Intervention de Marie-Anne Cohendet

Réunion du 22 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Marie-Anne Cohendet :

Je vous suis sur de nombreux points, notamment sur le fait que nous pourrions nous inspirer des systèmes en vigueur en Grande-Bretagne et en Allemagne, où, comme l'a montré Jean-Claude Colliard, les électeurs, en votant pour un parti, savent qu'ils en désignent son leader comme Premier ministre, ce qui revient en fait à faire « élire » ce dernier par le peuple.

Je pense également comme vous que des mécanismes de rationalisation du régime parlementaire doivent être maintenus. Cela étant, vous avez raisonné à mode de scrutin constant : qu'en serait-il avec un scrutin proportionnel ? Guy Carcassonne avait fort bien démontré que la forte rationalisation du régime parlementaire, associée au scrutin majoritaire, si elle garantissait bien l'existence d'une majorité, aboutissait par ailleurs à l'asservissement du Parlement.

Calquer l'organisation des commissions parlementaires sur celle des ministères, comme cela s'est notamment fait sous la Quatrième République ou comme c'est le cas en Angleterre, afin de mieux contrôler ces derniers, serait en effet une très bonne chose.

Je vous suis en revanche beaucoup moins lorsque vous affirmez que le Gouvernement n'est pas obligé de tenir compte de l'opinion du Parlement sur les questions relatives à l'Union européenne. Il me semble que l'opinion des représentants du peuple est d'autant plus essentielle en la matière que l'on peut difficilement de nos jours concevoir le droit communautaire comme un droit international.

J'ai enfin un désaccord majeur avec vous sur la question de la séparation des pouvoirs, et ce pour deux raisons. Je conteste d'abord le fait qu'il n'y a plus de séparation des pouvoirs. Votre constat s'appuie en effet sur une lecture très française de Montesquieu, qui consiste à assimiler séparation et isolement des pouvoirs. Or, comme l'a d'ailleurs rappelé le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence, Montesquieu n'a jamais parlé d'isolement des pouvoirs ; il souligne au contraire que les pouvoirs doivent « aller de concert », tout l'objet de sa philosophie étant de préserver la liberté, ce qui implique que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Cela m'amène à mon second point de désaccord. Il me semble dangereux en effet de prétendre qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs et qu'au fond nous n'en avons pas besoin. Le droit comparé nous enseigne que les régimes dans lesquels il y a confusion des pouvoirs sont des régimes non démocratiques, et toute la question est donc de savoir s'il existe des mécanismes permettant à un pouvoir d'empêcher les abus d'un autre pouvoir. C'est le cas jusqu'à un certain point, puisque, dans notre régime, la confusion – ou la trop grande concentration – des pouvoirs entre les mains du Président de la République reste problématique. Il faut donc des mécanismes susceptibles de remédier à cette situation, et je rejoins Denis Baranger sur la question du droit de dissolution.

Le Président de la République a entre les mains une arme essentielle avec la nomination du Premier ministre, qu'il s'efforce généralement de choisir parmi les plus falots, aussi inodore et incolore que possible. L'actuel Premier ministre semble faire quelque peu exception à cette règle, mais c'est une tradition qui remonte précisément à la crise du 16 mai 1877, lorsque Jules Grévy refusa de désigner Gambetta, faisant le choix d'un Premier ministre qui, à la différence du Premier ministre anglais, n'asseyait pas son pouvoir sur la légitimité populaire.

Tant que, par ailleurs, le Président de la République aura le pouvoir de « tuer » – le Gouvernement, qu'il peut révoquer, ou l'Assemblée, qu'il peut dissoudre –, les recettes que vous proposez me semblent excessivement légères. Je rappelle d'ailleurs que le pouvoir de dissolution appartient partout ailleurs au Premier ministre, sauf au Portugal, mais le scrutin est proportionnel, ce qui change tout.

Vos propositions vont dans le sens d'un retour au régime parlementaire à l'anglaise ou à l'allemande. Certes, mais dans ces pays le Gouvernement incarne un pouvoir doté de la légitimité populaire et contrôlé par le Parlement. En France, seul le Président de la République peut se prévaloir de la légitimité populaire, or il n'est pas contrôlable. Dans ces conditions, tant que nous ne reviendrons pas sur le droit de dissolution, nous aurons le plus grand mal à rééquilibrer les pouvoirs, et les mesures que vous proposez peineront à produire tous leurs effets.

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