Intervention de François Pupponi

Réunion du 26 mai 2015 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Pupponi, président du groupe de travail sur les aides personnelles au logement :

Je veux tout d'abord remercier les membres de la Commission pour leur participation active à nos travaux – au cours desquels nous avons auditionné dix-huit personnes ou organisations –, ainsi que les membres du cabinet de la ministre du logement et les administrateurs, que je félicite pour nous avoir permis de rendre nos conclusions dans un délai restreint.

Nous sommes partis d'un constat simple. Le montant total des aides personnelles au logement s'élevait, en 2014, à 18 milliards d'euros, dont 12 milliards sont issus du budget de l'État, le reste étant payé par les employeurs. Leurs bénéficiaires, au nombre de 6,5 millions, représentent un locataire sur deux ; 80 % des allocataires ont un revenu égal ou inférieur au SMIC et la moitié d'entre eux ont des ressources inférieures au seuil de pauvreté, ce qui fait certainement des aides personnelles au logement l'un des dispositifs les plus redistributifs. On observe également que le montant des APL augmente d'environ 2 % chaque année et que leurs frais de gestion s'élèvent à 600 millions d'euros, le montant de l'APL accession s'établissant, quant à lui, à 900 millions d'euros.

On constate en outre une certaine inégalité de traitement sur le territoire national puisque, si les APL, qui s'élèvent en moyenne à environ 220 euros par mois, correspondent, en moyenne, à 57 % du loyer acquitté par les allocataires, ce taux varie selon que l'on se trouve ou non dans une zone tendue. Se pose également le problème des APL étudiants, pour lesquelles ne sont pris en compte ni les revenus des étudiants ni ceux de leurs parents – j'y reviendrai.

Face à ce constat, le groupe de travail préconise deux mesures d'équité et propose de poursuivre ses travaux afin de réfléchir à une réforme qui permettrait d'améliorer l'efficacité de la politique du logement en s'attaquant au véritable problème, qui est celui du coût du loyer. En effet, non seulement celui-ci est trop élevé, mais il croît chaque année. Or, les aides n'augmentent pas suffisamment pour compenser sa hausse, de sorte que le taux d'effort des locataires est devenu trop important, voire insupportable. Force est donc de reconnaître que le système est à bout de souffle.

Si la commission et son président l'acceptent, le groupe de travail pourrait donc se pencher sur les raisons pour lesquelles le niveau des loyers est trop élevé dans notre pays. Bien entendu, nous connaissons certaines de ces raisons, notamment le coût du foncier et le poids des normes, mais un autre élément mériterait d'être analysé. Plusieurs études démontrent en effet que les APL jouent un rôle inflationniste, en particulier dans le secteur du logement étudiant : les aides à la personne solvabilisant le locataire, les propriétaires, quels qu'ils soient, augmentent les loyers.

Dès lors, il nous paraît important d'analyser en détail la construction des loyers et d'étudier, afin d'en maîtriser le coût, la possibilité de transformer une partie des aides à la personne en aides à la pierre. Ce débat a, certes, déjà eu lieu lors de l'examen du projet de loi ALUR, mais nous avons l'intuition que c'est sur cette question que doivent porter nos réflexions. J'ai du reste, en tant que président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), demandé à ses services de réaliser une expertise, car je souhaite que le montant des subventions accordées aux bailleurs dans le cadre du nouveau plan de rénovation urbaine permette d'avoir des loyers de sortie inférieurs aux loyers plafond APL, afin de diminuer la solvabilisation des locataires. Ce qui intéresse ces derniers, en effet, c'est leur reste à charge. Si les subventions permettent de baisser le coût du loyer et de limiter ainsi le recours à l'APL, nous aurons fait une bonne réforme. Mais il faut un peu de temps pour l'expertiser.

En revanche, des mesures d'équité peuvent être prises à court terme. Nous recommandons ainsi que soit désormais pris en compte le patrimoine des allocataires. On pourrait en effet, en s'inspirant du système applicable au RSA, majorer les ressources des bénéficiaires de l'APL d'un revenu annuel fictif égal à 3 % de leur patrimoine, ce qui diminuerait d'autant le montant de l'aide qu'ils perçoivent. Notre objectif n'était pas de rechercher des économies à tout prix, mais d'améliorer l'efficacité et l'équité du dispositif. À cet égard, cette mesure nous semble pertinente, et elle permettrait de réaliser une économie comprise entre 150 millions et 200 millions d'euros.

Par ailleurs, l'importance des coûts de gestion des APL – dont j'ai dit qu'ils s'élevaient à 600 millions d'euros – peut s'expliquer par la complexité de leur mode de calcul et par le fait qu'elles sont révisées à chaque changement de situation de l'allocataire, si bien que les fluctuations sont très importantes. Nous proposons donc, pour limiter ces fluctuations, de figer la situation des allocataires par période de trois ou six mois. Certains y gagneront, d'autres y perdront. Mais une telle simplification présenterait l'avantage de produire des économies et de rendre le système plus lisible.

Nous recommandons également de revenir sur la réforme de l'APL accession, votée dans la loi de finances pour 2015 et dont l'application a été reportée à 2016 par l'adoption d'amendements parlementaires, car elle nous apparaît comme le type même de la fausse bonne idée. On estime en effet que, si cette mesure, dont on nous a dit qu'elle engendrerait une économie de plusieurs centaines de millions, était maintenue, le nombre des bénéficiaires de l'accession sociale à la propriété s'effondrerait. Selon les institutions bancaires, entre 12 000 et 15 000 acquisitions ne se feraient pas, dont 8 000 à 10 000 dans le neuf, ce qui se traduirait par une moindre recette de TVA évaluée entre 200 et 300 millions d'euros. Or, il nous paraît nécessaire de favoriser l'accession sociale à la propriété, de façon à libérer des logements sociaux et à relancer l'activité de construction dans notre pays. Qui plus est, les personnes que cette mesure inciterait à renoncer à devenir propriétaires resteraient locataires dans le parc social et percevraient à ce titre des APL supérieures à celles qu'elles auraient perçues dans le cadre de l'accession. Pour ces raisons, nous proposons de revenir sur cette réforme, qui est un mauvais signal adressé aux futurs acquéreurs.

J'en viens maintenant à la question de l'APL étudiants. Je rappelle que cette aide, qui a été créée en 1991-1992, donc après la réforme de 1977, est attribuée aux étudiants quel que soit le niveau de leurs ressources et des ressources de leurs parents, de sorte que 32 % seulement des 730 000 étudiants allocataires de l'APL sont boursiers. L'APL étudiants n'est donc pas redistributive. Je rappelle également que 7 % seulement des étudiants sont logés en résidence universitaire.

La mesure que nous préconisons dans ce domaine peut faire grincer des dents, dans la mesure où elle remet en cause le principe de l'universalité de l'aide aux étudiants. Mais nous considérons qu'il serait plus juste et plus équitable de tenir compte, pour l'attribution de l'aide au logement à un étudiant, de son éloignement géographique, des ressources de ses parents et éventuellement des cas de rupture familiale. Aujourd'hui, comme je l'ai dit de manière un peu provocatrice, un étudiant dont les parents sont assujettis à l'ISF peut percevoir l'APL. Les différentes inspections qui se sont penchées sur le sujet proposent d'interdire le cumul de l'APL et de la demi-part fiscale supplémentaire dont bénéficient les parents d'étudiants rattachés à leur foyer fiscal. Nous considérons, quant à nous, qu'il est préférable d'appliquer à l'aide personnelle au logement les mêmes critères que ceux qui prévalent pour l'attribution des bourses. Encore une fois, nous sommes tout à fait conscients des difficultés que soulève cette proposition, mais il faut la resituer dans le débat plus général sur les revenus des étudiants. En tout état de cause, si elle était appliquée, cette mesure permettrait de réaliser une économie comprise entre 150 millions et 200 millions, sachant que le montant de l'APL étudiants s'élève à 1,5 milliard par an.

Par ailleurs, il est sans doute possible d'améliorer la gestion du dispositif – mais il nous faut encore travailler sur ce sujet. Nous sommes en effet convaincus qu'une partie de ces 1,5 milliard d'euros permettrait de financer, par des subventions conséquentes, la construction de résidences étudiantes en imposant à leurs constructeurs et à leurs gestionnaires, en particulier le CROUS, des niveaux de loyer inférieurs au plafond des APL, de sorte que nous n'aurions pas besoin de solvabiliser les étudiants. Si leur loyer est relativement bas, leur reste à charge et leurs conditions de logement seront beaucoup plus décents qu'ils ne le sont actuellement, car nous savons que les abus sont commis principalement dans le domaine du logement étudiant. Une étude réalisée en 2005 par Mme Gabrielle Fack démontre ainsi que, lors de la création de l'APL étudiants, 50 % à 80 % de l'aide ont été captés par les propriétaires, qui ont majoré les loyers du montant de l'aide perçue par leurs locataires. Le dispositif a donc eu un effet inflationniste sur le niveau des loyers. Cette analyse mérite d'être affinée, mais les quelques études dont nous disposons vont dans le même sens.

Tel est, monsieur le président, le fruit de la réflexion menée par notre groupe de travail, dans un délai dont je rappelle qu'il a été bref : à peine deux mois. Nous proposons donc, au-delà des mesures de justice et d'équité qui peuvent être prises à très court terme, de poursuivre nos travaux. Nous sommes en effet convaincus que le système est à bout de souffle : les dépenses ne peuvent continuer à augmenter sans que le reste à charge des locataires diminue. Sans doute faut-il, dans le cadre plus global de la politique du logement, réaliser des économies, mais nous devons aussi améliorer l'efficacité de la dépense budgétaire. C'est en tout cas le sentiment des membres du groupe de travail, dont le rapport – je le précise pour souligner l'existence d'une certaine convergence de vues en la matière – a été adopté à l'unanimité.

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