Nous sommes réunis pour examiner le projet de loi d'actualisation de la loi de programmation militaire – LPM – du 18 décembre 2013. La LPM prévoit en effet, dans son article 6, deux rendez-vous d'actualisation afin de vérifier avec la représentation nationale la bonne adéquation entre les objectifs fixés et les moyens effectivement mis en oeuvre. Le premier de ces rendez-vous, prévu en 2015, correspond à l'objet du présent projet de loi, tandis que la seconde actualisation aura lieu en 2017.
Comme chacun ici en est conscient, depuis le vote de la loi en décembre 2013, le contexte sécuritaire s'est dégradé, tant sur le plan international que sur le plan national. Nos forces armées doivent aujourd'hui faire face à des engagements multiples, au Mali, en Centrafrique, en Irak, mais aussi sur le territoire national puisque, à la suite des dramatiques attentats qui ont touché notre territoire le 7 janvier 2015, le Gouvernement a décidé le renforcement du plan Vigipirate et le déploiement permanent de 7 000 hommes sur le territoire national dans le cadre de l'opération Sentinelle.
Par ailleurs, le retour d'une politique de puissance de la Russie, comme le démontrent la guerre en Ukraine et le triplement, en l'espace de quelques années seulement, du budget militaire russe, ainsi que l'aggravation des cybermenaces ou encore les exigences accrues en matière de surveillance de notre espace maritime ont rendu nécessaire un renforcement de notre outil de défense. En matière de défense, l'anticipation est une vertu essentielle.
Or, l'inquiétude légitime des militaires, dont les missions se sont multipliées alors même que leurs crédits apparaissaient parfois fragilisés, notamment par un recours excessif à des ressources exceptionnelles et non budgétaires, appelait une réponse forte au plus haut niveau de l'État.
C'est justement cette réponse que le chef de l'État, chef des armées, a apportée, à l'issue du Conseil de défense du 29 avril 2015, en rappelant que « la sécurité, la protection et l'indépendance sont des principes qui ne se négocient pas » donnant ainsi au ministère de la Défense les garanties qu'il attendait sur le volume et la qualité des crédits qui lui échoient. En particulier, la priorité affichée du présent projet de loi d'actualisation est de renforcer le principe de protection du territoire, qui constitue, aux côtés de la dissuasion et de l'intervention, l'axe stratégique majeur qui a guidé l'élaboration du nouveau contrat dévolu aux forces armées par la présente loi d'actualisation.
On assiste au développement de véritables opérations intérieures, qui viennent s'ajouter aux opérations extérieures – OPEX – pour constituer une double défense du centre et de la périphérie, ou de l'avant et de l'arrière selon la terminologie employée dans la LPM. Pour ce faire, il est nécessaire de pouvoir compter sur un format de forces élargi, car pour positionner un homme sur le terrain, il faut trois hommes supplémentaires. Cet élargissement du format des forces terrestres est donc nécessaire pour ne pas courir le risque d'une asphyxie de notre modèle d'armée, ainsi qu'ont pu le vivre les Britanniques à la suite de leur déploiement massif en Irak.
C'est donc pour moi un plaisir que de rapporter aujourd'hui devant vous ce projet de loi qui apporte un double renforcement, qualitatif mais aussi quantitatif, des crédits du ministère de la Défense.
Cet effort financier est d'une ampleur que nous n'imaginions pas il y a quelques mois encore malgré les demandes pressantes de nos armées, malgré la vigilance du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et malgré les interrogations formulées par les députés de tous bords sur le sort réservé aux sociétés de projet comme sur le devenir des ressources exceptionnelles.
Précisons d'emblée que la commission des Finances s'est saisie des quatre articles qui composent le chapitre Ier, dont le rapport annexé à l'article premier. Ces articles concernent, en effet, la programmation financière ainsi que la trajectoire des ressources humaines, tandis que les autres chapitres relèvent principalement du champ de compétences de la commission des Lois et de la commission de la Défense, notamment quant à la réforme du statut des militaires à la suite des récentes décisions de la Cour européenne des droits de l'homme en la matière.
Ce projet de loi d'actualisation comporte, sur le plan de la programmation financière et de l'évolution des effectifs, trois décisions d'importance majeure
En premier lieu, la part des recettes exceptionnelles dans les crédits du ministère de la Défense, pour la période 2015-2019, est drastiquement réduite en faveur de crédits budgétaires. Ce sont ainsi près de 5,2 milliards d'euros de recettes exceptionnelles qui seront remplacés par des crédits budgétaires, plus fiables quant à leur montant et quant à leur calendrier de perception.
En second lieu, le présent projet de loi prévoit de renforcer substantiellement les crédits qui bénéficieront au ministère de la Défense sur les quatre années qui sont celles de la programmation actualisée de 2016 à 2019. Ce sont ainsi 3,8 milliards de crédits supplémentaires qui seront répartis sur ces quatre années et qui viendront s'ajouter aux 5,2 milliards d'euros prévus en remplacement des ressources exceptionnelles. Au total, par cette actualisation, près de 9 milliards d'euros supplémentaires bénéficieront au ministère de la Défense, pour partie en remplacement des ressources exceptionnelles, à hauteur de 5,2 milliards d'euros, et pour partie en ouvertures nettes pour le ministère de la Défense, à hauteur de 3,8 milliards d'euros.
Enfin, 18 500 postes seront préservés sur les 34 000 suppressions initialement prévues dans la LPM, ce qui permettra une redéfinition du contrat opérationnel des forces terrestres. Le nouveau contrat portera de 66 000 à 77 000 le réservoir d'hommes disponibles pour la force opérationnelle terrestre, soit 11 000 personnels supplémentaires.
Cette moindre déflation des effectifs mobilisera 2,8 milliards d'euros sur les 3,8 milliards d'euros supplémentaires accordés à la défense, soit la plus grande partie de ces crédits, tandis que le milliard d'euros restant sera affecté à l'entretien programmé des matériels – EPM – ainsi qu'aux programmes d'équipement majeurs, chacun à hauteur de 500 millions d'euros. L'équipement des forces bénéficiera également du redéploiement, en interne, d'un milliard d'euros, rendu possible par la baisse du coût des facteurs, en particulier par la baisse du coût du carburant, mais aussi par l'évolution favorable du cours de la monnaie et des marchés de fournitures.
Certains d'entre vous paraissent dubitatifs. Je précise que le ministère des Finances récupère d'habitude les économies réalisées au titre de la baisse du coût des facteurs, tandis qu'elles resteront affectées, en ce cas, au ministère de la Défense. Ceci représente déjà une avancée.
Je rappelle néanmoins que la LPM n'a qu'une valeur programmatique, les décisions normatives dans le domaine budgétaire relevant exclusivement des lois de finances, et que ces dispositions devront donc être traduites concrètement au moment des discussions budgétaires à venir.
Si cet effet de trésorerie peut être atténué par la levée de tout ou partie de la réserve de précaution ou par l'adoption d'un décret d'avance, il me semblerait souhaitable et plus sûr qu'une loi de finances rectificative intervienne rapidement.
Après cette présentation d'ensemble, je souhaite évoquer quelques points techniques et quelques points de vigilance.
Ce projet de loi permet un double renforcement, à la fois qualitatif et quantitatif, des crédits de la défense.
Pour bien comprendre de quoi il s'agit, il convient de rappeler qu'avant les annonces du président de la République le 29 avril dernier, la défense devait percevoir, sur l'ensemble de la période de programmation comprise entre 2014 et 2019, près de 8,45 milliards d'euros de recettes exceptionnelles.
En effet, si la LPM initiale ne prévoyait que 6,1 milliards d'euros de recettes exceptionnelles, cette somme a été augmentée au cours des deux dernières années, en même temps que l'inquiétude qu'elle provoquait puisque nous savons tous que les recettes exceptionnelles sont instables tant dans leur montant exact que dans leur calendrier de perception.
Toutefois, sur ces 8,45 milliards d'euros, il est nécessaire de distinguer entre les ressources exceptionnelles qui ont été ou qui seront perçues de manière certaine et les autres ressources plus incertaines. Ainsi, les ressources certaines représentent environ 3,2 milliards d'euros provenant du programme d'investissements d'avenir – PIA –, à hauteur de 2 milliards d'euros, des redevances immobilières à hauteur de 630 millions d'euros, des loyers perçus pour les fréquences déjà cédées par le ministère de la Défense, à hauteur de 200 millions d'euros, et des ventes de matériels militaires, à hauteur de 200 millions d'euros.
Sur ces recettes exceptionnelles qualifiées de certaines, 930 millions d'euros restent encore à percevoir d'ici la fin de la programmation, principalement celles liées aux cessions immobilières. Le montant des recettes exceptionnelles restant à trouver avant les annonces du président de la République était donc de 5,2 milliards d'euros. Sur cette somme, vous noterez que la vente des fréquences n'aurait représenté, selon les meilleures estimations, qu'un montant compris entre 2 et 2,5 milliards d'euros.
Par conséquent, même en cas de vente effective des fréquences – dont le rapport Charpin avait déjà constaté qu'elle ne pourrait avoir lieu en 2015 –, il restait encore environ 3 milliards d'euros à trouver, sans que l'on sache exactement quelle aurait pu être la provenance de ces ressources ; probablement de la vente de participations de l'État, mais avec le risque de fragiliser la politique industrielle de l'État, tout en restreignant ses revenus par la perte de dividendes que cela aurait entraîné.
Depuis l'engagement solennel du Président de la République et du Gouvernement le mois dernier, ces questions appartiennent, pour ainsi dire, au passé.
En effet, ce sont l'ensemble des 5 milliards d'euros de recettes exceptionnelles, c'est--à-dire à la fois les 2 ou 2,5 milliards d'euros qui devaient provenir de la vente des fréquences ainsi que les 3 milliards d'euros qui restaient à trouver, qui seront remplacés par des crédits budgétaires.
C'est donc un effort conséquent en faveur de notre défense, auquel viennent encore s'ajouter 3,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires. Ce sont sur ces crédits que les médias ont attiré l'attention. Ils seront ventilés sur les années 2016 à 2019 et serviront à financer les dépenses de personnel liées à la moindre déflation des effectifs à hauteur de 2,8 milliards d'euros, soit 2,4 milliards d'euros pour le maintien de ces personnels et 400 millions d'euros pour les dépenses de fonctionnement associées à leur emploi. Ils serviront aussi à financer les crédits d'équipement à hauteur de 1 milliard d'euros, à raison de 500 millions d'euros pour l'entretien programmé des matériels et de 500 millions d'euros pour les programmes à effet majeur.
Enfin, concernant la diminution des effectifs de la mission Défense, celle-ci prévoyait initialement 33 675 suppressions de poste. Elle a été atténuée de 18 750 équivalents temps plein et s'établira donc à 14 925 suppressions, hors effectifs de volontaires liés à l'expérimentation du service militaire volontaire – SMV.
Il faut toutefois bien comprendre que ce ne sont pas forcément tous les postes dont la suppression était programmée qui seront sauvegardés : en effet, il faut aussi ouvrir de nouveaux postes pour renforcer les missions prioritaires que sont la cyberdéfense, le renseignement et la sécurité des sites. Il y a donc deux mouvements, l'un de suppression et l'autre de recrutement, qui ne se recoupent pas entièrement. La politique de dépyramidage mise en place par le ministère de la Défense est notamment poursuivie telle que prévue initialement.
C'est bien l'armée de terre, celle qui a le plus souffert des suppressions intervenues depuis une dizaine d'années, qui bénéficiera également le plus de cette moindre déflation des effectifs. Le contrat opérationnel des forces terrestres est en effet redimensionné afin que leur capacité opérationnelle soit de 77 000 hommes équipés et mobilisables sur le terrain, contre seulement 66 000 hommes dans la programmation initiale.
Cela permettra notamment de répondre dans la durée à l'opération Sentinelle, qui prévoit le maintien permanent sur le territoire de 7 000 militaires pour un coût annuel estimé à 260 millions d'euros.
Après avoir présenté ces grandes avancées, dont je me réjouis et dont je sais que les armées se félicitent également – le chef d'état-major des armées Pierre de Villiers n'a-t-il pas déclaré devant notre commission de la Défense qu'il les avait souhaitées et qu'il s'agissait d'un « bon projet » –, j'en viens maintenant aux quelques points de vigilance qui méritent d'être mentionnés.
Tout d'abord, comme je l'ai souligné, ce sont près de 9 milliards d'euros de crédits budgétaires qu'il faudra dégager au cours des prochaines années, et cela dès la prochaine loi de finances rectificative à hauteur de 2,2 milliards d'euros. Il faudra donc nous assurer que ces sommes soient effectivement inscrites en loi de finances.
En outre, il conviendra d'être attentif à ce que ces mesures positives ne soient pas en partie amoindries par les mesures de régulation budgétaire qui interviennent en fin de gestion. Comme l'a souligné le chef d'état-major des armées devant notre commission de la Défense, « l'équation financière reste tendue ».
Notre expérience à ce jour est contrastée : si, en 2013, les annulations de crédit ont été supérieures aux ouvertures, cela n'a pas été le cas en 2014, année pour laquelle les ouvertures ont largement compensé, et même très légèrement dépassé, les annulations. Il faudra donc veiller, autant que cela sera possible compte tenu des contraintes budgétaires auxquelles est soumise la France, à ce que l'équilibre financier ainsi dessiné soit préservé dans la durée.
À défaut, le report de charges du ministère de la Défense, déjà très important puisqu'il atteint 3,5 milliards d'euros fin 2014, pourrait encore augmenter, ce qui fragiliserait autant le ministère de la Défense que les industriels qui sont en relation avec lui, et avec eux le tissu des petites et moyennes entreprises qui les entourent.
Il nous reste également à déterminer quel pourra être l'impact de la non-livraison des deux bâtiments de type Mistral à la Russie sur les comptes de DCNS et, au-delà, sur l'équilibre du programme 146 Équipement des forces. J'en profite pour saluer à cet égard les excellents résultats obtenus ces dernières années en matière d'exportation. Si ces exportations n'ont pas pour effet d'influer directement sur la revalorisation budgétaire de la LPM, elles contribuent à la vitalité de notre industrie et libèrent des crédits qui auraient pu être mobilisés, notamment en raison du contrat liant l'État à Dassault prévoyant l'achat de onze Rafale par an en cas d'absence d'exportations de cet avion.
Enfin, la même vigilance s'imposera quant au financement interministériel du surcoût lié aux OPEX. S'il est naturel et légitime que le ministère de la Défense y contribue au regard de son poids proportionnel dans le budget de l'État, il convient que sa contribution n'excède pas cette proportion. Je rappelle ainsi que les surcoûts OPEX se sont élevés à 1,12 milliard d'euros en 2014, en diminution de 132 millions d'euros par rapport à 2013, mais encore bien au-delà des 450 millions d'euros provisionnés en loi de finances initiale. Le même schéma risque de se reproduire en 2015, bien qu'il soit probable que le surcoût soit inférieur à celui enregistré en 2014. Il est donc essentiel que le ministère de la Défense ne soit pas l'objet d'annulations supérieures à son poids relatif dans le budget de l'État, soit directement, soit indirectement à travers les mesures de régulation déjà évoquées.
En dehors de ces quelques points de vigilance, nécessaires à la bonne exécution de toute loi à visée programmatique, je pense que le présent projet de loi d'actualisation offre au ministère de la Défense toutes les garanties nécessaires à l'accomplissement de ses missions dans les meilleures conditions.
Alors que certains avaient pu craindre une révision à la baisse des objectifs fixés par la LPM initiale, c'est une révision à la hausse que prévoit ce texte d'actualisation ; il maintient à tout le moins la crédibilité du texte initial. Nos différentes actions et prises de position, en lien avec mon collègue François Cornut-Gentille mais aussi avec nos collègues de la commission de la Défense, et qui visaient à interpeller le Gouvernement sur la fragilité des recettes exceptionnelles, ont été prises en considération et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Il ne s'agit bien évidemment pas de facilités offertes à la défense, mais bien de la prise en compte de la nécessité d'accorder les moyens financiers correspondant à la diversification et à l'étendue des missions que nous confions à nos forces armées dans une situation sécuritaire qui s'est fortement dégradée. Comme le rappelait Michel Sapin récemment, « ce n'est pas le risque qui s'adapte aux finances, mais les finances qui doivent s'adapter au risque ».
C'est pourquoi, concernant le chapitre Ier de ce texte et le rapport annexé qui en détaille les objectifs, j'émets un avis très favorable à leur adoption, comme je vous invite à le faire vous-mêmes.