Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 22 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Cette intervention me fait vivement réagir. La femme politique que je suis est totalement convaincue de la nécessité de travailler sur la notion de représentation si l'on ne veut pas affaiblir la démocratie. Celle-ci, en effet, n'est possible que si la délégation semble sincère. Mais le risque que nous encourons aujourd'hui est le retour à une forme de monarchie, fût-elle républicaine.

On l'a souvent dit à propos du Président de la République, de sa manière d'intervenir, de la façon dont on ramène tout à lui et dont c'est de lui que l'on attend l'ultime décision. Mais on peut citer d'autres exemples. Qu'est-ce qu'un aristocrate, sinon quelqu'un qui hérite sa fonction de son père ? Les choses étant bien faites, quand on est né dans la famille idoine et que l'on a fait les études qu'il faut, on possède précisément les compétences nécessaires pour exercer les responsabilités prévues.

On le voit bien au Conseil d'État, l'un des rares héritages encore puissants de la monarchie puisqu'il descend du Conseil du roi et continue de se concevoir comme tel. Je le dis d'autant plus spontanément que j'ai découvert en Candide ce monde auquel je n'avais pas été initiée par mon origine sociale, même si je ne viens pas d'un milieu défavorisé – encore que, dans le contexte sociologique de l'Assemblée nationale, cela puisse se discuter !

Ne connaissant pas les institutions de l'intérieur, j'ai donc découvert que, lorsque l'on compose un cabinet ministériel, il faut y inclure un membre du Conseil d'État – et non pas celui de son choix, mais celui qui a été désigné par le Conseil d'État, lequel n'a d'ailleurs rien contre en suggérer un deuxième le cas échéant. C'est la réalité ! Et il en va de même avec l'Inspection des finances. Le fait est d'autant plus intéressant que l'ENA devait être, selon le général de Gaulle, une institution temporaire.

Je ne suis pas anti-élites, car on trouve parmi les hauts fonctionnaires de notre pays les cerveaux les plus brillants et des personnes extrêmement efficaces. Le problème est que se développe aujourd'hui une forme d'entre-soi dont les intéressés n'ont parfois même pas conscience. J'ai ainsi entendu certains se plaindre des députés, pénibles avec leurs amendements qui ne servent à rien ! Ce phénomène d'entre-soi, que l'on retrouve dans certains grands partis, affaiblit la démocratie car il fragilise l'accès de tous aux responsabilités.

Quant aux questions de représentation et de couleur de peau, monsieur Slama, ma famille est française depuis le quinzième siècle, mais il se trouve que, née en 1975, j'ai grandi au temps du regroupement familial, dans une cité où j'étais la seule Blanche au cours préparatoire, parmi des enfants nés pour la plupart en Afrique du Nord. Qu'est-ce que cela peut impliquer de ne jamais voir, dans les débats télévisés, un intervenant dont le prénom ou l'apparence vous évoque un tant soit peu votre propre identité ? Pourquoi observe-t-on le repli sur la religion auquel vous faites allusion ? Pourquoi, parmi des femmes nées dans les mêmes maternités, ayant fréquenté les mêmes écoles, certaines décident tout à coup, à trente-cinq ans, de porter le voile ? C'est à notre société républicaine, dont tous les enfants ont été élevés dans les mêmes institutions, que cette question est posée.

La discrimination est une réalité, il est très facile de le vérifier. Il suffit de changer la photo jointe à un curriculum vitae, sans même modifier le nom ni le prénom, pour faire varier le taux de réponse à une candidature. Il suffit de se rendre à la station Châtelet-Les Halles pour constater ce qui se passe – et qui est à vrai dire incroyable – lors d'un contrôle d'identité. Tout cela nourrit un sentiment de véritable dépossession.

Or, parmi les élites administratives ou politiques, d'aucuns n'ont même pas conscience de ces réalités. Il m'est arrivé de m'emporter en entendant dire que vingt euros par mois n'étaient pas grand-chose, dans des milieux où l'on dépense facilement cette somme dans la journée, alors que, dans notre pays, certains sont à deux euros près pour se nourrir quotidiennement et que la situation des plus pauvres s'aggrave. On peut connaître les codes, vestimentaires et autres, sans ignorer cet état de fait pour autant. Mais voyez Valérie Pécresse et son « immersion » dans le métro ! Je pourrais en dire autant de Jean-Paul Huchon qui évoquait comme une « aventure » le jour où il avait pris un train de banlieue à l'aube, ce que font quotidiennement bien des gens qui travaillent… Bref, il y a dans notre pays des personnes qui décident de l'organisation des transports en commun depuis Paris, sans jamais avoir posé leurs fesses ailleurs que dans une voiture de fonction, ou éventuellement dans un taxi !

Voilà pourquoi j'ai parlé d'aristocratie. Et le phénomène s'aggrave car les couches de la société s'interpénètrent de moins en moins. Cela vaut aussi entre parlementaires : siéger au côté de quelqu'un qui n'a pas la même couleur de peau que vous, ce n'est pas indifférent, monsieur Slama. C'est en refusant d'affronter cette réalité que l'on assigne les gens à un statut, celui de discriminé. C'est d'ailleurs le sens de la notion de négritude que de transformer cette discrimination en fierté. Cela n'en signe pas moins notre échec à créer de vrais citoyens, non des citoyens ethniques mais – c'est toute la force de la République française – des citoyens d'adhésion, attachés à un projet collectif. Or, aujourd'hui, cette République n'est pas sincère envers tous ses enfants.

2 commentaires :

Le 08/03/2017 à 17:40, Laïc1 a dit :

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"La femme politique que je suis est totalement convaincue de la nécessité de travailler sur la notion de représentation si l'on ne veut pas affaiblir la démocratie."

C'est l'affaiblir, voire l'éliminer définitivement que de faire le jeu des communautarismes en politique.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 08/03/2017 à 17:41, Laïc1 a dit :

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"même si je ne viens pas d'un milieu défavorisé – encore que, dans le contexte sociologique de l'Assemblée nationale, cela puisse se discuter !"

On trouve toujours plus riche que soi...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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