Adopté par le Sénat le 7 mai dernier, le projet de loi vise à proroger au-delà du 1er juillet 2015 le dispositif de l'octroi de mer, tout en le réformant pour tenir compte de nos obligations communautaires.
Quelques rappels me paraissent essentiels sur l'histoire et les principales caractéristiques de cette taxe, d'autant que la précédente réforme, en 2004, avait été examinée par la commission des Lois.
Taxe très ancienne, apparue en 1670 à la Martinique sous la forme d'un « droit des poids », et progressivement étendue, au XIXe siècle, aux autres départements d'outre-mer, l'octroi de mer est à l'origine une forme de droit de douane. En effet, il ne frappait que les importations, en proportion de leur valeur. Cet impôt indirect est ensuite devenu un élément de fiscalité locale lorsque, dans le cadre de l'acte I de la décentralisation, la loi du 2 août 1984 a confié aux conseils régionaux d'outre-mer la charge de fixer le taux de l'octroi de mer ainsi que d'un droit additionnel à l'octroi de mer, ou octroi de mer régional, ayant les mêmes caractéristiques et s'y ajoutant.
L'octroi de mer est aujourd'hui une ressource fiscale essentielle pour les régions d'outre-mer de Guadeloupe et de La Réunion, comme pour les collectivités uniques qui exercent les compétences de ces régions en Martinique, en Guyane et à Mayotte. Son produit s'est ainsi élevé, l'an dernier, à près de 1,15 milliard d'euros. Il se maintient en règle générale autour de 1 milliard mais il est évidemment très sensible à la récession des échanges commerciaux, comme ce fut le cas après la crise de 2008 – s'il était encore de 1,02 milliard en 2008, il plongea à 893 millions en 2009 et 956 millions en 2010 pour repasser la barre du milliard en 2011.
L'octroi de mer représente entre 30 % – à La Réunion – et 50 % – en Guyane – des recettes des régions, mais aussi des communes. En effet, le taux est fixé au niveau régional mais la plus grande partie du produit de l'octroi – plus de 70 % en moyenne – est ensuite reversée aux communes, selon une répartition prévue en loi de finances dans le cadre de la dotation globale garantie.
Si l'octroi de mer est un outil important outre-mer, ce n'est pas seulement en raison des ressources financières qu'il apporte aux collectivités. C'est aussi parce qu'il permet de protéger les productions locales dans ces économies rendues fragiles par la taille limitée des marchés, les contraintes géographiques, la concurrence et la moindre richesse de la population ; en 2012, le revenu annuel par habitant était, à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, égal environ aux deux tiers de celui de la métropole, et à la moitié seulement en Guyane.
L'octroi de mer joue un rôle protecteur car il permet aux collectivités de taxer à des taux plus élevés les importations – notion qui s'applique également aux biens provenant d'une autre collectivité française. Les livraisons de biens fabriqués localement sont également soumises à l'octroi de mer depuis 1992. Selon les produits, l'écart de taux, qui est encadré par la loi, peut atteindre jusqu'à 35 % de la valeur en douane ou du prix hors taxe des produits. Enfin, les plus petites entreprises locales sont exonérées de l'octroi de mer – nous y reviendrons.
Chacun l'aura compris, outil fiscal et économique, l'octroi de mer est essentiel pour l'outre-mer. À cause de son impact sur les relations commerciales entre les territoires, il doit toutefois se conformer à des règles communautaires contraignantes, en vertu desquelles son régime a déjà été adapté à plusieurs reprises. Les droits de douane sont en principe prohibés par le droit communautaire mais ils ont été, dans le cas d'espèce, validés par l'Union européenne compte tenu de la spécificité des territoires ultramarins français. L'article 110 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit en principe aux États membres de soumettre les produits communautaires à des « impositions intérieures [...] supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement, les produits nationaux similaires » : c'est le principe de non-discrimination. Cette règle justifie le caractère transitoire de l'octroi de mer, ainsi que les prorogations et adaptations dont il a fait l'objet. C'est pour tenir compte des exigences communautaires et, plus particulièrement, d'une première décision du Conseil des Communautés européennes rendue le 22 décembre 1989 que, depuis la loi du 17 juillet 1992, l'octroi de mer a été étendu aux productions locales, moyennant la possibilité d'en moduler les taux et d'en exonérer les plus petites entreprises ultramarines.
La loi du 2 juillet 2004 fixe le régime actuel de l'octroi de mer. Elle fait suite à une décision rendue par le Conseil le 10 février 2004, laquelle a prorogé le régime transitoire de l'octroi de mer jusqu'au 1er juillet 2014 – date qui a été repoussée, le 17 décembre dernier à la demande de la France, jusqu'au 30 juin 2015.
L'expiration prochaine de ce délai nous impose d'agir sans tarder – d'où l'urgence de ce texte et le recours à la procédure accélérée. Ce délai a été accordé à la France pour procéder aux nouveaux ajustements exigés par le Conseil, en contrepartie de la prorogation de l'octroi de mer jusqu'en 2020.
Le projet de loi, dont l'application est prévue dès le 1er juillet 2015, a pour but premier de préserver l'octroi de mer, tout en l'adaptant aux normes européennes. Il le conforte et le consolide, au moins jusqu'en 2020, car les économies et les collectivités ultramarines ont besoin de cet outil, considéré comme stratégique par la quasi-totalité des élus de l'outre-mer.
Outre cet impératif de calendrier, quelles sont les exigences qui nous conduisent à modifier la loi du 2 juillet 2004 ?
Il s'agit, en premier lieu, de ne plus assujettir à l'octroi de mer les entreprises locales dont le chiffre d'affaires est inférieur à 300 000 euros par an, ainsi que le prévoit l'article 2 du projet de loi. Cette mesure permettra de décharger plus de 3 500 petites entreprises de leurs actuelles obligations déclaratives et comptables en matière d'octroi de mer – obligations qui n'étaient toutefois guère respectées s'agissant d'un impôt qu'elles n'avaient pas à acquitter. Cette simplification administrative pourrait, en libérant du temps de travail pour les entreprises comme l'administration des douanes, leur faire économiser dès la première année près d'un million d'euros au total.
En revanche, les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros, qui étaient certes antérieurement assujetties à l'octroi de mer mais dont les livraisons de biens en étaient exonérées, seront désormais redevables de l'octroi de mer. Cela ne devrait concerner qu'un peu plus de 650 entreprises. En contrepartie de cette extension du champ d'application effectif de l'octroi de mer, l'article 17 du projet de loi permettra aux entreprises redevables de déduire, à l'instar du mécanisme existant pour la TVA, du montant de l'octroi qu'elles doivent payer la somme qu'elles ont elles-mêmes versée au titre de l'octroi sur leurs propres achats de biens d'investissement. Cela pourra jouer, par exemple, pour acquérir une machine servant à fabriquer les biens qu'elles vendent.
Par ailleurs, les articles 7 et 9 du projet de loi prévoient que les conseils régionaux ou les assemblées uniques qui en tiennent lieu pourront exonérer d'octroi de mer : les biens à consommer sur place dans les avions et les bateaux ; les carburants destinés à être utilisés dans l'agriculture, la sylviculture et la pêche ; ou encore les biens destinés à une personne exerçant une activité économique de manière indépendante, à des établissements sanitaires, scientifiques, de recherche ou d'enseignement, ainsi qu'à des organismes exerçant, sans but lucratif, certaines activités d'intérêt général.
En outre, l'article 20 du projet de loi plafonne à 80 % de la valeur en douane ou du prix hors taxe le taux maximal de l'octroi de mer pour les alcools et les produits du tabac, et à 50 % le taux maximal applicable à tout autre produit soumis à l'octroi de mer. Il majore cependant de moitié ces plafonds dans le cas particulier de Mayotte, afin de tenir compte des taux plus élevés qui y sont actuellement pratiqués et de la grande fragilité de l'économie insulaire. En fixant ces plafonds et en encadrant ainsi les taux, la loi ne fait qu'assumer le rôle que lui confie l'article 72-2 de la Constitution en matière de fiscalité locale.
Dans le prolongement de la décision du Conseil du 17 décembre 2014, l'article 24 du projet de loi précise que les différences de taux appliquées à un même produit, selon qu'il est importé ou fabriqué localement, ne devront pas dépasser le niveau « strictement nécessaire » au maintien et au développement des activités sur le territoire de la collectivité concernée, compte tenu des handicaps subis par les productions locales. Cette disposition, sans grande portée pratique, est tout de même importante au regard du principe de non-discrimination. Elle devrait guider les assemblées délibérantes dans leurs choix de taux pour les différents produits, en tenant compte des difficultés locales.
Enfin, de nombreux articles du projet de loi procèdent à des coordinations et mises à jour de la rédaction de la loi du 2 juillet 2004, notamment pour tenir compte des changements de références requis pour les textes communautaires et de l'évolution de la dénomination des collectivités en Guyane, à la Martinique et à Mayotte.
En première lecture, le Sénat a, à bon escient, procédé à des ajustements techniques. En adoptant le texte de manière consensuelle le 7 mai dernier, il a fait la preuve qu'il en a compris et partagé l'équilibre général. La plupart des modifications apportées au texte par sa commission des Finances sont destinées à clarifier ou préciser certaines rédactions, en veillant à préserver la cohérence juridique de la loi du 2 juillet 2004.
Parmi les quelques changements moins formels méritant d'être mentionnés, je peux citer l'élargissement des possibilités d'exonération d'octroi pour certains produits : d'abord tous ceux qui sont destinés à des centres de santé ainsi qu'à des établissements ou services sociaux ou médico-sociaux – on sait que la population de ces collectivités ultramarines est davantage confrontée que celle de métropole à la pauvreté ; sont aussi visés les biens destinés aux personnes morales, et non plus aux seuls établissements, qui exercent des activités de recherche ou d'enseignement ; enfin, pourront être exonérés d'octroi de mer les carburants destinés à un usage professionnel et non plus seulement ceux qui sont utilisés pour les activités agricoles, sylvicoles ou piscicoles.
L'article 20 du projet de loi relève de 10 points le taux maximal que les collectivités pourront fixer pour l'octroi de mer. Il ne s'agit ici que de préserver un peu plus la liberté des assemblées territoriales, en tenant compte des taux déjà pratiqués, notamment à Mayotte, pour laquelle le plafond proposé par le Gouvernement était un peu inférieur au taux déjà applicable à certains produits.
L'article 6 du projet de loi prévoit de soumettre au régime de droit commun de l'octroi de mer l'échange, entre la Guyane et les Antilles, de certains produits limitativement énumérés – essentiellement des alcools, des peintures et vernis, le papier hygiénique et certaines barres métalliques. Cette nouvelle règle, acceptée par les élus locaux, aura pour effet de taxer les biens dans la collectivité de destination et non dans celle de départ comme cela est prévu pour les autres produits pour ces échanges. Elle est plus favorable à la Guyane, dont les finances et la balance commerciale sont trop désavantagées par les règles actuelles. Dans le même esprit, une commission composée d'élus locaux de Guadeloupe, Martinique et Guyane devra suivre et analyser l'évolution des échanges de biens entre ces collectivités pour, si nécessaire, proposer des adaptations des modalités de taxation de certains produits.
Enfin, le Sénat a souhaité, à l'article 36 bis, que le Parlement soit destinataire du rapport d'évaluation que le Gouvernement devra transmettre à la Commission européenne avant la fin de l'année 2017, pour dresser un bilan à mi-parcours des effets économiques du nouveau régime d'octroi de mer. Cette disposition – chacun en conviendra – relève du bon sens, et le Gouvernement l'a aisément admis.
Pour résumer le projet de loi que je rapporte devant vous, j'insisterai sur deux points : en premier lieu, sur le fond, l'octroi de mer est à la fois un mécanisme de soutien économique aux productions locales de régions ultramarines et une source de financement essentielle pour les collectivités locales concernées ; en second lieu, sur la forme, ce dispositif est le fruit de longues négociations successives avec les autorités européennes. Si ce projet de loi est d'abord motivé par la nécessité d'intégrer les modifications demandées par l'Union européenne, il a aussi fait l'objet de discussions avec les élus et territoires ultramarins et entre eux.
Ce texte doit être adopté impérativement, ainsi que ses décrets d'application, avant fin juin 2015 : telle est l'échéance fixée par la décision du Conseil de l'Union européenne. À défaut – chacun le comprend aisément –, la sécurité juridique du régime de l'octroi de mer serait mise en péril et les ressources des collectivités perceptrices menacées.
Sans doute aurait-il été possible d'apporter quelques modifications rédactionnelles ou précisions sur ce texte. Mais elles m'ont paru d'incidence limitée, si ce n'est d'esthétique textuelle. Dès lors, prenant acte de l'absence d'amendement et du vote consensuel du Sénat ainsi que des améliorations réelles qui ont été apportées, je suggère à notre commission des Finances, en responsabilité, d'adopter les articles de ce projet de loi dans la rédaction proposée par le Sénat ou, pour ceux qui n'ont pas été modifiés, dans leur rédaction initiale.