Intervention de Claude Bartolone

Réunion du 22 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Bartolone, président :

Nous avons un système particulier de production des responsables politiques, et j'imagine les débats à l'intérieur des couples de militants pour savoir qui, le soir, se rend à sa réunion publique ou de section ou qui, le week-end, assiste à sa convention ou à son stage de formation. Lorsque j'étais ministre, la Suède a assuré la présidence de l'Union européenne et lorsque j'ai fait part à mon homologue suédoise de ma disponibilité pour organiser une réunion un samedi, j'ai compris très vite que je proférais presque une grossièreté, tant c'était inenvisageable de son point de vue.

Quel est le calendrier électoral permettant aux citoyens d'effectuer un choix idéologique ? Même si l'on dit que la société française s'est apaisée et que les oppositions entre les programmes sont moins tranchées qu'à l'époque où existait encore le mur de Berlin, des différences subsistent et on les découvre généralement après l'élection. Dans l'actuel débat sur la réforme des collèges s'opposent des conceptions éminemment politiques ; or cette question était absente de la campagne des dernières élections législatives parce que celles-ci ont eu lieu juste après l'élection présidentielle. Il faut créer les conditions qui permettent à nos compatriotes d'arbitrer en toute connaissance de cause entre des systèmes organisationnels et des réponses à la mondialisation distincts. L'un des moyens d'y parvenir consisterait à laisser du temps entre l'élection présidentielle et les élections législatives. Tant que la première phagocytera les secondes, les citoyens seront amenés à se prononcer davantage sur des thèmes mis en avant par les médias que sur les sujets intéressant les fondements de notre société. Quel est le temps politique permettant le développement d'un véritable débat ? Notre groupe de travail devra revenir sur cette interrogation.

L'égalité entre les hommes et les femmes est indispensable. On a vu l'apport de l'augmentation du nombre de femmes dans les assemblées. Il n'y a pas de manière de penser féminine ou masculine, mais il existe une complémentarité dans la réflexion, comme on le constate notamment dans les travaux des commissions. Devons-nous conserver le scrutin uninominal à deux tours ou instaurer la proportionnelle ? Il convient d'envoyer un signe à d'autres segments de la population qui voudraient être pris en considération.

Il est difficile de trouver le bon système permettant d'intégrer davantage les femmes, les jeunes et d'autres qui ne se sentent pas suffisamment représentés. La prise de conscience politique s'avère indispensable, mais je n'ai pas encore trouvé la réponse institutionnelle parfaite. Nos compatriotes ultramarins qui résident en métropole ont l'impression d'être discriminés, alors qu'ils sont français depuis plus longtemps que mes aïeux ne pouvaient même l'imaginer ! Que fait-on ? Faut-il mettre en place un quota ultramarin ? Renvoyer ces personnes à la couleur de leur peau ? Ces sujets sont délicats. Un enfant issu de l'immigration par sa mère, mais dont le père est breton, doit-il entrer dans un quota ou faire l'objet d'une mesure de discrimination positive ? Aux États-Unis, la politique d'aide aux personnes peu représentées s'est fondée sur la couleur de la peau, mais la prise en compte de la population hispanique résulte du poids politique acquis par cette communauté.

Lorsque le gouvernement de Lionel Jospin a créé les emplois jeunes, il a fallu que le ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement, exprime le souhait que la police soit à l'image de la population pour que des profils différents aient accès à ces emplois. La composition des conseils municipaux – de droite comme de gauche – d'un certain nombre de départements urbains laisse apparaître de nouveaux visages grâce, notamment, à une prise de conscience politique.

Vous avez évoqué la femme de ménage candidate dans l'Aisne, et je me souviens des enseignants barbus arrivant en nombre à l'Assemblée nationale en 1981. Ces nouveaux parlementaires ont rapidement démontré qu'ils ne s'intéressaient pas qu'aux questions relevant de l'Éducation nationale et ont investi celles relatives aux nationalisations, à la décentralisation ou à l'abolition de la peine de mort. Une catégorie de la population a ainsi eu l'occasion d'entrer au Parlement et y a exercé l'ensemble des compétences législatives.

Une partie de la haute fonction publique considère les députés comme des gêneurs. Le système de reproduction des élites donne un immense pouvoir à l'ENA, et les élèves de cette école disposant d'un savoir important ne comprennent pas qu'ils puissent être ralentis dans leur marche par des élus étrangers à ce milieu. Quelques mois après mon accession à la présidence du conseil général de Seine-Saint-Denis, en 2008, je me suis rendu compte de l'existence des emprunts toxiques et de leurs conséquences. J'avais beau être député et avoir été ministre, je me suis fait renvoyer dans les cordes par Bercy, où l'on considérait qu'un tel sujet ne concernait que les banquiers, les maîtres de la finance et les techniciens du ministère. Il nous a fallu trois ans pour que l'on nous entende, alors que certains hôpitaux et collectivités ont encore à gérer ce dossier. Voilà pourquoi je suis réservé sur la limitation des mandats dans le temps. Je suis tout à fait opposé au cumul des mandats, mais l'expérience acquise par les parlementaires – la durée moyenne de leur présence à l'Assemblée nationale atteignant sept ans et demi – permet de résister au poids de certaines administrations centrales. Je n'ai rien contre ces dernières, mais elles sont le lieu de la reproduction, et leurs agents bénéficient d'une longévité qui contraste avec la durée des mandats. Dans ma formation politique, une telle position est considérée comme conservatrice, mais il faut prendre en compte l'ensemble de ces paramètres.

Enfin, nous devons poser la question de l'opportunité du maintien du bicaméralisme et des fonctions exercées par chacune des deux assemblées. Je vous ai entendus vous exprimer sur ce sujet, notamment Michel Winock, et nous devons approfondir cette réflexion afin de concilier l'exigence de qualité de la loi avec les préoccupations d'un chef de l'État élu pour cinq ans. Ce ne sera pas facile, mais nous ne pouvons pas éluder ce thème si nous souhaitons améliorer le lien entre les élus et les citoyens.

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