de l'approbation en elle-même des projets de loi. En effet, le Gouvernement doit pouvoir faire adopter dans ses grandes lignes et dans des délais raisonnables son programme législatif.
En revanche, le parlementarisme rationalisé ne se justifie nullement en ce qui concerne le travail de fond des commissions, puisque le rôle des parlements modernes en matière législative est aujourd'hui d'amender et d'améliorer les projets de loi de l'exécutif. Dans ce domaine il n'existe pas de réelle singularité française, à l'exception toutefois de la limitation du nombre de commissions permanentes, inscrite dans la Constitution : il s'agit là d'une disposition anachronique, car la question devrait relever du règlement des assemblées. En effet, l'expérience montre que, dans la pratique des régimes parlementaires modernes, une assemblée qui fonctionne bien est une assemblée qui comporte entre dix et vingt commissions permanentes, ce qui correspond grosso modo au découpage des ministères.
Enfin, quand cela est possible, le parlementarisme rationalisé doit être malléable. Il n'est en effet pas une fin en soi mais le moyen d'assurer un fonctionnement correct du régime parlementaire, en toutes circonstances. Dans cette perspective, il me semblerait intéressant de réfléchir à un assouplissement de l'article 40 de la Constitution, qui régit l'irrecevabilité financière.
Compte tenu du rôle prépondérant joué désormais par le Gouvernement dans le processus législatif, la fonction de contrôle assumée par le Parlement est devenue fondamentale pour nos démocraties modernes. Pour garantir son effectivité, il est possible d'oeuvrer, au-delà des réformes mises en oeuvre en 2008, dans trois directions : la mise en place d'un système de commissions puissantes permettant de renforcer le Parlement comme institution ; le développement, au profit de la majorité, de ce qu'Armel Le Divellec appelle le « contrôle de codécision », c'est-à-dire un contrôle permettant au Parlement d'influencer a priori l'action du Gouvernement ; enfin – et c'est le plus important – l'élargissement de la fonction et des droits de contrôle de l'opposition, afin de lui permettre de jouer le premier rôle en cette matière.
Je propose, à cet égard, trois mesures : d'une part, la suppression de la limitation du nombre de commissions permanentes par la Constitution, que j'ai déjà évoquée ; d'autre part, la modification de la procédure relative aux résolutions visées par l'article 34-1 de la Constitution, afin de permettre aux commissions permanentes d'examiner les résolutions et de les proposer au plénum, comme cela se fait en Allemagne ; enfin, toujours sur le modèle allemand et ainsi que vous l'a également suggéré Armel Le Divellec, l'octroi à un quart des députés du droit d'obtenir la création d'une commission d'enquête.